Le rêve s'élabore lentement, majestueusement il déploie ses corolles. Les strates de la fable se déposent l'une aprés l'autre, l'une sur l'autre elles se recouvrent et se caressent, se corrodent et s'anéantissent. Et dans l'obscurité du néant s'ouvre une nouvelle fleur qui explose lentement, déployant une force fascinante pour le regard de l'enfant qui lentement s'éveille. Il léve la main, mais notre regard est attiré par ses yeux, semblables à la fleur qui implose, ses yeux qui sont les deux fleurs au centre desquelles perce la nuit où s'élabore le rêve, ou les strates de la fable, nées de l'explosion de la fleur, lentement retombent et se recouvrent, se caressent, se corrodent et s'anéantissent.
Dans la nuit naît un point de lumiére, qui grossit, grandit et prend forme. Cette forme vibre, s'affine, s'affirme et apparait de ce côté-ci du rêve. Cette forme, nous ne pouvons la nommer, pour l'instant. Peut-être reste-t-elle, dans la vacuité du désert, prés du rocher pérenne d'où s'écoulent les sables. Peut-être les choses resteront-elles ainsi, vagues, immobiles et inhabitées. Pourtant quelque chose s'agite autour de la main qui s'est levée, un sentiment humide et clair, le sentiment que l'autre existe, quelque part, ailleurs que dans le rêve.
Des formes s'agitent sous les paupiéres closes de l'enfant, qui habite en celui que nous pouvons nommer, dorénavant. Des formes s'agitent sous les paupiéres de l'enfant qui rêve, et cet enfant loge en celui que nous pouvons nommer, dorénavant : Simon? sans que nous sachions qui de Simon ou de l'enfant rêve l'autre ; sans doute pouvons-nous dire que l'un est l'autre. L'un et l'autre : un, et le désert se referme, les traces de pas sur le sable s'effacent, le sable lui-même disparait, plus ne reste que le rocher immobile, et au sein de ce rocher les formidables vibrations, les ondes de ce qui veut être de l'autre côté de ce qui n'est pas.
Il faut donc que quelque chose soit, et cette chose sera une. Elle ne pourra l'être sans l'autre. L'enfant et Simon se séparent. L'enfant rêve et Simon part sans se retourner, sans même se souvenir de l'existence de l'enfant, il marche, et c'est une rue. Dans cette rue une foule (Il faut que ce soit une foule, une de ces foules dont la houle présente les mouvements de l'océan, cette eau de l'inconscience et de la sentimentalité.)
(Le léger battement d'un voile nous empêche de tout voir de la fenêtre ouverte. Du vent qui lentement le souléve, d'un livre que l'on tenait, et qui a disparu, posé ailleurs par mégarde, parce que l'on pensait à autre chose, qu'un visage dans la memoire s'effaçait, comme si l'on avait tiré le voile sur la fenêtre qui encadrait ces fleurs et ces murs, si nets sous la lumiére exacte, présente, du midi lointain l'absence.
Cela avait commencé par ce que l'on adorait au sommet des montagnes : l'immensité du ciel désert au-dessus de la terre. Crevasses, plaines, lacs, ruisseaux, forêts profondes. Rocs majestueux et sombres, parfois éclairés d'une lumiére aveuglante, parfois soumis à la caresse froide de la pluie. L'habitat, puis l'être humain, l'enfant qui joue devant la cabane, devant la tente. La femme qui se penche sur lui et le prend dans ses bras, le porte contre son épaule et murmure : "Tu ne parleras pas à Ceci-qui-prend-forme comme tu le ferais à Celui-qui-vient", et chantonne doucement une chanson qui parle de retour.
Puis il avait plu, et la nuit menaçait encore.)
(Sous des yeux malicieux et bons, seuls la pluie et l'espace nous abaisse.)