L’abus mobilise la mesure : je veux dire par là que la mesure est une sorte d’étalon de l’abus. Mais l’abus n’est pas la démesure non plus : l’abus s’inscrit aux frontières d’un possible, il se tient, tel un pervers sympathique, aux lisières de la transgression brutale. Dépasser la mesure est une proposition littéraire bien intéressante : peut-on la rattraper ?
A défaut de se pincer le nez, il faut se pincer pour débusquer l’abus afin de se réveiller un peu : c’est un magicien, il hypnotise, il a une force de persuasion du camelot qui vous enrobe l’ordinaire. Il parle un même langage qu’il manipule à son profit.
On parle par exemple d’abus de substances psycho actives qui décrit une logique différente que la dépendance, on parle d’abus sexuels qui violent de façon différente.
Cette conviction débonnaire qui vise l’emprise, l’automatisme de la répétition en ayant l’air de ne pas y toucher, vient donc pour réussir tenter de plaire à sa victime.
L’abus est donc dans un rapport à loi particulier : il participe à la tranquillité de l’ordre social, il ne fait pas beaucoup de bruit, il peut même emmener des fleurs et du chocolat, faire un petit baiser pour parvenir à ses fins. L’abuseur prolonge l’abusé, le flatte.
Et on se dit, contaminé qu’on est par le beau parleur, que l’abus et la faiblesse sont décidément une drôle de rencontre : abuser la faiblesse est ce tout simplement possible ? Vous voyez comme il est malin : la faiblesse n’a pas besoin d’être abusée, quelle serait l’intérêt alors que c’est précisément son intérêt.
Mais se serait ignorer la positivité de la faiblesse : elle n’est pas généralisée ou si elle le devient, elle perd son nom. Autour de la faiblesse, il y a toujours des points de force, des points de séduction, des envies. La faiblesse est une sorte de destinée tragique qui laisse piller sa force par petites quantités.
Au fond, l’abus de faiblesse attaque le oui et le non, range à la cave le choix : il n’est plus question de ni oui, ni non, il est question d’une séduction tranquillement évidente, banale qui participe d’un acquiescement consenti, la vérité étant qu’on n’est plus dans le oui ou le non dans la mesure ou les deux protagonistes parlent de choses différentes et se régalent de cette surdité.