J’ai eu la chance de croiser les dinosaures de la politique de la ville, à une époque où le regard était focalisé sur le quartier. Les dinosaures ont survécu au réchauffement climatique. Dans les années 1980, ces politiques bricolaient, expérimentaient. Depuis, elles se sont complexifiées (activité, transport), leurs territoires se sont élargis (ville, agglomération), mais elles ont gardé une mémoire de l’origine absolument intacte et dévastatrice, le malentendu.
Dans la commune ou j’ai travaillé comme éducateur de prévention, tous les dix ans, un discours scrogneugneu (celui qui dit vous allez voir ce que vous allez voir) annonce le progrès total, le renouvellement urbain, la paix sociale, le bonheur sur terre grâce aux voies civilisatrices de la rénovation urbanistique et architecturale dans un quartier HLM de la Ville. Cela fait 30 ans que ça dure, mais le besoin récurrent des élus d’exposer leur action salvatrice, la désignation régulière des populations comme des arriérés potentiels accompagnent mélodiquement l’usure du temps. Avec le recul, la comptine du changement apparait comme une répétition un peu lassante ou s’expose davantage l’impuissance de l’acteur politique et la persistance des difficultés initiales. À l’évidence, la politique de la ville est une communication simplette et un tantinet improductive.
Au rythme de la dégradation des façades (les peintures extérieures qui s’écaillent, les enduits qui se cassent la gueule) on remet du grain dans la machine à moudre la misère. Si ce n’était un peu couteux, on se dirait que cette situation n’est qu’un symptôme parmi d’autres, mais ce cirque justifie de deux dérives majeures, le dévoiement de la démocratie participative et un argument pour ne jamais entretenir le bâti et les appartements.
« Mais, donnez vous votre avis, on vous donne la parole » ; je me rappelle de scènes quasi surréalistes ou l’architecte, présentant le plan urbanistique de l’opération sommait gentiment les populations d’exprimer un choix sur les couleurs de l’immeuble et la forme des contre-allées alors que ces malheureux ignorants parlaient de fuites d’eau, de cloisons qui tombent, d’évacuation qui ne se fait pas, de plomberies défaillantes, de manque d’entretien. Mais, si vous croyez qu’on était là pour ça.
Aujourd’hui, je pense que les politiques de la Ville ont à voir avec la mauvaise conscience (ces vilains logements où habitent les pauvres) et la nécessité (il faut que les logements de ces vilains pauvres n’embêtent pas la ville conquérante, ne fassent pas tache). Le but vise à produire un discours de justification (regardez le pognon qu’on y met), un discours de culpabilisation (en plus, ils ne respectent rien), un discours de compassion (on va en remettre une couche, on ne va pas les laisser comme ça).
Finalement, et l’actualité récente le prouve, ces politiques sont des maquilleurs d’explosion sociale ou gazière, le nec plus ultra étant la fresque décorative conçue par les enfants de l’école primaire de la ZEP. Le malentendu à dissiper prend appui sur un axiome simple, la négation de la relation contractuelle entre les locataires et les propriétaires. À force de se repaitre de concepts creux, peut être a-t-on menti sur l’essentiel ?