« Que la paix soit sur celui qui partage
Mon ivresse de lumière, la lumière du papillon
Dans la nuit de ce tunnel.
*
Que la paix soit sur celui qui partage ma coupe
Dans la nuit dense qui déborde des deux sièges :
Que la paix soit sur mon fantôme.
*
La paix, propos du voyageur en lui-même
Au voyageur venant dans le sens opposé.
La paix, colombe de deux étrangers qui se partagent
Le dernier roucoulement au bord du gouffre.
La paix, deux ennemis qui rêvent chacun
De bâiller sur les trottoirs de l'ennui.
La paix, gémissements de deux amants qui se lavent
Au clair de lune.
La paix, excuse du fort
Au plus faible en armes, plus fort en horizons.
La paix, défaite des glaives devant la beauté
Naturelle, là où la rosée ébrèche le fer.
La paix, journée familière, plaisante, au pas léger
Et qui n'est l'ennemie de personne.
La paix, train qui assemble les voyageurs, qu'ils rentrent
Ou partent en promenade dans les faubourgs de l'éternité.
La paix, aveux publics de la vérité :
Qu'avez-vous fait du spectre de la victime ?
La paix, vaquer dans son jardin :
Qu'allons-nous planter bientôt ?
La paix, voir dans l'œil du renard
L'attrait qui éveille l'instinct de la femme apeurée.
La paix, un aaaah qui cale les sommets
Du mouwashshah dans le cœur d'une guitare qui saigne.
La paix, chant funèbre pour le cœur du jeune homme
transpercé par un grain de beauté
Non par les balles ou les éclats d'obus.
La paix, chanter une vie, ici, dans la vie,
Sur la corde de l'épi. »
Mahmoud Darwich, État de siège, trad; de Elias Sanbar.