Outil important de paix avec nous même, nous ne voudrions pas que la justice nous trahisse, mais en même temps, nous savons qu’elle nous envoie sur les roses car elle proclame, de façon assez facétieuse, son indépendance.
Cette revendication clive fortement nos réactions et nous rend un peu schizo : tantôt nous aimons cette indépendance (parce qu’elle vient nous rendre justice), tantôt nous la détestons (parce qu’elle donne raison à nos coupables). Il lui reste en mistigri quelques perfides défausses dont le non lieu disant là qu’il y a des choses ne relevant pas du jugement et la prescription qui voit de l’eau passer sous les ponts ou mise dans son vin. Pourtant, l’oubli n’est pas la prescription.
On est un peu bonne poire quand on accepte sans sourciller la fable de son indépendance à laquelle je préfère la distance : non, la justice n’est pas indépendante mais notre justice travaille à distance : elle ne coupe pas automatiquement et immédiatement la main de celui qui vole, elle instruit (le petit Robert nous dit : mettre en état d’être jugé)
Je me sentirais mieux aujourd’hui si, au regard des différents scandales qui éclatent, (CAHUZAC, SARKOZY et mille autres) on pouvait interroger la nature de cette somme de dépendances multiples qu’on dénomme indépendance de la justice. (En considérant la dépendance comme un invariant froid et en regardant surtout comment l’invariant froid entre en ligne de compte). J’ai besoin de considérer ces dépendances dans la mesure où je ne crois pas à une inspiration divine derrière tout ça et que la justice dépend au moins des hommes et de ceux qui les gouvernent.
Le dire la loi si libre est un peu arrogant avec le faire la loi si servile.
Posant ceci, nous quittons une instance éthérée, merveilleuse et idéale et nous mettons la tête dans le cambouis : L’ordre social tient aussi grâce à sa justice et point n’est besoin d’être grand analyste pour constater que la justice est une affaire de classe (de lutte des classes, dois je préciser compte tenu des erreurs possibles sur la classe, la grande) que le justiciable est en proie à des inégalités flagrantes sur la compréhension des mécanismes, sur sa capacité à peser sur le cours de la justice. Evidemment, ça ne veut pas dire que la justice actuelle est incurablement inique : le respect de certaines lois est un ressort important du vivre ensemble mais disons que son architecture est largement obsolète et coupée de la société réelle, plus aimable avec les dominants qu’avec les dominés.
Je trouve que le symbole éclairant de ces errances est représenté par la justice administrative, haut lieu des décisions aberrantes puisque comme j’en ai été le malheureux témoin, l’absence de règles et de cadres fait aujourd’hui loi dans des pans entiers du droit social administratif. Qu’en déduit cette justice ? L’absence de règles et de normes est un argument pour faire gagner systématiquement l’employeur public puisque que le demandeur étant placé en mutité (absence de contrats, non référence), son silence juridique est la preuve flagrante qu’il a tort et que ses demandes ne sont pas fondées. (Putain, mais supprimez cette juridiction de caniveau, de moutons bêlants, ça fait passer des gens par la fenêtre). Cela préfigure de l’automaticité de la réponse judiciaire, un choix multiple sur un répondeur et de l’écroulement de l’ETAT, garant de rien sinon de garantir son rien.
Mais, je reconnais une erreur : nous avons tort de demander justice quand nous devrions gagner pouvoir et raison sur le plan politique. Peut être que le sentiment de faiblesse qui nous traverse parfois, nous fait espérer qu’on va obtenir justice et réparations mais je pense que la justice n’est pas le bon lieu de traitement des aliénations et des exploitations. (Médiator, amiante). Espérons que les prud’hommes tiennent le coup (et dans le contexte socialiste de la liberté d’entreprendre, du droit sacré à la concurrence et à l’égalité des contrats, ce n’est pas gagné)
En revanche, là, ou la justice apparait plus convaincante, c’est dans le champ de la conduite morale : quand elle arrive à gauler le puissant, l’élu coupable de bassesses, là, c’est fortiche. On va dire au point d’éclatement social actuellement atteint que la catharsis marche à fond la caisse. Et j’ai un plaisir non dissimulé à voir que des hommes politiques qui traitent l’humain comme de la merde, qui jouent de comportements manipulateurs et méprisants soient identifiés et convoqués pour ce qu’ils sont : des petites crapules avec leur cortège de médiocrités ordinaires et banales. Les hommages rendus par les faux culs à ces pauvres victimes aux poches pleines sont généralement proportionnels à la turpitude mise en œuvre.
Bon, une fois la jubilation de la mise en examen passée, la résistance à l’effort s’épuise rapidement : plus on s’éloigne des faits originaux, plus la procédure avance, plus le temps passe et plus la baudruche à tendance à se dégonfler : on a des louches d’exemples ou les délinquants politiques continuent à faire la soupe : de Pasqua à Longuet, de Woerth à beaucoup d’autres, quelles conséquences réelles ? Y a –il une vraie incompatibilité entre délinquance et politique (les fâcheux électeurs de la commune en deux mots dont le premier commence par L et finit par S et le second, commence par P et finit par T sont les nouveaux exemplaires cavaliers de l’apocalypse, le repas des anciens symbolisant l’enfer de Dante)
Pas vu, par pris, telle semble s’imposer la logique du système, qui malgré ses dénégations, ses appels vibrants à la morale et à la bonne conduite continuent de glapir que le gouvernement des juges ne doit pas faire obstacle aux voyous récompensés par le suffrage universel. (L’universel représentant parfois moins de 30% des électeurs)
La aussi, peut être que nous attendons de la justice ce que le plus beau pays du monde ne peut nous donner : seulement, que ce qu’il a. Si, sur l’événement, la justice fait son travail parait « juste », qu’en est-il de l'idéal républicain ? Qu’en est-t-il de la lutte contre la corruption, du statut de l’élu, du cumul des mandats ? Pourquoi acceptons-nous des élus qui arrosent, qui achètent, qui mélangent les genres ? Autant d’interrogations sur le vide législatif qui me font penser que tant que le loup sera dans la bergerie, il aura tendance à demander du rab d’agneau à la cantine.