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Billet de blog 23 juillet 2023

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Racisme et discriminations, début 2023, en France

La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) publie un rapport sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. Ce travail permet un champ d’observation moins soumis aux « commandes » des chaînes « d’information ». Après les déchainements contre les immigrations durant l’année 2022, les résultats de ces observations étaient attendus.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Que disent les observations précises ?

Le Rapport  concernant l’année 2022 vient d’être publié[1].  

Des observations sont réalisées pendant une année, discutées et présentées avec rigueur. D’où l’utilité de pouvoir s’y référer[1].

Sur une échelle de 0 à 100, « l’indice de tolérance » aux « différences » s’établissait en novembre 2022 à 64, soit plus de 13 points depuis 2013 ; mais 2 points de moins qu’en mars-avril 2022. Cette légère baisse, traduit « une définition plus dure de ce qu’est la tolérance », mais n’inverse pas l’évolution de long terme[1].  Cette publication a eu lieu avant les jours de soulèvements des jeunes de banlieues populaires ; raison de plus pour en connaître les analyses.                                           

Au titre des éléments inquiétants du rapport, il faut souligner la montée des préjugés et stéréotypes discriminants à l’égard des rroms, alors qu’une progression de la tolérance des Français·es à leur égard était notée depuis une dizaine d’années[2].  La CNCDH y a consacré une étude particulière.                                                                                               

Rappelons aussi, les « très nombreuses victimes d’actes racistes (qui) ne portent pas plainte », alors que, comme rappelle le Président de la CNCDH, Jean-Marie Burguburu, « Ce sont des délits. Ce ne sont pas des comportements d’incivilité. Parfois, ce sont même des crimes »[3].

Toutefois, les continuités nous feraient courir le risque principal : ne pas voir les véritables inflexions. Ce rapport souligne un fait décisif pour toutes les campagnes antiracistes. « Si le racisme le plus cru, à fondement biologique, fonctionnant sur la conviction qu’il existe des races supérieures à d’autres, est loin de disparaître dans le débat public, il est en net recul dans l’opinion ». « Il est associé à un sentiment de culpabilité et s’entoure de justifications », commente Nona Mayer, politologue.

Pour lutter, savoir ce qui est porteur !

Comprenons cette apparente contradiction des observations sociales ! Les racistes se sentent contraints de justifier leurs attaques en évitant de se réclamer d’un racisme visible. Ce fait doit être connu et reconnu comme une mine de mobilisations : argumenter contre de mauvais raisonnements, c’est bien différent que se heurter à un tsunami de volonté identitaire. Il se redouble d’un autre : 90% des descendants des immigré·es du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne déclarent « se sentir français »[4].

Cessons donc de voir au travers des lunettes de la défaite quand la majorité de la population ressent les rapports humains comme nous. Les campagnes politiques antiracistes se vivent souvent comme « le dos au mur », alors que les éléments existent pour être offensifs.

Résumons. Nous sortons d’une année électorale (2022) marquée par des discours prompts à faire de l’étranger/ère, de l’immigré·e, ou de leurs descendant·es, la cause de tous les maux.  Elle a été suivie de plusieurs mois où la gauche parlementaire s’est assez largement tenue en retrait des mobilisations devant les lois Darmanin contre l’immigration.

Malgré cette offensive et la trop faible présence de celles et ceux qui sont supposé·es agir avec nous, un fait est remarquable : une baisse de l’intolérance dans les données 2022 par rapport à 2021 ; globalement elle est de 23% : on passe de 2128 faits racistes à 1636.

Rappelons que 2021, - avec un total de 2128 faits -, représentait un pic absolu depuis le début de ces enregistrements en 1992.  Il est intéressant alors de se référer à l’année 2019 en sautant l’année 2020 exceptionnelle en raison des confinements. Entre 2019 et 2022, la baisse globale est de 17%.  

Précisons : les « faits antimusulmans » avaient augmenté de 22 % et  ont baissé de 12% de 2021 à 2022. Les expressions redoublées de l’islamophobie n’ont pas eu autant d’effets que redouté. Cela même montre que les pitres dangereux de l’extrême-droite perçoivent sans doute la limite de la vague qu’ils chevauchent. Pour la développer, ils multiplient les « coups médiatiques » et les « Déclarations solennelles » avec l’aide de leurs relais dans la presse. Ils/elles digèrent Ciotti et les autres tristes sires de ce remugle de pétainisme.

Toutefois, nos ennemis du courant fasciste ont un espoir ; et ils veulent l’exploiter autant qu’ils le peuvent. Une singularité notable leur sert de cible :  face à des baisses pour les faits antisémites[5], et pour les autres faits , on enregistre dans cette comparaison avec 2019, une hausse de 22% des faits antimusulmans dans un contexte général de diminution des faits de racisme, qui est suivi d’une baisse plus réduite dans le rapport de 2022.  Pour chacune des trois catégories de faits de racisme (antisémites, antimusulmans, autres faits racistes et xénophobes), la baisse se décline, par importance décroissante :  de 25% pour les faits antisémites à 24% pour les autres faits, de 12% pour les faits antimusulmans.

Percevons bien, avec ce rapport, les forces et les risques. Le rejet des discriminations racistes peut parfaitement s’accompagner d’une progression d’un racisme systémique à l’encontre « des musulmans ». On y voit l’impact de la propagande fascisante contre « le grand remplacement ». On peut aussi délimiter une activité culturelle et politique indispensable : combattre les préjugés, de gauche comme de droite, au sujet des résident·es en France originaires des ex-colonies. Personne ne saurait ici nier une « islamophobie », même si « depuis 2019, malgré la polarisation des débats autour de l’islam et de la laïcité sur les réseaux sociaux et dans la presse, la tolérance à l’égard des pratiques de l’islam a augmenté » (page 191).

Il faut, sans doute expliquer d’où vient le préjugé qui les définit comme « les musulmans » : il ne s’agit pas d’une observation immédiate et réelle, mais de toute une tradition commune à la droite française (colonialiste et impérialiste) et à une certaine social-démocratie[6] tout autant. Comment combattre des préjugés sans une argumentation sur leurs origines ?

La mise au ban de la « nationalité » française, pour les « natifs/ves » des ex-colonies, au nom d’un universalisme très colonialiste, peut être cité avec quelques dates : le refus de les inclure dans le droit du sol en 1889 (cela était réservé aux populations d’origine européenne…), puis « naturellement » leur exclusion du droit lors de la Loi de 1905. Cela laisse des traces, de lourdes habitudes de pensée, de misérables calculs de tactique électoraliste. Historiquement, qui a produit « l’islamophobie » depuis la fin du 19e siècle ?

Souvenirs ! Faudrait-il dénoncer leurs façons de vivre assez solidaires dans leur « communauté » : une option politique de « séparatisme » vraiment ?

Les grognements de vieux colonialistes 

Les politiques à l’égard des immigré·es en ont conduit un grand nombre à des solidarités qui ont une allure de « questions nationales » particulières. A leur encontre, un tel refus des droits politiques consolide une ou plusieurs oppositions. Pour qui veut les remettre en cause, il ne peut suffire de les dénoncer intellectuellement. Il faut en examiner les effets[7]. Quelqu’un se risquera-t-il à faire une enquête sur le gâchis humain ? Sur le seul domaine économique, par exemple prenons un seul fait, le refus de procéder par bilinguisme pour que les « immigré·es » apprennent le français… N’était-ce pas possible dans les années 1930 et à tout le moins depuis les années 1960, alors que plusieurs millions de personnes d’origine arabe ou berbère sont venues en France… Ont-ils/elles été traité·es autrement que comme de la « main d’œuvre coloniale » à domicile dans l’hexagone. Dans des « bidonvilles », encore en 1968…

Faut-il le rappeler, de quand date la découverte par les « pouvoirs publics » d’un ajustement culturel nécessaire ? Tout le monde sait qu’il aurait fallu humaniser les relations, parier sur un « co-développement », mondialement.

Ces personnes qui « gouvernent », la classe dirigeante dans ses variantes politiques, auront mis combien d’années pour lire une évidence ? Cela était inscrit, avec les précisions nécessaires, au terme du tour de France de AC le feu en 2005 ; et en termes voisins lors de la marche de 1983, partie des Minguettes pour protester contre les assassinats de jeunes maghrébins. Et aussi bien avant !

En fait, l’Ecole a joué tant bien que mal une fonction de cohésion : elle a été et reste l’un des principaux dispositifs sociaux qui produisent un barrage contre le racisme. Toutefois Nicolas Sarkozy a décidé en 2008 de s’en prendre à cette institution en mettant en cause le statut et le salaire des enseignants, « ne pas remplacer un enseignant fonctionnaire sur deux partant à la retraite », puis à vouloir traiter les cités « au karcher »[8]

Toute cette offensive politique, sur la durée, a commencé à séparer les types d’élèves : combien de familles font le « choix » du privé « pour ne pas être pénalisées par la présence de gens culturellement trop fragiles » …  Une forme du racisme systémique, en fait, avec les contrôles policiers au faciès et le cloisonnement des statuts qui remplacent le chômage en inventant d’autres noms : mais quelle est la proportion de non originaires de la France (immigrés et descendants d’immigrés) parmi les 11 millions de travailleur·es précarisée·es ?

Une offensive réactionnaire et élitiste, multiforme afin de remodeler les rapports sociaux, est à l’œuvre ; et donc d’autant plus difficile à démêler.

Une « mise en condition », à combattre 

Dans les écoles tout particulièrement, tirant partie de violences de personnes se présentant comme fondamentalistes islamiques, une offensive idéologique a lieu, depuis la loi de 2004.  L’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, a redoublé les émotions.

Des sondages récents (commandés par le Comité national d’action laïque et la Fondation Jean-Jaurès) et la publication du rapport du CNCDH, nous exposent deux versions sociologiques différentes, qui valent qu’on s’y arrête. Nous disposons de deux séries de « données ».

Une série courante, celle de multiples sondages, dont récemment celui de l’IFOP pour le Comité national d’action laïque et celui pour la Fondation Jean-Jaurès[9]. Ceux-ci mettent en valeur, « une forme de contestation au nom de la religion » ou une « forme de contestation au nom de la religion dans sa classe ». Ces données oscillent entre des définitions différentes de la laïcité. Selon ces enquêtes, 43% définissent la laïcité comme « la neutralité de l’Etat par rapport aux religions et aux partis politiques », avec le souci de l’imposer en cours et dans la tenue comme une discipline « nationale ». Rejeter réglementairement, débattre et convaincre… Cela s’opposerait ?                                                                 Si elle est « la garantie par la République de la liberté de conscience de chacun », elle devrait ouvrir un champ de discussions, d’échanges et d’une compréhension ; elle appelle un engagement des enseignants dans cette activité, qui n’était pas la politique du ministre Jean-Michel Blanquer.

Cette confusion entre « laïcité » et rejet des signes d’attachements religieux amène à des inquiétudes politiquement instrumentalisées : « 48% des enseignants disent s’être déjà auto-censurés dans l’enseignement de la laïcité » selon la Fondation Jean-Jaurès citée par Jean-Louis Auduc pour qui les sondages « alarmistes » au sujet de la laïcité traduisent l’ignorance des règles de l’Education nationale[10].

    Demandons si cette technique de « batteries de questions » par téléphone dans un échantillon, sans échanges en vis-à-vis avec les enquêté·es, traduit « l’air du temps » ou des avis réfléchis et précis. Des techniques peuvent avoir des résultats très négatifs, quand les questions sont de l’ordre de l’analyse plus que de l’opinion rapide.   

Les enquêtes et le rapport du CNCDH réalisé durant l’année 2022, apportent des « données » différentes. Nous avons affaire à une série constituée par le CNCDH, qui tous les ans montre des continuités et des évolutions. Certes, les questions ne sont pas formulées de la même façon, avec aussi d’autres questions, avec un « échantillon » massif [11]: 77514 enseignants du premier degré et 2381 directeurs d’école ont reçu un questionnaire en ligne. 27,4% ont répondu. Soit environ 16 000 personnes. 10 % d’entre eux ont fait état d’insultes : 4,8% d’insultes à caractère raciste, antisémites ou xénophobes, soit 0,5%.

 Parmi les collégiens, 21600 ont été invités à remplir un questionnaire en ligne ou papier, pour un taux de réponse de 73,9%, soit 15962. Parmi les 42,7% qui ont fait état d’insultes, les motifs évoqués sont, pour 18,9% l’apparence physique, pour 4,4% l’origine ou la couleur de peau, et pour 0,1% la religion.

Ce débat, alimenté par le rapport 2022 du CNCDH, met en évidence comment le combat politique pour une laïcité respectueuse des croyances et des spiritualités ne peut être séparé des questions du racisme[12] : pour les personnes qui semblent avoir des origines dans les ex-colonies, cela une résonnance si lourde dans toute leur existence !

On comprend bien comment les sondages « alarmistes » au sujet de la laïcité traduisent l’ignorance du rôle et des objectifs de la laïcité dans l’Education nationale, que la droite a manipulée depuis 2004. Une telle dérive amène de l’eau au moulin des pseudos « laïques » du parti Reconquête ou de CNews, qui jugent « la religion musulmane incompatible avec la République ».

Des objectifs et une proposition pour rassembler.

Plusieurs domaines d’activité ont une grande dynamique et peuvent converger.  Le rapport de la CNCDH fait une proposition à la hauteur de la situation. Parmi ses demandes est inscrite l’organisation d’une Convention citoyenne sur les migrations ; elle est soutenue par plus de 90 associations, 70 personnalités et 400 chercheurs[13].

Chaque personne ou organisation pourrait craindre, en faisant cette proposition seul de cautionner les ennemis racistes et souvent fascistes. On entend déjà la presse Zemmour-Bolloré, offensive et relayée par les députés RN et LR : « vous voyez bien que vous reconnaissez qu’il y a un problème avec les migrant·es et les migrations ! »

 Il faut donc simplement, entendre ce que dit cette proposition : refonder une démocratie suppose de dépasser la fausse défense d’une institution en crise. Pour l’assumer, les forces sont immenses, qui veulent une révolution démocratique dans ce pays et chez beaucoup de voisins. Contre les ennemis des libertés qui prétendent gouverner, l’heure est à une « révolution démocratique » ; une convention citoyenne sur les migrations le ferait apparaître comme une évidence.

Énumérons.

Cette Convention citoyenne ne pourrait pas avoir un minimum de crédibilité si un examen des pratiques policières n’en faisait pas partie. Elle mobiliserait de nombreux apports[14].

Comprendre les différences, connaitre les passés. Combien d’historiens faudrait-il citer[15], qui auraient un rôle actif dans cette « Convention » ?

Nous savons bien que les discussions au sujet de la domination coloniale ont un rôle à tenir dans cette bataille culturelle et politique. Pour citer un travail trop peu connu et pourtant décisif, Peo Hansen et Stefan Jonsson ont démontré dans leur livre (Eurafrique, La Découverte, 2022) comment F. Mitterrand et Guy Mollet ont agi comme stratèges pour une France dirigeant son Empire grâce au cadre de l’Europe (CEE) dans les années 1950. Voilà qui met en lumière une part sombre de la 4e République et des débuts de la 5e, gauche colonialiste et droites mélangées durant les années 1960.                                                          

  Rappelons aussi l’ouvrage dirigé par Olivier Le Cour Grandmaison et Omar Slaouti (Racismes de France, La Découverte, 2020). Cela nous ramène à son article à la mémoire de Nahel, tué à Nanterre par la police le 27 juin 2023, comme à celui de Patrick Simon[16].  Et combien d’auteurs s’y joindraient avec dynamisme, d’Annie Ernaux à Eric Vuillard et J-M Le Clézio et Patrick Chamoiseau…  

Cela appelle aussi, évidemment une discussion au sujet des discriminations sociales construites dans ce pays.  Elles sont connues, diffusées, et si peu discutées[17]. Il faut y percevoir une certaine résignation, bien obligé·es, devant une situation où les forces politiques de la gauche n’ont pas cherché à aider pour que soient menés des luttes collectives. Aux un·es les associations de terrain, parfois aidées par de municipalités, ou d’autres instances territoriales ! Les organisations politiques se sont contentées d’attendre une mobilisation sociale, une sorte de Deus ex-machina. Combien se sont contenté de leur rôle populiste, - ou tribunicien- : une expression dans la sphère professionnelle de l’électoralisme.

  Toutefois, les six mois d’unité intersyndicale de rejet de la contre-réforme des retraites sont passées par là. Cela fait un bon terreau pour que tous les courants de ces gauches et de ces syndicats remettent en cause les injustices insupportables.

Le RSA, pour prendre un simple exemple, – qui remplace depuis 2009 le RMI – est conçu pour ne pas dépasser 62 % du revenu minimal (smic), avec un bonus en fonction du nombre éventuel d’enfants[18].  Globalement, la part des étrangers non communautaires dans les bénéficiaires du RMI, puis du RSA, n’a pas varié, autour de 13 % des allocataires (à la fin de décembre 2015, on comptait en métropole 232 000 étrangers non communautaires parmi les 1 709 000 bénéficiaires du RSA socle). Ce n’est pas leur présence qui provoque ce fait, inacceptable dans une démocratie : 9 millions de personnes survivant au-dessous du seuil de pauvreté[19].

Mettre en œuvre une action publique et des actions de correction des situations sociales et politiques, préciser comment changer la police, tels seraient les buts immédiats de cette Convention sur les migrations. Nous ferions apparaître ce qui fait une unité démocratique : les principes de la Déclaration de Philadelphie (1944), avec sa dimension de démocratie, voire d’autogestion dans le cadre des entreprises : « le travail n’est pas une marchandise » [20]; et le texte de la Constitution depuis 1946 (Préambule) : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République.
Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ».

Et Zemmour comme ses complices relanceraient leurs mensonges répétés. Ils affirmeraient, par exemple, que les « 90%" de jeunes de banlieue sont originaires du Maghreb ou d'Afrique » ; Zemmour l’a déclaré le 10 décembre 2021. Et il serait démontré que lui et ses semblables mentent.  De même au sujet des « coûts exorbitants » du droit aux soins médicaux pour les migrant·es… Des débats d’endiguement, certes insuffisants mais pas inutiles.[21]

Nous aurions l’occasion de faire entendre deux réalités, différentes mais appelant réflexion, l’une comme l’autre. Faire la vérité sur les connaissances chiffrées des immigrations, comme François Héran[22] et Patrick Simon l’ont entrepris, depuis des années. Mettre en évidence, au vu de cette présence d’immigré·es si « raisonnable »[23], le réalisme des revendications du collectif « Contre l’immigration jetable »[24].

Une véritable convention citoyenne…

Nous voyons une droite se durcir sur ses objectifs. La musique de ces derniers jours a dérapé, nettement raciste parfois, sur « ils sont Français, mais comment ? » ; elle joue plutôt sur le registre « la République veut une volonté forte, contre les migrations »[25].

Pour consolider une refondation de la démocratie, une double démarche serait sans doute nécessaire. Il serait erroné, par « réalisme », de reporter à « plus tard », ce qui n’est pas du domaine des relations sociales. Dans la logique même de cette Convention, il s’agit de soutenir toutes les mobilisations immédiates, - parfois en cours-, pour demander de nouvelles règles pour la police (remplacement de l’IGPN, interdiction et suppressions des armes létales, limites aux actes de la police pour faire disparaitre les contrôles « au faciès ».  Mais il s’agit aussi de faire disparaître les discriminations de ceux/celles qui subissent, les « deux questions nationales ». 

D’une part, reprendre tous les plans de réhabilitation des territoires, examiner leur état et en réaffirmer les projets utiles sous réserve que leur mise en œuvre soit sous le contrôle des associations et des élu·es directement concerné·es[26].

 D’autre part, une réaffirmation des droits politiques pour les résident·es, le « droit du sol » :  la République définit qui doit avoir les droits de voter et de pouvoir être élu. Dans quelle démocratie voulons-nous vivre ? Il s’agit de réaffirmer un principe politique et citoyen : les résident·es d’origine extérieure à l’UE, au bout de quelques années de vie sur place, font partie de la communauté, en partagent les droits et les devoirs. La question est celle d’une volonté, partagée par la population, afin qu’elle puisse se traduire par un vote des députés à l’Assemblée[27]. Pour l’établir ces droits, nul besoin d’une réforme constitutionnelle. L’article 3 de la Constitution le prévoit. Une majorité simple à l’Assemblée suffit. Refonder une démocratie et combattre le racisme ne se séparent pas.

Les questions à remettre dans le débat politique dans un pays où plus de 50% de la population n’a pas pris part aux législatives de 2022, concernent le plus grand nombre, pas seulement le peuple militant mais aussi celles et ceux qui se vivent comme « les gens de la moyenne ».

Le nombre de soutien à la proposition de Convention citoyenne sur l’immigration le montre[28]. Pour ne pas produire de faux espoirs, elle devrait s’entourer de garanties. Il y a eu l’expérience des conventions des Gilets Jaunes[29] ; et à l’opposé des « consultations » organisées par le gouvernement l’ont été sans garantie du rôle des participant·es dans les synthèses et les conclusions proposées. Cela incite à rappeler les travaux de l’Association Sciences citoyennes [30], qui propose de créer des espaces de discussion ouverts aux informations et en même temps chargés de véritables responsabilités.

Dans la situation politique, on imagine des personnes tiré·es au sort, - volontaires - pour réfléchir, dans des « banlieues pauvres », et à qui on demanderait : « exprimez les décisions qui vous semblent utiles ». On en imagine aussi d’autres, tiré·es au sort pour dire ce qu’elles pensent du RSA et de leur rapport à de possibles emplois. Et d’autres encore sur les activités qu’elles souhaitent d’une police transformée… Il faudrait en priorité que soit exprimée la situation par les intéressé·es au lieu de « toiletter » les rapports empilés depuis au moins vingt ans. Tout cela demande qu’une réflexion commune aux 90 associations fixe des règles et des « ordres du jour ».

 Si un tel processus est assumé par assez d’associations, ce peut être une nouvelle phase du débat démocratique. Toutes les organisations politiques des gauches, notamment celle de la NUPES, devraient soutenir cette proposition.

Même si la procédure, pas du tout habituelle, avait ses défauts, elle serait bénéfique : la démocratie, ce sont les femmes et les hommes, de tous âges, qui vivent dans un territoire commun, font ou acceptent des règles du vivre en commun. Fort justement, le rapport de la CNCDH montre bien les risques et les potentialités.  Et le nombre des associations, syndicats, individus engagé·es, organisations politiques est amplement suffisant pour viser à reconstituer un « nous ».

Le chemin et le but ne se séparent pas, en effet. Il y a les urgences manifestes : il ne faut plus attendre quand on voit si actifs les acteurs de la fascisation. Et nous savons bien que l’espoir de vivre une autre réalité politique démultiplie les énergies individuelles et collectives… Une république est à refaire et pour cela une révolution démocratique est nécessaire [31].

                                      Pierre Cours-Salies      juillet 2023

[1] - Vincent Tiberj : « Tout démontre qu’il y a du racisme dans la police », Mediapart, 4 juillet 2023.

[2] - Il est à noter que 55% des Français·es jugent que ce seraient les Roms eux-mêmes à ne pas vouloir s’intégrer dans la société, contre 50% l’an dernier. https://www.romeurope.org/rapport-cncdh-2023/

[3]- "1,2 million de personnes seraient victimes chaque année d’au moins une atteinte à caractère raciste, antisémite ou xénophobe", note le rapport. Face à ce chiffre, la réponse judiciaire parait dérisoire. En 2021, il n’y a eu condamnation que dans 1 382 infractions à caractère raciste. « Toutefois, souligne-t-il, il demeure qu’une large majorité des victimes ignorent leurs droits ou sont réticentes à porter plainte, et que les magistrats ne sont pas assez formés au contentieux raciste, particulièrement technique (difficultés procédurales, emploi des qualifications juridiques adéquates…) ».

[4] - Trajectoires et origines, enquête de l’Institut national d’études démographiques. https://www.histoire-immigration.fr/agenda/2016-03/trajectoires-et-origines-des-descendants-d-immigres-integration-sociale-et  selon le dernier baromètre des discriminations du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), 91 % des personnes noires en France déclarent être victimes de racisme,    https://histoirecoloniale.net/En-20...

[5] - Une précision ici s’impose : « les faits d’antisémitisme ne peuvent que partiellement justifier la qualification de fait antireligieux ; la vision qu’ont les auteurs de la qualité de « juif » renvoie souvent plus à une perception fantasmée de leur place dans la société qu’à la mise en cause d’une pratique religieuse. (…)  On notera (…)  des « croix gammées dépourvues de tout élément contextuel ciblant spécifiquement la communauté juive», que «dans ce cas de figure, ces symboles sont considérés par le service comme recouvrant une idéologie discriminatoire, raciste et xénophobe générale»( p. 32).

[6] - Rappelons que Jaurès a toujours été en minorité dans ce courant social-démocrate qui se réclame de lui : pour le droit du sol appliqué aux habitants de l’Algérie et contre la mise à l’écart des « musulmans d’Algérie ».

Colonialisme, racisme et droits politiques. Notes à l’occasion de la sortie du film, Tirailleurs (https://ensemble-mouvement.com/colonialisme-racisme-droits-politiques

[7] -Pierre Cours-Salies, Une fabrique pour deux questions nationales ; 9 février 2019, Revue Les possibles, n°19, hiver 2019.

[8] - - https://www.lemonde.fr/societe/article/2010/09/01/qu-a-fait-nicolas-sarkozy-pour-l-ecole_1405281_3224.html

[9] - https://www.jean-jaures.org/publication/les-enseignants-de-france-face-aux-contestations-de-la-laicite-et-au-separatisme/  Méthodologie : Enquête réalisée par l’Ifop par questionnaire auto-administré en ligne du 10 au 17 décembre 2020 auprès d’un échantillon de 801 enseignants des premier et second degrés en France métropolitaine.

[10] - Jean-Louis Auduc : Laïcité. Que de trahisons on commet en ton nom !  (p.118 – 122).  éd. Rue de Seine, 148 p.

[11] - Sont intégrées les chiffres du service statistique du ministère de l’Intérieur et Les données du Service central du renseignement  territorial (SCRT) ; ainsi que les réclamations des particuliers et de signalements des usagers (p. 30  à 65).. Des dispositifs sont aussi en fonction pour les institutions scolaires : 1.1.1.3.2. Les remontées de l’application « Faits établissements » Rapport CNCDH 2023, pages 79 à 84. Dans le rapport, il est souligné aussi que « des actions de formation sont également organisées, auprès des élus et des agents des collectivités locales notamment. Les parquets semblent avoir relevé l’importance de former tous les acteurs de la lutte contre les discriminations, notamment les enquêteurs » (p.90),

[12]- Pour ce rapport, Le terrain de l’enquête a été réalisé du 15 novembre au 29 novembre 2022 par l’Institut IPSOS (qui assure une étude suivie depuis des années). L’enquête a été conduite en face-à-face auprès d’un échantillon de 1214 personnes, représentatif de la population métropolitaine âgée de 18 ans et plus, constitué d’après la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage, après stratification par région et catégorie d’agglomération) (p.120).

[13] -90 Associations relancent l’appel à Emmanuel Macron pour une convention citoyenne sur la migration. Communiqué commun dont la LDH est signataire (27.06.2023).

[14] - En reprenant les plus récentes années d’un éditeur :  Collectif, Permis de tuer. Chronique de l’impunité policière, éd. Syllepse, 2014, 188.  Véronique De Rudder. Sociologie du racisme, éd. Syllepse, 2019, 348 p., Nicolas Mollé Tout le monde sait qui a tué Steve – Syllepse, 2020, 168 p.  Saïd Bouamama, Des classes dangereuses à l'ennemi intérieur, éd. Syllepse, 2021, 500 p, Rachida Brahim, La race tue deux fois. Une histoire des crimes racistes en France (1970-2000). Paris, Éd. Syllepse 2022, 228 p. Hacène Belmessous Petite histoire politique des banlieues populaires, éd. Syllepse, 2022, 200 p.

[15].- Des travaux jalonnent ce chantier : Gérard Noiriel, Le Creuset français. Histoire de l’immigration (xixe – xxe siècle), Paris, Seuil, coll. « L’Univers Historique », 1988 ; réédité en coll. « Points-histoire », Paris, Seuil, 1992. Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Folio, 2005. La France et ses étrangers. L’aventure d’une politique de l’immigration de 1938 à nos jours, 1991 ; nouvelle édition refondue, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2005, 579 p.] Fanny Gallot, Michèle Zancarini-Fournel, Pascal Blanchard, Michelle Riot-Sarcey, Michèle Perrot, Madeleine Rebérioux, Patrick Boucheron…  Parmi les forces par avance mobilisées pour cette opération de prises de conscience, citons les livres sur Bordeaux colonial, sur Marseille, Nantes, Soissons, Rouen, édités par Syllepse. 

[16] -: Les gauches, les immigré·es, les réfugié·es et les racisé·es : mythologie et réalités 

 https://blogs.mediapart.fr/o-le-cour-grandmaison/blog/220623/origines-et-mutations-de-la-xenophobie-d-etat-sur-le-cas-francais.  Patrick Simon, « Pas de racisme systémique en France, vraiment ? » Libération, 14 juillet 2023.

[17] - Pierre Cours-Salies Une fabrique pour deux questions nationales. Dossier : Des migrations et discriminations aux Gilets jaunes Revue Les Possibles, ATTAC, Numéro 19 - Hiver 2019

[18]-https://img.lemde.fr/2016/09/27/0/0/534/787/664/0/75/0/615a4da_14612-emispi.png

[19] — Pour fixer le seuil de pauvreté, la France (comme l'OCDE) utilise le seuil de 60% du niveau de vie médian (soit 1130 euros) voire 50% (soit 940. Si on compte le « seuil de pauvreté » à 50% du salaire médian, seraient plus bas 4 à 5 millions de personnes. Mais, si on le compte à 60% du salaire médian, sont au-dessous 9 millions de personnes.

[20] - Dans cette option de socialisation au moins partielle de la richesse produite trouve sa source la Sécurité sociale et ses prolongements d’actualité comme Sécurité sociale professionnelle ou Nouveau Statut du Travail salarié (NSTS).

[21] - VISA | Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascites visa-isa.org

[22] - François Héran, Le Temps des immigrés. Essai sur le destin de la population française. Paris : Seuil, 112 p. 2007. Lettre aux professeurs sur la liberté d'expression, La Découverte, 2021. Edition la Découverte François Héran, Avec l'immigration Mesurer, débattre, agir, La Découverte, 2017. François Héran - Immigration, le grand déni, Seuil, 2023.

Patrick Simon, L’arbre du racisme et la forêt des discriminations ; dans, La république mise à nu par son immigration, Nacira Guénif-Souilamas  (dir.) La Fabrique Éditions, 2006.  Patrick Simon Pour une République multiculturelle. Textuel, 2015.

[23] - Au premier janvier 2022, il y a selon l’INSEE près de 7 millions d’immigrés en France, sur 67,6 millions d’habitants, soit 10,3% de la population (4,5 millions d’étrangers et 2,5 millions de personnes ayant acquis la nationalité française après leur migration).

[24] - 8 juin 2023 — Communique du collectif « Uni.es contre l'immigration jetable. Pour une politique migratoire d'accueil » (UCIJ), dont la Ligue des Droits de l'Homme, le Gisti… sont partie prenantes …https://www.ldh-france.org › appel-contre-l ’immigration jetable.

[25] - Ambitionnant de diriger cette Droite, l’interview d’Aurélien Pradié met en accusation « l’immigration non contrôlée » (Le Monde 13 juillet)

[26] - Le Fuiqp  le 29 juin 2023  https://fuiqp.org/les-meurtres-des-petits-freres-par-la-police-ca-suffit

Animateur d’AC LE feu, Mohamed Mechmache , https://www.humanite.fr/societe/banlieue-et-quartiers-populaires/banlieues-nos-recommandations-sont-restees-lettre-morte-801629

[27] - . L’article 3 de la Constitution dispose que « sont électeurs tous les nationaux français majeurs des deux sexes ». L’article 3 de la Constitution, en effet, ne dit pas que seuls les nationaux français sont électeurs, il dit que tous les nationaux français sont électeurs. Ce qui signifie une obligation, celle que tous les Français aient le droit de vote, ce qui n’exclut pas une possibilité constitutionnelle simple et claire : que des non-nationaux aient, sous certaines conditions fixées par la loi (une résidence durant deux ans par exemple…), le droit de vote. Une loi ordinaire pourrait donc suffire pour accorder le droit de vote aux étrangers.

[28]- Pour une convention citoyenne sur la démocratie… Le Collectif Citoyen pour la Démocratie que Sciences Citoyennes soutient lance cette pétition sur le site du CESE avec l’objectif de réunir une convention citoyenne dont la feuille de route sera de construire des propositions visant la réforme de la Constitution et des institutions. Déposée au   CESE par Sciences Citoyennes - Action collective mardi 13 juin 2023.

[9]- Le Vrai Débat est un débat citoyen organisé du 30 janvier au 3 mars 2019, au sein du mouvement des Gilets jaunes, afin de délibérer, au niveau national, La plateforme de débat des "gilets jaunes" intègre des fonctions incitant au débat. Les internautes peuvent d'abord voter, sur chaque idée, avec trois choix : "d'accord", "mitigé" ou "pas d'accord"..

[30] -  https://sciencescitoyennes.org/

[31] -  ENSEMBLE ! a publié en janvier 2022 une brochure, - Démocratie en crise.  Propositions à débattre. Sur le site, https://ensemble-mouvement.com -. On pourrait en donner de grandes indications avec un extrait en « Dix mesures urgentes ». Voir aussi P. C-S, A la prochaine, éd. Syllepse, 2019,,« Discutons de buts communs »,  p. 384 – 416.

[1] -  Le rapport s’accompagne de 12 recommandations prioritaires (p. 19 à 21). Il y est d’ailleurs souligné le souci de « Renforcer la formation des magistrats ». De manière générale, la CNCDH continue à s’interroger sur le nombre de magistrats réellement formés à la thématique du contentieux raciste dans sa complexité, en incluant entre autres le droit de la presse, même si elle prend note du renforcement de la formation en la matière (p.89)

Pendant les deux ans  de  pandémie, il n’a pas été possible d’enquêter en face-à-face au domicile des personnes interrogées. Aucune enquête n’a été réalisée en 2020 et les deux enquêtes ont été réalisées en ligne et avec retard, l’une en janvier 2021 pour le Rapport 2020, l’autre en mars-avril 2022 pour le Rapport 2022. Voir CNCDH, La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Année 2020, Paris, La Documentation française, 2021 et CNCDH, La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Année 2021, Paris, La Documentation française, 2022. Cette année-ci, le chapitre « Le regard des chercheurs » (p. 139- 200) s’appuie sur les données du sondage réalisé en face-à-face par l’institut Ipsos du 15 au 29 novembre 2022, auprès d’un échantillon national de 1214 personnes représentatif de la population adulte résidant en France métropolitaine

[1] - La Commission nationale consultative des droits de l’homme, créée le 17 mars 1947, est une institution nationale française de protection et de promotion des droits de l’homme fondée à l'initiative de René Cassin, et accréditée de statut A auprès des Nations unies.

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