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Billet de blog 19 août 2011

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K. Franz K.

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(Pour D.)

"Au reste, la vie de Kafka n'a rien de spectaculaire. Né en Moravie le 3 juillet 1883, il fit à Prague des études de droit, puis entra dans l'administration. On dit qu'il quitta Prague aprés une catastrophe sentimentale, se fixa à Berlin "où il semble avoir trouvé un peu de bonheur", et mourut de tuberculose dans un hôpital viennois le jour de son quarante et uniéme anniversaire. Kafka était juif. "Kavka" signifie "choucas".

A la place d'actes révélateurs, nous trouvons l'absence d'actes ; et le plus significatif de tous me semble le Silence. Si K. écrit, ce n'est pas pour être Ecrivain. De son vivant, seuls de courts récits fantastiques ont été publiés. La partie significative de son oeuvre ne sera rendue publique qu'aprés sa mort, et à l'encontre de son interdit formel ; nous n'en connaissons que des fragments mutilés par leur auteur.

On a donné des interprétations plus ou moins probables de ce silence ; mais son véritable motif me semble être d'ordre éthique. "Une détresse qui écrit bien, dit Valéry, n'est pas si achevée qu'elle n'ait sauvé du naufrage quelque liberté de l'esprit, quelque sentiment du nombre, quelque logique et quelque symbolique qui contredisent ce qu'ils disent... D'ailleurs, quand même les intentions seraient pures, le seul souci d'écrire, et le soin qu'on y apporte ont le même effet qu'une arriére pensée."

Corrélativement, je dirais qu'un esprit indéfiniment maintenu dans une interrogation infinie ne peut faire que cette interrogation ne devienne réponse par le souci qu'il en prend - ou que : l'interrogation comme objet d'exercices littéraires devient, d'immédiate, le terme médiat d'une série de projets visant à autre chose qu'elle même. Ainsi, dans une large mesure, la littérature deviendrait-elle réponse, non pas à l'objet de l'interrogation, mais à la situation interrogative même, à cette situation transie de doute et et d'angoisse qui cherche une imprévisible issue, qui cherche le pour, le pourquoi, le sens de la vie et des choses, et qui, dans et par son interrogation, ne peut jamais que retomber sur elle-même comme sa source - dans l'angoisse. Tout en laissant ouvertes les questions qu'il écrit, le projet de l'écrivain entraîne une attitude qui résout une insoluble situation, en faisant de l'interrogation sur le sens de la vie, le sens même de la vie : la vie de l'écrivain devient vie pour interroger, et l'angoisse trouve, dans cette activité, son reméde.

Le silence de Kafka restitue sa situation originelle ("Je ne cherche pas à remédier à ma détresse, écrit K. ; je n'asséche pas les marais, je vis de leurs exhalaisons empoisonnées.") ; c'est cette recherche de dénuement qui me semble le mieux caractériser sa vie. Un peu comme Valéry et comme Gide -pour citer des noms connus- Kafka d'abord se dépouille. Sans doute ne le fait-il pas gratuitement, mais attend-il du dénuement extrême quelque révélation ; Valéry en attendait la découverte des lois de l'esprit et il nous parle d' "un petit homme dans l'homme" qui serait la substance même de l'esprit, avec ses lois propres ; Gide en attendait la découverte de Dieu et son expérience aboutit à un déisme participationniste ; il y aurait un "naïf" se cachant sous le factice, il y aurait une nature immuable de l'homme dans l'homme qu'il s'agit de redécouvrir.

Mais outre que Kafka n'admettrait pas ce naïf que l'on serait d'abord comme une pierre est pierre, cet habitant irréductible de l'homme ne pourrait encore que le gêner. Pour lui, l'homme n'est pas d'abord quelque chose à quoi il n'aurait qu'à se laisser aller pour se fondre avec Dieu et avec la nature réalisée par son existence. "Le moment décisif du développement humain est perpétuel, écrit-il dans ses carnets. C'est pourquoi les mouvements révolutionnaires de l'esprit sont dans le vrai, qui déclarent nul et non advenu ce qui a précédé ; car rien encore ne s'est produit."

André Gorz jeune étudiant (Gerhardt Horst, aprés qu'il fût Hirsch, "buisson"), "Kafka et le probléme de la transcendance", texte d'une conférence donnée le 23 juin 1945, extrait.

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