Il faudra, un jour, tordre le coup à l’expression « exil fiscal » : parce que cette posture fait lien avec tout sauf avec l’exil. L’exil, c’est la misère, c’est une énergie qui fait parfois braver la mort sur des coquilles de noix, ce sont des barbelés à escalader, c’est une prise de risque pour un hypothétique meilleur.
L’opportuniste fiscal déménage : il serait plus juste de parler de déménagement transfrontalier fiscal parce que le but ici est de ne pas en perdre une miette. Exil fiscal est une chansonnette idéologique qui vise à transformer le crapaud rentier en Cendrillon sacrifiée.
Mais, le plus inquiétant consiste peut être dans ce couplet sur une « spoliation » des riches qui empêcherait la sauvegarde de l’emploi et l’exercice de la solidarité : Alors que le modèle étatique (l’état dit providence) a développé toute une série de filets sociaux de sécurité relative par la politique des minimas : RSA, CMU, il semble largement disqualifié aujourd’hui, le filet étant sans rapport avec les besoins réels et étant vécu souvent comme une production bureaucratique, déshumanisée. Les politiques de solidarité apparaissent comme un droit froid, une indulgence, une machinerie à produire du silence, une usine à gaz à produire de la norme.
Et dans cette brèche, certains en profitent pour revenir avec leurs grands chevaux : mais non, le riche entreprend, mais si, le chirurgien dépasse les honoraires pour pouvoir opérer les pauvres à bas cout, et oui, le faible tire bénéfice du fort. L’entreprise est connue : elle vise à permettre de choisir individuellement ceux qui méritent notre compassion. Elle a le masque séduisant de la reconnaissance et de la personnalisation.
Charité bien ordonnée commence par ordonner. Nous n’allons pas quand même aider toute la misère du monde, aidons donc ceux qui nous intéressent et dont nous pouvons tirer un profit symbolique. Cette option est terrifiante et si elle se confirmait, détricoterait durablement le lien social.
L’écueil est, dans ce contexte, la faillite du politique et l’affaiblissement du citoyen : entre le client et le mendiant, la république a le devoir de défendre autre chose et promouvoir des citoyens acteurs. Certes, ça peut paraitre un peu facile parce que, quand on a le nez dans les difficultés, la déclaration d’intention recèle une agressivité sans nom mais, c’est bien, à partir d’une position d’égalité que la solidarité peut prendre sens.
Jacques DONZELOT, dans son beau livre sur l’invention du social, avait pointé la difficulté à faire prospérer l’ambition de fraternité républicaine (contrairement à la liberté et à l’égalité qui sont des termes qui ne mangent pas de pain ou du moins produisent des lectures vraiment divergentes). La construction de la solidarité a donc originellement un caractère de béquille. Tentons de garder notre béquille avec son bois de fraternité.