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Billet de blog 17 avril 2023

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Ouvrir un débat qui a trop attendu

. Un livre permet un débat. La mobilisation, grâce à l'unité de l'intersyndicale, montre qu'une reconstruction d'une formation politique de lutte et d’émancipation est d'actualité. Il est possible de gagner le droit au travail toute la vie sans périodes de chômage, que personne ne vive au-dessous d'un seuil de pauvreté à 1200€/mois au moins… .

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ouvrir un débat qui a trop attendu

Militant de longue date, Jean-Pierre Boudine, après avoir suivi le lancement du Parti de Gauche et les suites, l’auteur analyse la « raison gazeuse », dès l’ouverture du livre : « aux dernières élections, nous avons subi un échec et devons en comprendre les causes, en tirer les leçons » (p.11) (Critique de la raison gazeuse, éd. A plus d’un titre, janv. 2023). L’appel à l’unité est venu trop tard : « ce que Jean-Luc Mélenchon a fait en 2022, il pouvait le faire en 2017 (…) ; il pouvait également y tendre les années suivantes. Il s’y est refusé ». Ce retour critique mérite qu’on s’y arrête.

Une réflexion de l’intérieur de la France Insoumise

Selon lui, il faut se souvenir d’une réalité « moins apparente : en mai 2017, Mélenchon n’a pas voulu organiser ses partisans (…) et la France Insoumise n’est pas un mouvement organisé démocratiquement ». Son souci n’est pas ici une analyse développée des adhésions et des contradictions successives de France Insoumise, développées dans d’autres livres [1]. Il précise que dans l’immédiat, nous trouvons un argumentaire développé de l’appel de 1000 militant·es publié dans Le Monde du 26 décembre 2022[2].

Jean-Pierre Boudine « ne vise qu’à ouvrir un débat »[3]. Le cadre est tracé : en 1981, 13,7 millions d’électeurs votent pour l’un ou l’autre des partis de gauche ; ils ne sont plus que 6 millions à voter pour la NUPES à la même échéance en 2022. « La plus grande partie des électeurs de gauche sont devenus des abstentionnistes ». Il résume, de même, l’évolution de la population active, et notamment la progression des emplois occupés par des femmes ; les changements de catégories, entre ouvrier·es et technicien·nes ; le chômage et les formes de la précarité… Son but, auquel il consacre la dernière partie du livre, est de faire en sorte qu’existe « un grand parti du travail, éco-socialiste et démocratique (…) pour l’accès au pouvoir » (p.82 – 101).

Les arguments, l’orientation proposée, comportent des éléments, des repères et des discussions qui méritent qu’on s’y arrête.

 Le peuple de gauche veut l’unité

Revenant sur « la séquence électorale récente », remontant à « l’ivresse des départs… », « l’aventure Mélenchon » l’amène à 2008. Avec le Parti de Gauche et une alliance avec le PCF dirigé par Marie-George Buffet, ce sera « le score à deux chiffres et « Sisyphe trois fois » (p.28).  Jean-Luc Mélenchon oppose sa dialectique de la division à toutes les possibilités successives. On rappellera, l’auteur n’y ayant pas assisté, le Conseil national du Front de Gauche, tenu après la présidentielle de 2012, en décembre. Jean-Luc Mélenchon et ses porte-paroles auraient accepté de discuter des statuts et des relations entre des structures locales et une direction nationale à une seule condition : que leur candidat à la Présidentielle soit d’abord désigné officiellement comme « le Président » du Front de Gauche … Il quitta la salle.

Un rappel des municipales de 2020 montre comment, sans consulter aucune instance de FI, J-L Mélenchon refuse des « soupes de sigles », pour des « listes citoyennes ». Ces élections sont un triomphe pour la gauche municipale. Sans autre discussion, Mélenchon et ses proches font adopter un tournant : la FI appelle à des programmes communs avec EELV, PS, et PC) pour les régionales et les départementales (…) Il s’agit donc de mettre en place des coalitions identifiées par un label » [4].

Pour la présidentielle de 2022, nouveau dilemme, vite tranché « au sommet » : des initiatives visent à l’unité des candidatures, J-L Mélenchon juge qu’il est donc décisif de faire reconnaître qu’il est le meilleur candidat sinon le seul. Rejetée, la démarche « 2022 vraiment en commun » - Clémentine Autain, Damien Carême (EELV) ; Elsa Faucillon, (PCF) Thomas Piketty - ; rejetée la « primaire populaire » qui a cependant réuni quatre cent mille citoyens pour faire le choix d’un candidat présenté et accepté par une majorité à gauche.

Il arrive … presque gagnant

Le pari est joué d’une confrontation gagnante : « ils voteront utile » ! Avec un appui sur les sondages comparés. Mais avec une double limite : la Constitution impose de gagner assez d’élu·es aux législatives pour faire une majorité ou y peser ; et les sondages ne sont pas au garde-à-vous.   Vouloir s’imposer aurait pu ne pas être un « raisonnement plutôt cynique » réussi ; Jean-Pierre Boudine ajoute « que notre camp soit à la merci d’une manipulation sondagière est un problème en soi » (p. 37).

Trois blocs qui sont quatre.

Afin de mobiliser une population, il faut pour le moins procéder comme le fait l’auteur, décompter : « il y a trois blocs électoraux de force presque égale, d’extrême-droite, bourgeois, progressiste (…) le plus fort est le quatrième celui des abstentionnistes, plus de 13 millions d’électeurs »[5]. L’extrême-droite est « en pleine dynamique ».                                             

  Et, quelques jours plus tard, « Jean-Luc Mélenchon lance aux français des mots surprenants  ''Elisez-moi premier ministre !''. Et il fait prendre contact avec ses « concurrents ». Parole miraculeuse, le PCF n’est plus « la mort et le néant » ; mais « le PCF avec lequel nous avons fait deux campagnes présidentielles ».                                                                 

Grâce à « la soupe des logos », l’Unité est devenue l’évidence. Un programme comprenant six cent cinquante propositions a été signé, en quelques jours par la FI, Génération-s, EELV, le PCF, le PS, d’autres organisations dont le POI [6].                                                                   

« L’union en 2022 n’est pas un mensonge, souligne Jean-Pierre Boudine ; c’est la division en 2020 qui en était un ». Il récapitule les accords réels ; même les désaccords sur le nucléaire, utilisés comme diabolisation, sont dans ce texte « une question technique, sociale et politique qu’il ne faut pas traiter comme une question morale, pour ne pas dire religieuse » (p.41-43) [7].                                                                      

On pourrait imaginer cette exigence de clarification durant les quinze dernières années avec ce même réalisme : la machine politique à fabriquer des abstentionnistes n’aurait sans doute pas été à l’œuvre. A les relire, les propositions élaborées dans la foulée de 2005 formulaient en effet un accord alternatif à la droite de gouvernement [8]. Y compris sur le nucléaire [9]. Disons-le nettement.  Grâce à la force d’entraînement de la campagne pour le « non » en 2005, une candidature commune pour la présidentielle de 2007 était possible avec un accord pour faire élire des députés. Un « Front populaire au 21e siècle », pouvait dire un représentant du PCF. Ne soyons pas victimes des mensonges à classer selon leurs dates, comme le montre Jean-Pierre Boudine ! Qu’en serait-il, avec une continuité depuis 2006, du partage entre abstentionnistes et bloc progressiste ? Occasions perdues, mesquineries carriéristes de notabilités du PS ont toutefois laissé le temps à une détérioration accrue des situations sociales [10]  et des relations à la politique.

Changements d’époque

Accompagnons l’approfondissement historique tel que Jean-Pierre Boudine y appelle, en soulignant une raison tout à fait décisive : « une course de vitesse » (p.50).  Son urgence, sur le plan stratégique, vient d’un fait : « les électeurs du RN sont majoritairement issus des mêmes classes sociales que ceux de la gauche, ou les abstentionnistes ».         

D’où un détour par 1917, clarifiant ! Jean-Pierre Boudine reprend la démarche démocratique des bolchéviques devant l’offensive que prépare Kornilov et l’extrême-droite. Le « double pouvoir » se construit comme la cohésion dans des assemblées autour des revendications ressenties les plus essentielles : « la fin de la guerre, la terre aux paysans, la journée de huit heures et une république démocratique ». Expression des « soviets », la force de l’affirmation des conseils locaux et des assemblées locales, auxquels le gouvernement ne veut pas et ne peut pas répondre. Entre quatre et six mois de ces mobilisations, après trois ans de guerre. Diverses grandes manifestations ont lieu, les courants les plus résolus gagnent du terrain …Une tentative de coup répressif, pari raté. Les cheminots et d’autres ouvriers font une grève qui bloque les trains et fait échouer le coup d’Etat. « Plus personne ne défend le gouvernement provisoire, renversé pratiquement sans effusion de sang ».  

Rappelant brièvement les discussions que cela soulève entre les révolutionnaires (Rosa Luxemburg, Anton Panekoek…), il met en évidence l’essentiel à ses yeux, « pas comme un historien » mais comme un militant :  il « voit à l’œuvre la contradiction démocratique par excellence, le vrai sujet, la nécessité du débat, les contraintes de la représentation, les impératifs du combat. »  Pour la même période, il résume aussi d’autres exemples, Italie, Allemagne, Finlande, Bulgarie, Espagne… ; il cerne l’expérience de la Hongrie où le gouvernement révolutionnaire de Bela Kun met en œuvre une politique brutale et perd au profit, finalement, d’un partisan de l’aristocratie qui fit régner une « terreur blanche ».                                                                             

Il affirme un axe de stratégie : « le signe le plus significatif de la profondeur du mouvement, ce sont les conseils (…) c’est-à-dire l’organisation autonome, directe, du peuple travailleur ». Il rappelle ainsi des souvenirs en France même. « En 1968 ce rôle est joué par les comités de grève. Le mot d’ordre ‘’Comité central national de grève’’ a circulé, de même que celui de ‘’Gouvernement populaire’’. Le Parti communiste, largement dominant à cette époque, les a ignorés » (p.62). Dans le mouvement des gilets jaunes, il y avait des ‘’Assemblées’’. Et des ‘’Assemblées d’assemblées’’ ».                                                            

Ce « détour » indique le rôle des Conseils, et indispensable aussi celui du Parti. Et ses critiques au « corps gazeux » voulu par Mélenchon se font les plus dures.

Un affaissement du politique ou un Parti nouveau

Jean-Pierre Boudine s’oppose nettement à la conception, citée avec précision du « mouvement ni vertical, ni horizontal, il est gazeux » [11]. « Nous ne voulons pas être un Parti » dit ainsi J-L Mélenchon en octobre 2017 : « le but du mouvement de la France insoumise n’est pas d’être démocratique mais collectif » (p.63).                                                             

« Le ’’nous’’ est évidemment un pluriel de majesté ». « La ‘’force organisée du peuple’’ qui n’a pas été fichue de se lier, si peu que ce soit, au mouvement des Gilets Jaunes ». Cette remarque de l’auteur pourra paraître trop critique à des membres de la FI qui ont eux-mêmes fait d’amples efforts pour se lier à ce mouvement de mobilisation ; mais il démontre le caractère fictif des « campagnes FI » : « tout le monde est pour les ‘’énergies renouvelables’’, et alors ? » En effet « la FI n’a jamais eu d’autre ‘’direction’’ (au sens d’orientation) que la victoire espérée de JLM à la présidentielle ».                                                                                 

Il s’interroge sur « le parti fantôme », le PG (Parti de Gauche), créé en 2008 puis abandonné entre les mains de deux proches ; résume comment « entre juin 2017 et septembre 2021 (…) personne n’a entendu parler d’un débat, d’une opinion. La FI fonctionne comme une église évangélique » (p.67).                                                                                     

Une vingtaine de pages sont consacrées à présenter « un grand parti du travail, éco-socialiste et démocratique » (…) un « Parti pour l’accès au pouvoir » et « pour l’exercice du pouvoir ». Grande qualité, l’auteur présente ce qu’il estime nécessaire en disant ce qui selon lui doit être supprimé des vieux partis.

Il reprend à son compte, par réalisme, quelques règles simples énoncées par Jacques Rancière, qui « rendraient plus présentable notre démocratie représentative » (p.77-78) : tout ce qui est nécessaire pour empêcher « l’accaparement de la chose publique par une solide alliance l’oligarchie étatique et de de l’oligarchie économique » [12]. S’opposant aux illusions du « populisme de gauche », il reprend des études qui montrent que « dans le monde les gains démocratiques depuis 1989 ont été effacés », et résume une étude montrant une évolution grave entre 2011 où 49% de la population mondiale vivait dans des régimes autoritaires ; et 2021 : 70% vit dans de tels régimes.

D’où les arguments, qui s’enchaînent, en faveur d’un Parti pour accéder au pouvoir : « pas de Parti, pas d’implantation, on est encore dans le tourisme politique ». « Sans les sondages… » ; mais de quelles forces dépendent-ils ? D’une tirade glorieuse dont Frédéric Lordon a l’habitude il retient que « ce sont les dominants qui fixent le niveau de la violence »[13]. Là encore, Jean-Pierre Boudine enfonce le clou avec divers exemples : « le peuple doit pouvoir s’organiser lui-même » (…) il ne peut le faire qu’avec un grand parti éco socialiste démocratique » (p.87).             

Sa critique des « vieux partis » est sans pitié, y compris jusqu’au Tournant de Bologne en 1990 du Parti communiste italien qui a renoncé au mot « communisme et s’est scindé en deux… ».

Ses esquisses sont des accroches pour les débats qui existent déjà : « les militants du Parti du Travail devront nager dans le grand bain, avec tout le peuple » (…) « Le parti sera le lieu du débat public et de la résistance collective pratique, sur le plan local et global ». Cela implique des règles : nombre de « permanents assez peu nombreux, avec des mandats courts », « une rotation des cadres ».                                      

Ses propositions sont plus des impulsions que des conclusions achevées : « Le Parti du Travail devrait être un élément d’articulation entre Assemblées Primaires des villages, des quartiers, et la dimension nationale de la politique, par exemple les élections » (p.94). Il le souligne, l’identité de ce Parti reste elle-même sans doute à construire : « Je l’ai appelé indifféremment ‘’grand parti éco socialiste et démocratique’’, ou encore ‘’Parti du Travail’’(…) En affirmant sa dimension démocratique, il actualise « l’affirmation égalitaire qui est le seul rempart contre la montée autoritaire fascisante » (p.98).

De tels axes de rassemblements et principes de fonctionnement sont manifestement des repères pour une « recomposition » d’une formation politique nécessaire. Sans doute, à ce début de discussion, il est indispensable de reconnaître des aspérités, des différences à respecter, - des domaines d’activité et des groupes militants au sein d’un cadre fédératif démocratique – . Cela vaut pour les Collectifs et Mouvements qui ont leurs mobilisations et leurs interventions idéologiques et culturelles dans leur autonomie :  les organisations nées des luttes des immigrations, ou les expressions du mouvement des femmes, déjà si visiblement trop négligées. Un cadre d’engagements, d’actions coordonnées, débattues et décidées avec l’implication des « gens de la moyenne », hommes et femmes dans leur diversité. Ce souci de précision esquisse la poursuite du débat dont ce livre est l’occasion.                                   

Pour rassembler les moyens d’un Parti, Jean-Pierre Boudine est explicite. Partir des possibilités d’une révolution démocratique : en comprendre les signes, en faire discuter les buts, rassembler les groupes et courants qui en portent des éléments de programme. Son livre a ainsi le grand mérite de fournir des pistes et des questions à discuter.                                                                                                  

Dans l’action, il s’agit de viser les moyens pour ce que Gramsci avait pu appeler « une guerre de mouvement »[14]. Celle-ci, dans les Etats démocratiques modernisés comporte toujours davantage « une guerre de positions », des conquêtes qui rassemblent et permettent une défense meilleure des conditions de vie du plus grand nombre.  Une « guerre de mouvement » n’a rien de la recherche d’un rapide « Grand soir » : elle est « imposée par les rapports généraux des forces qui s’affrontent ». Quelle « offensive » sans préparation pour unir les forces ?

Des débats qui durent : le but et le chemin

Les possibilités viennent de loin [15], avec cette mobilisation occasionnée par le rejet de la contre-réforme des retraites.                                  Pour une bonne mémoire de séquences récentes, il serait regrettable d’omettre la campagne pour le « Non de gauche », victorieuse le 29 mai 2005, et ses suites en 2006-2007 pour une candidature de la gauche alternative rassemblée avec une coordination des collectifs unitaires.  Une campagne commune, dont on pouvait partir pour recomposer une gauche militante [16].

Toutefois plusieurs protagonistes s’y sont refusés. Calculant une chance de gagner dans le PS, J-L Mélenchon choisit de fractionner le « camp du non » et pour la présidentielle de 2007 de faire campagne avec Ségolène Royal ; la direction de la LCR tenait à présenter Olivier Besancenot « pour capitaliser ». Quant à l’alliance alternative possible, elle se termine par la compétition entre « les trois B » : le PCF donnait l’impression de vouloir une campagne unitaire, dont Marie-George Buffet serait une des principales porte-parole, puis il fit tout son possible pour la rendre impossible ; ce qui donna lieu à la campagne de José Bové à côté de celle de Marie-George Buffet avec un score final autour de 2% pour chacun et de 4% pour Besancenot.                                                      

La déception populaire pour les forces de la gauche, manifeste avec les abstentionnistes de 2022, doit être analysée : elle s’était grossie des politiques suivies dans les années 1980, aussi de « la gauche plurielle » de 1997 à 2002, avant de s’approfondir durant la présidence de François Hollande. N’oublions pas que les jeunes qui ont vu une dynamique unitaire possible en 2006-2007 ont maintenant plus de trente ans et peuvent se demander ce qu’il en est des « propositions alternatives ». Ce livre de Jean-Pierre Boudine incite à un effort de mémoire et fait bien vérifier que les aventures de JL Mélenchon n’en sont qu’une séquence.

Vérifications récentes

Combien d’initiatives et de tentatives de « recomposition » d’un projet s’expriment, ainsi marquées, dans FI, dans la NUPES, parmi toutes les autres organisations et forces politiques ? A la fois des groupes et des personnes, jeunes ou retraitées qui ne veulent plus que « cela dure ». Certains avec une mémoire plus ou moins vive ou morcelée. Cela s’était exprimé dans l’Appel « Plus jamais ça ! » [17], dans les tentatives unitaires de 2022 vraiment en commun, des mouvements et campagnes (Extinction-rébellion, Soulèvements de la Terre, Changer de CAP avec les maltraité·es des Caisses d'allocations familiales…).

L’énorme mobilisation populaire rassemblée par l’intersyndicale face à la contre-réforme des retraites vient démontrer la maintien des exigences de justice sociale, de solidarité dans ce pays où 50% de la population s’est abstenu aux législatives de 2022 : des valeurs et des buts communs affirmés malgré les limites manifestes des forces politiques.

Pour ceux qui se soucient d’une « recomposition » et du « dépassement » en vue d’une formation politique, le risque de ne pas sortir de la spirale de la décomposition était durement ressenti.  Certes, les dangers en sont accrus : la gauche ‘’réellement existante’’ avec la NUPES n’est certainement pas à la fin de ses mutations nécessaires. Mais le livre de Jean-Pierre Boudine est stimulant en proposant une analyse de la phase qui peut sans doute se dépasser.

Le mouvement en cours depuis des mois, le rejet de la contre-réforme des retraites, nous amènent à discuter d’une perspective, qui ne sépare pas de construire des « positions » sociales et des changements démocratiques. Pour reprendre les réflexions d’Antonio Gramsci, nous sommes dans un rapport de forces que l’intersyndicale a fait apparaître : le rejet de politiques suivies sur de nombreux domaines, notamment le système de santé, les salaires, les précarités, les régressions des services publics et du rôle d’aide sociale de certaines institutions… Là, un recul encore, cette loi qui concernait tout le monde (après combien depuis 1993, 2003, 2010…).                                                                   

  Résumons, les enjeux.  S’en tenir à défendre un ’’ moindre mal’’, le maintien du statut quo sans la loi, aurait pu paraître une bonne solution ; mais elle aurait montré les rangs des salarié·es se diviser sur tous les sujets : traitement du chômage, revenus réels au-dessous des seuils de pauvreté, recours aux ‘’mutuelles-assurances’’ qui sont le cheval de Troie des fonds de pension et d’une santé à deux ou trois niveaux de qualité…                       

Cela ne s’est pas produit : ce mouvement, que l’intersyndicale a rassemblé, refuse les reculs, veut défendre des droits : pourquoi faire vivre des millions de personnes au-dessous du seuil de pauvreté (1200€) ? Pourquoi ne pas prendre les richesses nécessaires pour le bien commun ? Voilà la discussion des rapports entre mouvement unitaire socialement soudé et objectifs politiques…                                                     

On sait, de l'intérieur même de la FI, que des militants s'organisent pour promouvoir un fonctionnement démocratique qui leur permette de construire leur mouvement et ainsi de mobiliser contre le Rassemblement Nationale et le danger fasciste.

Une nouvelle formation politique peut-elle se rassembler, joue son rôle et s’affirmer ?  

S’en tenir à de petits aménagements, si les points conquis par ce mouvement ne sont pas assez nets, produirait des regrets, reviendrait à désarmer et ce serait sans doute le terreau pour les défaites ultérieures. Ne voit-on pas déjà le Rassemblement national et toute une partie de la droite LR ainsi que sa presse (Valeurs actuelles, Cnews, et certains articles des Echos…) insister sur le recours aux ‘’mutuelles’’ ; voire prôner des ‘’augmentations de salaire sans cotisations à payer’’. Voyons de quoi il retourne : avec cette division ,les forces réactionnaires profiteraient du désarroi de résistances sans perspective mais elles les trouveraient encore trop dérangeantes. Cela ouvrirait la porte à des ’’ contre-révolutions passives’’ (selon l’expression de Gramsci) : le fascisme par voie légale…

Ne pas défendre les moyens pour pérenniser la Sécurité sociale (dont c’est le 75e anniversaire) et la gérer démocratiquement serait en fait préparer la défaite. L’enjeu actuel est entre la remise en cause des institutions de la solidarité sociale, avec ce principe toujours « révolutionnaire » [18], adopté depuis la Convention de l’OIT à Philadelphie (1944), ou une part de socialisation plus grande attribuée au bien commun, à la sécurité de toutes et tous, santé, vieillesse, famille, retraites[19]… Ne pas, de plus, imposer une contribution (impôts ou emprunts forcés à ceux qui ont doublé leurs fortunes en dix ans serait tout à fait opposé aux principes élémentaires de la démocratie…

Nous retrouvons le raisonnement de Gramsci : une guerre de mouvement implique des positions construites, parce qu’elles sont vécues comme unifiantes et vitales, qui se complètent par des buts culturellement et politiquement souhaitables. Oser une révolution démocratique suppose de la préparer avec toutes les composantes de la classe exploitée et opprimée.                                                                

Dans l’immédiat, une expression me semble bien décrire ce qui est à faire : « inventer une insurrection démocratique »[20].

Notes 

[1]-  Manuel Cervera-Marzal, Le populisme de gauche. Sociologie de la France insoumise, La découverte, 2021

[2] - https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/26/nous-membres-de-la-france-insoum

[3]- En 2020,il avait publié « …Ni tribun. L’avenir de nos idées », chez le même éditeur. Il y menait la critique rigoureuse du « populisme » de Jean-Luc Mélenchon et en mettait en évidence les effets destructeurs.

[4] -Les membres de FI pouvaient l’approuver en cliquant sur une touche. Il y eut 14.388 votes.

[5]-  Rappelons les calculs par la comparaison des premiers tours des législatives et 2017 et 2022.

[6] - L’organisation trotskyste dont sont issus Jospin, Mélenchon et d’autres.

[7] - Pour souligner les mensonges voulus en temps de division il faut rappeler qu’un accord avait été rédigé, incluant la façon de traiter les questions du nucléaire, lors de la réunion de la Coordination nationale des collectifs unitaires, née de la suite de la campagne pour le Non en 2005 : elle avait non seulement l’accord du PCF mais aussi de la CGT-EDF, non participante à cette Assemblée mais soigneusement consultée.

[8] - Collectif national du 29 mai, Charte pour une alternative au libéralisme, septembre 2006. Ce document adopté au printemps 2006, disait dans son introduction : « Nos concitoyens ne cessent d’exprimer le rejet des politiques libérales qu’on veut leur imposer depuis vingt ans. Et le 21 avril 2002 est là pour rappeler que notre peuple ne se satisfait plus d’une simple alternance ».    

[9] - On lit, sur la brochure, p. 26, : « En matière énergétique des choix nouveaux doivent s’imposer autour des principes suivants (…). Sortie progressive du nucléaire ou maintien d’un nucléaire sécurisé et public : le débat est ouvert. Un contrôle indépendant doit assurer la transparence du dossier. Un débat citoyen sur  l’avenir du nucléaire serra conduit, de l’information jusqu’à la prise de décision ».

[10] - Michel Husson, Dix ans de crise… et puis Macron,  Alencontre le 25 août  2017Les interprétations de la crise

[11]- https:/le1hebdo.fr/journal/numéros/174/melenchon-dit-tout/politique/_franaise-personnalit.html

[12]- J. Rancière, La haine de la démocratie, La Fabrique éd.2005.

[13]www.youtube.com/watch?v=nmeYnvouPFU

[14] - A. Gramsci, Œuvres choisies, 1959, éd. Sociales ; Cahiers de prison éd. Gallimard Trois tomes ; Guerre de mouvement et guerre de position; Textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan.. La Fabrique éditions,: 2012

[15]- P. Cours-Salies, A la prochaine. De Mai 68 aux Gilets Jaunes, éd. Syllepse, 2019.

[16] - Propositions pour un autre Europe, si le NON l’emporte…https://ensemble-mouvement.com/leurope-un-chantier-a-reprendre/ Et la Charte pour une alternative au libéralisme élaborée et publiée par le Collectif national du 29 mai.

[17]-  "Plus jamais ça ! Préparons le 'jour d'après'", 18 responsables d'organisations syndicales, associatives et environnementales parmi lesquels Philippe Martinez (CGT), Aurélie Trouvé (Attac), Jean-François Julliard (Greenpeace) et Cécile Duflot (Oxfam), signent une tribune commune publiée, vendredi 27 mars, sur franceinfo. Ces organisations lancent un appel "à toutes les forces progressistes et humanistes [...] pour reconstruire ensemble un futur, écologique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral".

[18] - Le travail n’est pas une marchandise (OIT, 1944). Ceci rejoint, notamment, les ouvrages d’Alain Supiot Le travail n'est pas une marchandise, Contenu et sens du travail au XXIème siècle Collège de France 2019

[19] - La proposition d’un Nouveau Statut du Travail Salarié est maintenant partagée, depuis 2004 par la CGT, Solidaire et la FSU. Par les cotisations sociales assurer à tous le droit à un salaire sans chômage de la fin de la scolarité obligatoire à la retraite.  Maryse Dumas,  Démarchandiser le travail pour contrecarrer le capital · La Pensée 2022/4 (N° 412) . Page 17 à 26.

Abolir le chômage, la précarité, la pauvreté ,  Démocratie en crise. Propositions à débattre     https://ensemble-mouvement.com/trois-brochures-chomage-democratie-et-ecologie/  https://ensemble-mouvement.com/mecomptes-du-chomage/

[20] - Etienne Balibar, Inventer une insurrection démocratique, débats Humanité, 12 avril 2023.

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