La mort de Bernadette LAFONT nourrit trop bien la palette d’émotions que le deuil nous fait vivre. Être en deuil, c’est en effet vivre de persistants souvenirs dans l’acidité de la perte : nous serions jusqu’à notre disparition condamnés au souvenir, aux irruptions de la mémoire avec les jeux d’oubli, de distance, d’évocation.
Il y a pour moi quelque chose d’inoubliable chez cette femme et cette comédienne : la tendresse d’une ogresse, l’évidence de la résistance, la dignité silencieuse du tenir debout.
Le cinéma nous fournit souvent de beaux acteurs et de belles actrices dans les champs de l’illustratif ou de décoratif, mais Bernadette LAFONT proposait autre chose : Moins d’images et plus d’un mouvement essentiel, un bruit de fond impératif. Celui de la nécessité de vivre au milieu de ses errances, de ses turpitudes et de ses faiblesses et de ses drames. Une forme de beauté paradoxale qui n’excluait ni le bien ni le mal qui savait basculer dans l’amour et pas pour toujours.
Hier, j’ai entendu une énigmatique phrase de François Truffaut à son sujet ; je l’ai compris ainsi : il la plaçait au-delà d’un personnage uniquement féminin, la promettait à un autre essentiel. J’ai trouvé ce constat d’une force incroyable ; alors qu’elle jouait les archétypes de la putain, de l’amoureuse, elle aura été plus ample. Toujours dépasser cet état culturel de la soumission pour oser et choisir, habiter la vie dans toutes ses composantes
La question du pouvoir lui collait à la peau et je crois que c’est un peu cela qui lui a évité de devenir une mauvaise star. Trop dérangeante, trop exploratrice ; les humains rares qui ne se laissent pas coloniser l’esprit par les autres.
Elle se sera appelée Marie dans le beau Serge de Chabrol et dans la fiancée du pirate de Kaplan ; Belle Marie en vérité qui aura tout pris de la création, du meilleur et du pire.
Le sentiment de sa perte est subtil : il n’a pas le spectaculaire de l’icône, ni la stridence des pleureuses, il est une saveur aigre douce.
Quel dommage que je sois mécréant, Madame LAFONT, j’aurais pu vous savoir au paradis en train d’engueuler le Bon Dieu et d’accueillir les anges, mais juste le temps d’un gouter.