Montréal, Qué. Can. Il a neigé pendant quatre ou cinq jours, on ne sait plus, les jours ne se distinguent qu'à peine des nuits. On vit la nuit, on ne voit plus guère le jour. Dans l'arrière cour, la neige a atteint le niveau du guidon de la bicyclette et monte par endroits à l'assaut des murs. La grisaille derriére la fenêtre couvre le silence du blanc, un blanc laiteux, inquiétant. On ne sort plus. Chacun vit isolé dans la grande maison, on ne sait plus qui est là, qui ne l'est pas, ou plus. (Certains sont partis depuis l'automne, on ne sait où. A New York, en France, en Finlande, en Ontario.)
Des pas feutrés, des glissements sur la moquette rouge seuls indiquent parfois une présence que l'on croise au détour d'un palier. Les couples se délitent, les souvenirs défilent, on vit sur la réserve. Chacun chez soi, dans sa chambre, chacun pour soi se rencontre dans le grand salon barocco, flaillé aux dorures. Tous des îles, tous des Robinson . Tous en attente.
On tentera une sortie, sur un coup de fil ou un coup de tête. Par une nuit de grand froid, sur des avenues absolument abandonnées, sauf par le vent. C'est un autre monde qui apparaitra alors, inouï, de l'autre côté de la vitre. C'est le vent qui nous emportera absolument où il veut et quand il voudra, nous n'avons plus aucune prise sur le sol, que les poteaux des réverbéres, qui nous sont des fanaux.
Ou bien, un jour, gris encore, sur une couche de neige tellement épaisse que l'on distingue plus les étangs de la rive, on imitera le pas de l'ours, une poupée de paille dans les bras, un symbole africain, pour se prémunir, et rejoindre les indiens. Ntesi nana shepen.
Et pendant ce temps elle était à Pékin.