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Billet de blog 24 décembre 2014

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Faire quelque chose de sa mort, détruire la vie.

L’actualité est affaire de symbole. Alors que la période de Noël  enjolive religieusement et exagérément  un mythe de la nativité, le rassemblement des familles réunies, la fête et la légèreté, une accumulation d’évènements dramatiques éclaire la mort gratuite, injuste et incompréhensible. C’est comme si l’époque convoquait son double d’ombre pour rappeler une fragilité consubstantielle  de la  nature humaine. La peur cherche à bloquer la porte.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’actualité est affaire de symbole. Alors que la période de Noël  enjolive religieusement et exagérément  un mythe de la nativité, le rassemblement des familles réunies, la fête et la légèreté, une accumulation d’évènements dramatiques éclaire la mort gratuite, injuste et incompréhensible. C’est comme si l’époque convoquait son double d’ombre pour rappeler une fragilité consubstantielle  de la  nature humaine. La peur cherche à bloquer la porte.

Ces façons de mourir médiatisées à l’extrême frappent par leur absurdité. La raison échappe, le pourquoi s’évapore. Etre là au mauvais endroit au mauvais moment, sans autre argument, sans possibilité de parole d’apaisement ; ce mode du disparaitre relève de la pure  atrocité pour les proches. Qui pourrait vouloir des fins comme ça? Et c’est bien la question de la volonté, la capacité de décider « librement » qui est interrogée. Abolir le discernement en même temps que la vie pose de façon aigue, la question de nos fragilités et de nos limites, de nos incomplétudes qui cherchent l’appui et l’aide des autres, constatant bienheureusement ou amèrement  leur présence ou leur trahison.

 Nous devons vivre avec une somme gigantesque d’implicite et non-dit tacite qui sont à chaque fois, un petit pari sur la suite du voyage  dont la visibilité est posée  en forme d’injonction ; Donner des gages à notre devenir ; l’époque semble particulièrement friande de ce spectacle et le zoome avec volupté. On ne peut être que frappé par la symétrie entre les débats de l’éthique sur la fin de vie, son désir légitime de maitrise d’un côté et le pied de nez de l’inimaginable en œuvre de l’autre côté, sa fantasque gratuité.

On hésite entre le naturel et le construit : comme il serait tranquillisant qu’une fatalité réponde de tous les maux et de  notre finitude mais l’épouvantail, aujourd’hui s’impose comme un élément essentiel du décor.

Dans le diagnostic insistant que rien n’est acquis, que tout peut basculer pour tout le monde et à tout moment, les pouvoirs produisent des mots valise, le djihadisme est ainsi un concept à la mode ; il complète utilement  le terrorisme par son aptitude à fabriquer  un intrus menaçant, celui dont la visée serait notre destruction, l’autre qui veut notre peau, encore un peu  flou, mais dont les traits commencent à être identifiables.

On nous annonce la guerre, mais comment peut-on guerroyer sans champ de bataille, sans territoire, sans trouver d’interlocuteur à la signature d’armistice et de traité de paix. Le terrorisme et le djihadisme sont la mémoire d’autre chose : ils expriment un mode de remplir sa vie par la mort, par négativité pure, l’habillage confessionnel, idéologique ne changeant rien à l’affaire. Dans cette vision, la vie n’aurait de sens que de préparer un instant d’intensité inouïe de sa disparition, appréhendée comme la fin même du monde. Tout emporter dans le bruit de sa fureur.

L’intelligence et la prudence appellent donc à s’interroger sur le vide de ces vies, qui insupportent au point de vouloir en finir dans la démesure. Quel est donc le mal social qui ronge et secrète à l’envie du monstrueux ? L’ordalie a l’espoir de survivre à l’épreuve, on a l’impression ici qu’aucun regard rétrospectif ne peut enrayer la machine à tout faire sauter.

Le terrorisme apparait donc comme l’auberge espagnole des causes perdues. Visant à extérioriser nos propres insuffisances et renoncements, il interpelle jusqu’à en vomir, toutes les figures éculées de l’inquiétude et du rejet. Sans entrer dans un complotisme pathologique, il faut constater une triple alliance contre nature mais terriblement efficace : celle du péteur de plomb qui trouve dans les images en boucle la mèche de son passage à l’acte, celle des médias qui, à travers le même reportage sans fin  font monter la courbe avantageuse de l’audience, celle des politiques en petit père des nations qui assurent de leur droit dans les bottes tout en annonçant l’impossibilité d’anéantir la bête (c’est une façon efficace de se montrer comme sauveur impuissant ). L’horreur est ainsi bien gardée.

Notre présent est balisé par un contrôle social inégalé. Pistés, piégés dans les endroits où nos pas sont guidés, nous avons du mal à y échapper. Mais, la sidération ne doit pas nous faire oublier la force subversive des interstices, ces endroits inattendus, imprévisibles minuscules de production de lien social, d’écoute et de solidarité. N’abandonnons les interstices ; nous ne sommes pas que responsabilité mais si nous en en assumons  une  partie,  il ne faut pas en désespérer,   il faut occuper  ces espaces simples des possibles, là où se tissent  des rencontres, là où la reconnaissance est possible, là où l’estime de soi trouve sa place. L’interstice est un remède homéopathique contre la fatalité de la reproduction et la force des conditionnements.

Précisément, parce que l’interstice n’est pas couru d’avance, les prévisions optimistes seraient mensongères. Cela n’empêchera ni les explosions, ni les horreurs mais c’est une manière sinon d’avancer du moins de ne pas reculer.

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