Entrer, sortir, nos pas traversent des passages vingt fois dans la journée, nous n’arrêtons pas d’entrer et de sortir. Ce mouvement indique la canalisation des circulations. La frontière nomme la différence entre deux espaces. On passe ainsi du familial à l’intime, du social au professionnel, du rêve à la dure réalité, de l’école au chômage. L’étanchéité apparait comme une possibilité de gérer les portes avec un dilemme immédiat ; un espace trop fermé étouffe, un espace trop ouvert agresse.
On trouve sans mal des fonctions dévolues, du manger assis, des magasins sans faire de miettes, des interdictions de stationner. Un ensemble de codes gère socialement les déambulations. Il faut désormais ramasser la merde de son chien, payer pour pisser et laisser la rue aussi propre qu’on l’a trouvée.
La tradition a instauré depuis belle lurette des empêchements de passer, des limitations de sortie et d’entrée. Le mur proteste de la perméabilité ; personne ne passe ; la ligne est comique parce qu’elle peut être contournée ; la muraille trace un monde.
Mais, demeure cet invariant que, d’une manière ou d’une autre et l’entrée et la sortie sont contrôlées. La limitation dans un sens canalise l’autre sens. L’octroi octroie.
Le grillage apporte une autre dimension avec sa légèreté, ses sadismes particuliers de barbelés et d’électricité et surtout sa visibilité. Si on ne voit pas à travers un mur, le grillage brille par sa transparence.
Le mur enferme une société dans sa pureté illusoire, tente de la protéger plaçant au sommet de la subversion, l’ennemi intérieur, celui qui comme le ver va faire pourrir le fruit. Celui de Berlin a chuté, mais d’autres se reconstruisent notamment du côté d’Israël. Ce que prétend le mur, c’est l’entre soi.
Le grillage est autrement plus complexe puisqu’il donne à voir l’objet obscur de la liberté visée ; migrants derrière le grillage de l’enclave, vous pouvez voir, mais vous ne pouvez pas toucher, Sdf d’Angoulême, vous pouvez voir le banc mais vous ne pouvez pas vous y assoir. Cette problématique n’est pas une morale du désir, mais une répression du besoin, un violent titre de propriété, ceux qui ont droit au banc et ceux qui sont au ban de la société. Tu peux regarder mais ce n’est même pas la peine de penser t’installer.
Le grillage n’est plus un passage, il se résume à la seule interdiction d’entrée.
Quel lien possible, avec ce mot infect de mobilier urbain ? Cette farce publicitaire qui prétend la ville semblable à un intérieur, l’abribus comparable à un salon. On pense en miroir à la disponibilité des corps pour faire marcher le commerce à la façon du cerveau disponible ailleurs. Pour accéder au mobilier, malgré son apparente hospitalité, il faut répondre à des critères bien précis. Etre assis oui, s’allonger non, se reposer un temps acceptable, oui, y passer sa vie, y boire et y manger, non. Si vous croyez qu’un banc est une maison à ciel ouvert, vous vous trompez de misère et de société de consommation.
On conteste jusqu’à cette nécessité que les damnés de la terre ont de s’installer au milieu de leurs semblables. Il semble que la dissimilitude devienne un projet politique d’avenir dans notre pays.
Ainsi, cette incapacité de parler simplement aux gens, d’échanger induit le renforcement de la tribu des Zombies menaçants ; A Calais, à Angoulême, le grillage affiche l’esthétique du déshonneur et du renoncement.