Il est bien connu que le poisson rouge est un animal curieux : certains zoophiles prétendent qu'il ne se souvient de rien après avoir fait le tour de son bocal : l'aquarium est donc un espace d'éternelle redécouverte, d'impossible mémoire, d'empêchement de l'histoire.
Selon les options idéologiques des aquariophiles, on prête à cette essence :
- Soit une qualité inoubliable: quel pied que de ne se souvenir de rien pour une créature à nageoire, quelle libération par rapport aux archaïsmes, aux attachements imbéciles, aux pesanteurs avec cette contrepartie néanmoins de tourner en rond au risque de se mordre la queue.
- Soit une tare rédhibitoire, n'avoir à se rattacher à rien, ne pouvoir rien projeter, prendre ses ouïes pour des lanternes, ne pas imaginer possible de tenter une escapade hors de l'aquarium, être pris dans un déterminisme de triste individualité inlassablement inféconde.
L'aquarium se complique fâcheusement quand il devient un espace de rencontre entre poissons rouges : la raréfaction des surfaces disponibles, la dépendance totale à l'égard d'un tiers nourrisseur (jamais le même évidemment), l'impossible alliance entre les protagonistes transforme imposent une lutte sans merci ou le caractère darwinien de la survie met les plus gros, les plus menteurs et les plus malins en haut de l'échelle. Bizarrement, une catégorie semble promise à un bel avenir : le nettoyeur.
La société est donc un aquarium et Nicolas notre poisson rouge.
En effet, Ministre de l'Intérieur, du Budget, vénéré président, alors qu'il baigne dans les eaux saumâtres de l'aquarium depuis des années, il ne semble rencontrer que des évènements qui, à chaque fois, l'irritent, l'offusquent, l'énervent. A chaque tour d'aquarium, à chaque meurtre, à chaque émeute, à chaque faillite, il découvre : Nicolas est le poisson pilote de l'événement et il est très touchant parce qu'à chaque fois, il redécouvre, il invente le monde à chaque tour d'aquarium.
Je me sens particulièrement poisson parce que, chaque fois, je découvre que Ni colas découvre et il me glisse entre les doigts. Mes renoncements sont coupables : je renonce à ma responsabilité, aux devoirs du politique, au respect de ce qui m'a fait. Je gobe tout.
Et je me rends compte que mon mérite principal aujourd'hui est mon amnésie comme ces vieux malins qui entendent tout parfaitement mais font les sourds.
Pierre Avril
24 novembre 2010