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Billet de blog 9 décembre 2015

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Pourquoi s'horrifier que le PS appelle à voter pour LR? Ils font presque la même politique. (Certes moins pire que celle du FN.)

Depuis quelques jours, on entend des gens se faire qualifier de cons parce qu’ils votent FN, ou LR en se disant de gauche, ou parce qu’ils s’entêtent à voter PS et seraient ainsi complices de l’arrivée du FN au pouvoir. Cette violence verbale est bien excessive. Car dans le fond, franchement, le PS et LR mènent globalement la même politique depuis les années 1980.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C'est en tout cas ce que ressentent certains électeurs ayant perdu tout espoir, et qui en viennent parfois à voter FN. Ce que je dis sans les approuver, seulement pour expliquer, sachant que d’autres, aussi désespérés, s’abstiennent ou votent à l’extrême gauche.

En vrac, sans hiérarchiser, sans prétendre (hélas) être complet, mais en gardant à l’esprit que sur chaque point, le FN veut faire encore pire :

- Le PS et LR détruisent peu à peu toutes les structures qui créaient du lien social : bureaux de postes, agences pour l’emploi, MJC, tourisme social, école, transports publics ruraux, sécurité sociale et CAF. Les villages, les cités-dortoirs, tous les lieux qui s’éloignent des centres-villes où se trouve le pouvoir sont devenus des lieux vides, désespérants, où l’homme n’a plus que sa télé et sa bagnole (avec l’essence de plus en plus chère).

- Même les petits commerces disparaissent, y compris dans les centres urbains. A cause en bonne partie du soutien politique aux ouvertures le soir et le dimanche des super- et hypermarchés.

- Nos gouvernements obéissent en fait à la logique de privatisation décidée à Bruxelles, où ils sont alliés depuis 35 ans pour gérer l’Union Européenne. Cette logique purement financière est inscrite dans la constitution de l’Union. Les élus ne peuvent plus qu’appliquer des règles comptables, gestionnaires en costumes sinistres.

- Une oligarchie nous gouverne ainsi, faite de banquiers, de multinationales, et de leurs alliés politiques et médiatiques. Mais qui s’oppose à cette Union Européenne est traité de souverainiste facho.

- Le PS et LR, dans la même logique, affaiblissent peu à peu le droit du travail. Les jeunes doivent accepter des boulots précaires pendant dix ans avant d’avoir un CDI. Quand ça ne dure pas toute leur vie. La moitié de la population n’a donc pas, en pratique, ni le droit de grève ni celui de protester contre son patron, puisque ces droits nécessitent en pratique d’avoir un emploi statutaire (sinon, c’est la porte).

- La loi Rebsamen de 2015 et la réécriture du code du travail, qui est en cours, vont dans le même sens : elles nient la relation de subordination entre le salarié et son employeur, comme s’ils avaient le même pouvoir et se trouvaient au même niveau (on parle maintenant de « collaborateurs » dans les entreprises.) Ainsi le PS élabore-t-il la pire régression du droit du travail depuis 1945.

- Le PS et LR ferment les yeux sur l’automatisation, qui va supprimer d’ici 10-20 ans la plupart des boulots de caissière, de manutentionnaire et d’ouvrier, en faisant mine que c’est cool.

- Ils consolident ainsi la violence sociale. Chacun pour soi et pour ses miettes.

- Ils copient en même temps les idées du Front National : la vidéosurveillance, les centres de rétention, le communautarisme, l’état d’urgence accompagné de l’interdiction de manifester – tout va dans le même sens, « ferme ta gueule et consomme. »

- Ils méprisent d’ailleurs la démocratie. Les élections servent à reproduire grosso modo les mêmes politiques, à coup de slogans et de postures. Mais qu’on vote déraisonnablement, et notre vote est ignoré (cf. le référendum de 2005 sur la constitution européenne, ou celui des Grecs début juillet.)

- Ils pleurnichent pourtant, avec des petits cris étonnés, quand le FN réalise des scores élevés. Qui a repris ses idées ? Qui a délaissé les 9/10e du territoire ? Qui a oublié de présenter un projet politique positif ? Qui oublie que c’est le même cinéma à presque chaque élection depuis 1984 ?

- D’ailleurs, ils s’allient avec des dictatures et des dirigeants d’extrême droite, de l’Arabie Saoudite à la Turquie et à la Hongrie.

- Et ils méprisent aussi la culture, les idées différentes, les médias alternatifs, les modèles de vie inventifs, l’esprit critique, et j’en passe.

On parle désormais du « tripartisme » français. Il y a plutôt une bipolarisation. D’un côté, le FN a capté l’essentiel du désespoir ; de l’autre, le bloc « républicain » continue tranquillou la privatisation des entreprises, la précarisation du travail, la désertification des zones éloignées des villes, la destruction des services publics, grâce au travail d’une oligarchie (« la caste », dit le FN) qui parvient à construire une dictature des milieux financiers et des très grandes entreprises.

Le FN, nous répète-t-on pourtant, est encore pire. Et c’est vrai, malheureusement. Nous en sommes arrivés à la politique du moins pire. Est-ce pour cela qu’il faut l’accepter ?

Mais que faire ?

On en vient à rêver de vivre chacun pour soi, de construire son bonheur sans télévision, d’ignorer dans un petit village ce qui se passe dans le monde. – C’est une autre illusion.

Il y a aussi l’option d’extrême gauche : le rêve d’une société communiste est hélas inaudible, du fond de désespoir et d’exclusion où se trouve la majorité des gens. L’internationalisme paraît bien abstrait. Quant à la révolution…

Je ne parle même pas de l’option PCF – peut-être, paradoxalement, le seul parti républicain qui reste aujourd’hui. Le glissement vers la droite l’a bien touché, lui aussi, mais sans encore le pousser trop loin.

Que faire, donc ?

Il faudra peut-être des dizaines d’années. Durant lesquelles le FN arrivera peut-être à la tête de l’Etat français et à l’Assemblée nationale. N’ayons pas trop peur : le pouvoir est déjà à Bruxelles et dans les paradis fiscaux. C’est plutôt un berlusconisme à la française qui nous pend au nez, que le fascisme.

Mais construisons un horizon. Celui d’une société relocalisée, avec des produits fabriqués là où ils sont consommés, et des décisions prises là où elles agissent. (Je vais déjà me faire traiter de salopard souverainiste.)

Parlons d’ailleurs de souveraineté : populaire, locale, et même nationale, puisqu’aucun combat international ne se fait sans le ferment d’une langue et d’un contexte politique commun, alors que l’internationalisme d’extrême gauche est souvent bien trop abstrait (ça y est, je suis à vos yeux un nationaliste.)

Recréons un tissu de services publics, et des villages vivables. (On me qualifie maintenant de gros réactionnaire.)

Reprenons aussi l’argent à ceux qui le volent, et refusons d’acheter des produits à des pays qui méprisent les exigences écologiques et les droits de l’homme, y compris le droit du travail. (On me traite à présent de raciste.)

Quittons aussi nos petits mondes de gauchistes de réunions. Faisons du porte-à-porte. Faisons-nous mépriser, insulter, claquer au nez. Ça sera plus utile. (Me voilà démago.)

Allons ainsi vers le socialisme démocratique, le socialisme démocratique, le socialisme démocratique (oh mon Dieu.)

Y a du boulot.

En attendant, pourquoi pas ne voter LR contre le FN ? LR vaut bien le PS, à quelques détails près qui ne m’intéressent guère. L’un et l’autre sont toujours moins pires que le FN. Donc oui, si vous voulez, votons pour eux. A une condition : de ne pas y voir une manière de « sauver notre modèle ». Car pour ce genre de formules, le FN sera toujours plus séduisant et plus efficace.

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