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Billet de blog 21 juin 2015

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Cyclopousses parisiens : l’homme est une bête de trait

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est marrant : en 2013, à Puri, dans l’Orissa, l’un des Etats les plus pauvres de l’Inde, je rencontrais des associations qui luttaient pour l’éradication des cyclo-pousses, ces vélos sur lesquels pédalent des hommes miséreux pour transporter des touristes sans conscience ; et pour remplacer ces engins par des tuk-tuk équipés de moteurs.

Je voyais Bombay débarrassée de ça, malgré les pauvres qui dorment sur le trottoir ; le Vietnam aussi, pour les mêmes raisons ; et Calcutta échouer, car la misère y est trop forte. Mais dans tous les cas, j’avais honte pour ceux des touristes qui acceptaient d’être traînés par d’autres hommes comme on l’est par des bêtes.

Quelle ne fut donc ma surprise, en revenant vivre à Paris, de voir proliférer partout dans le centre ces cyclo-pousses ou vélotaxis (ou rickshaws, pour être moderne et cool) pédalés par de fiers érémistes arrachés ainsi à la honte du chômage…

Deux à quatre gusses s’assoient côte à côte sur les banquettes de ces « transports verts » ; et le ou la cycliste pousse vaillamment sur ses pédales le long de la Seine et des grands magasins, dans la richesse pourtant énorme de la cinquième puissance économique mondiale.

Aucun doute n’est permis sur leur clientèle : les touristes qui par deux, trois ou quatre choisissent de se faire ainsi tracter sont tous inconscients ou dégueulasses.

De même, c’est abject que l’office du tourisme de Paris promeuve ce genre de choses (lien) ; et il est stupéfiant que la Ville ne s’y soit pas opposée avec la plus totale virulence.

Quant aux chefs d’entreprises qui exploitent ce filon, je n’en parle même pas, pour éviter de trop m’énerver.

On peut en revanche être partagé quant aux salariés. Ils ont dû subir de jolies pressions, pour accepter cette sorte de boulot – du genre « il n’y a pas de sot métier », « n’importe quel travail vaut mieux que pas de travail », ou « pédale et ferme-là ou bien on te sucre tes aides sociales. » Mais mon Dieu, quel boulot : faire le chien de traîneau pour des cons ou pour des salauds qui prennent Paris pour un Luna Park, et tout ça dans un sourire cool : il est évidemment beaucoup plus respectable de rester chômeur.

D’ailleurs, New York veut interdire les calèches, parce que les chevaux souffrent trop de traîner des touristes ; selon le maire, ce serait carrément « inhumain » pour les animaux (lien) : les pédaleurs parisiens valent-ils donc moins que les chevaux new-yorkais ?

A propos d’Amérique, c’est bien sûr en anglais que ces rickshaws s’adressent aux touristes – à cause de la croyance que « les touristes parlent anglais », ce qui est une idiotie, même du point de vue commercial : les millions de touristes qui se débrouillent en français dédaignent du coup ces vélotaxis hyper-hypra-cools.

Touriste, tu es un consommateur ; un portefeuille sur pattes, qui parle anglais, langue de l’argent. Tout se tient. Le touriste cultivé qui voit dans Paris autre chose qu’un parc d’attractions vaguement folklo, et qui trouve que parler douze mots de français l’aide à mieux comprendre le lieu où il se trouve, ce touriste-là n’aura pas envie de monter dans ces cyclopousses. Au contraire, ils le dégoûtent souvent. Mais ça, on ne le dira pas, puisque les pros du tourisme pensent qu’un voyage, ça doit d’abord être fun. Ainsi le vendeur du centre de Paris, quand un Espagnol lui parle en français, fait-il soudain son plus grand sourire pour lui répondre en anglais. Parce que c’est cool et que c’est moderne, quand bien même on le paie que le SMIC.

Monte donc dans le cyclopousse avec ton épouse et tes gosses. Fais-toi tirer dix bornes par un ex-érémiste tiré de sa misère.Prends-le bien en photo, entre le latin quarter et la Eiffel Tower. Après tout, vu le prix que ça te coûte, tu vas quand même pas avoir de scrupules.

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