
Anorexie, culte de l’apparence, caricature dévalorisante de la femme… la poupée la plus célèbre du monde ne cesse d’alimenter les critiques depuis un demi-siècle. Et bon nombre de pédopsychiatres, d’universitaires, de féministes l’accusent d’aliéner les petites filles, âgées de 3 à 8 ans, en leur proposant des mensurations inatteignables et des « valeurs typiques de la société de consommation ». Décryptage.
« Dès l’âge de 6 ans, je me suis dit que je voulais ressembler à Barbie quand je serais grande, car avoir la beauté c’est détenir le pouvoir ». C’est ainsi que l’Américaine Cindy Jackson justifie sa quarantième opération esthétique ! Bien que son cas soit plutôt ">Syndrome Barbie
Qu’en pense l’accusée ? « Ridicule ! » Chez Mattel France, dépositaire de ce « petit bout de femme » qui s’est vendu à plus de cinq millions d’exemplaires dans l’Hexagone, on digère mal tous ces griefs. Pour le directeur du marketing Arnaud Roland-Gosselin, « Barbie est simplement un objet ludique. Rien de plus ». Pourtant, le mal est aujourd’hui ciblé, et il porte un nom scientifique : le « syndrome Barbie ». En 2006, des chercheurs britanniques de la ville de Bath ont taillé un costume à ce totem universel. Et il n’était pas en latex rose fluo ! Les conclusions sont sans appel : « Ce jouet inciterait les petites filles à la maigreur dès l’âge de 5 ans ». Devant ce risque, Falon Janet, une journaliste du Philadelphia Inquirer, a même proposé en 1994 une notice d’emploi sur laquelle aurait figuré en grosses lettres le message suivant :« Attention, la plupart des femmes ne deviennent pas comme Barbie ». Inutile de mentionner que ce souhait est rapidement passé à la trappe de l’oubli.
Femme objet
Avec plus d’un milliard de poupées écoulées dans le monde, Barbie a entamé une véritable révolution dans la socialisation des petites filles. Trop pulpeuse, trop sexuelle, trop charnelle, ce « fruit défendu » a tout pour devenir l’égérie… de la lutte féministe. « Elle véhicule la notion de femme objet qui doit parier sur son corps pour réussir dans la vie », s’énerve Hélène Casanova, féministe de la première heure qui considère Barbie comme « un symbole de soumission aux diktats masculins ». Mais ce qui la révolte le plus, c’est que ce gri-gri intemporel « profite de l’innocence des fillettes, en leur permettant d’affirmer leur féminité à un moment de leur existence où elles ne disposent guère d’autres supports ». Soit. Mais en quoi est-ce vraiment un réel danger ? « Si certaines filles ne sont pas en conformité avec le culte de la beauté, elles ont plus de chances d’être ">Qu’on ne s’y trompe pas : Barbie n’est pas qu’une simple « blonde bien roulée », réductrice de l’image de la femme. Derrière ses courbes idéales et son apparence très californienne – ou nordique, dépendant des goûts –, se cache « une insoumise, une mutine, une conquérante ». « Égérie des femmes émancipées » pour certains, « rédemptrice de l’esclave ménagère d’antan » pour d’autres, Barbie a incarné les valeurs de la modernité propre au rêve américain, où les obstacles « macho-culturels » ont été miraculeusement gommés.
Symbole d’émancipation
Il suffit de se pencher sur sa carrière professionnelle pour comprendre qu’elle a été « une avant-gardiste de la promotion féminine ». La croyance populaire la cantonne au rôle de potiche, condamnée à jouer la mannequin, la danseuse étoile ou la rédactrice de mode. Erreur. Tout au long de son parcours, la blonde sulfureuse a aussi officié en tant qu’ambassadrice de l’Unicef, diplomate, et même candidate aux élections présidentielles américaines en 1992. En proposant différentes professions, la compagnie Mattel a « permis à des millions de jeunes filles de s’y identifier et de se projeter dans divers métiers qui sont les symboles d’une émancipation », écrit Helen Cordes, dans son livre Barbie : Bimbo matérialiste ou féministe pionnière ?.
Se rassurer sur sa féminité
À entendre certaines féministes, Barbie serait responsable de tous les excès libertins des adolescentes, devenus dépravées par sa faute. Mais ce raccourci intellectuel ne saurait cacher une autre réalité : « La fillette a besoin d’être rassurée sur sa féminité et Barbie devient le parfait médium de cette demande », explique la spécialiste de la poupée Marie-Françoise Hanquet. En ce sens, ce jouet a bousculé les pré-requis car il est devenu la première poupée sexuée proposant à l’enfant autre chose qu’un rôle de mère nourricière. Alors comment expliquer les réticences à son égard ? Pour Marie Tomasi, mère azuréenne de 49 ans, le problème vient du fait que « la société a du mal à admettre la sexualité en général, et celle de l’enfant en particulier ». Et puis de toute manière, qui a dit que jouer à la Barbie entraînait irrémédiablement les fillettes vers des problèmes comportementaux ? La preuve : tous les fusils offerts aux petits garçons n’ont pas enfanté des générations de tueurs...
Des pays « barbiephobes » (Encadré 1)

Elle a beau avoir envahi le cœur de millions de fillettes, Barbie n’est pas la bienvenue dans tous les pays. Accusée d’être une « poupée juive » en raison des origines ashkénazes de sa créatrice, la poupée a été bannie par l’Arabie Saoudite qui, par l’intermédiaire de son comité pour la propagation de la vertu et la prévention du vice, l’accuse d’être « un symbole de l’Occident perverti ». L’Iran quant à lui n’est pas plus tendre. Dès 1996, Téhéran a interdit à Barbie de fouler le sol iranien afin de « protéger la culture islamique et les valeurs de la révolution », juste avant de lancer Dara et Sara, un couple de substitution relooké version « plus habillée », pour lutter contre « l'invasion culturelle américaine ». Finalement, Barbie est toujours interdite de séjour en Russie, où le ministère russe de l'Education l’a accusée « d’éveiller les pulsions sexuelles des jeunes enfants ».
A l'assaut de la Chine (Encadré 2)

50 ans. Barbie a soufflé ses bougies sans avoir pris une ride, et sans l’usage du botox. Mais il n’en reste pas moins qu’elle a du souci à se faire. Attaquée sur tous les fronts, ses ventes ont chuté de 9% en 2008, victime de l'arrivée sur le marché des poupées Bratz lancées par le concurrent MGA en 2001. Et face à la crise, la compagnie Mattel a choisi de réajuster le tir en direction… de l’Asie. En effet, le groupe a ouvert à Shanghai un magasin de 3 800 m² consacré exclusivement à la célèbre blonde. Avec cette stratégie, Mattel espère offrir une deuxième jeunesse à Barbie en misant sur ce marché en pleine effervescence, dopé par l’appétit des petites filles asiatiques pour les jouets occidentaux.
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