" Noire nomenclature
Un par un, j'apprendrai vos cinq cent vingt-trois noms de députés, vos deux cent quatre-vingt-dix noms de sénateurs, plus vos quarante-neuf noms de ministres, et pensez si je n'oublierai pas votre nom de Président. Un par un, par coeur. A proposé, a voté la guerre. Quand le Président des États-Unis essuie sa bouche de canon, ceux-là garde à vous. La droite en tenue Léotard. Et les autres jetant misérablement leurs roses sur les cercueils à venir. La sinistre, la socialiste habitude ! Élus pour la paix, votent la guerre. En 14 déjà, sitôt Jaurés cloué que courant aux places, la guerre aussi, figurez-vous, a besoin de ministres. Et caetera Vietnam, Algérie, Suez. Les seules qu'ils aient répugné à faire, accordons-leur : celles à Franco et à Hitler.
Quinze ans et plus, les uns après les autres, les uns avec les autres, qu'ils travaillent à faire de ce pays un nain à la botte de ses puissants, lesquels ne savent que mendier les miettes - please ! please ! - échappées du géant qui s'engraisse de tout et de tous. Et ce nain, maintenant : le veulent, le votent sanglant.
Un par un, je réciterai à mes nuits blanches vos huit cent soixante-trois noms de ténébres. Sur chaque tombe qui tombe, il faudra mettre, derriére le nom du mort, les vôtres, et huit cent soixante-trois fois la mention : l'a voulu, l'a voté. Sur les masques gazés, sur les pierres désintégrées, sur les spectres fondus, sur les nuages de suie dérivant mortiféres des champs pétrolifères, sur la prochaine ratonnade dans les cages d'escaliers de la crise, sur chaque sou dépensé pour tuer et que vous n'aviez pas en poche pour soigner et instruire, huit cent soixante-trois fois : l'a voulu, l'a voté. Demain, qui est loin, demain s'il reste des murs entre le Tigre, l'Euphrate et le Jourdain, la Méditerranée et la mer Rouge, entre Haïfa et Ryad, entre La Mecque et Jérusalem, tous seront de Lamentations et maudiront, dans toutes les langues de la terre, et d'abord en arabe et en hébreu, un par un, vos huit cent soixante-trois noms, et les maudiront d'autant plus qu'ils en attendaient, noms français, qu'ils éclairent les chemins de l'audace et de la raison, c'est-à-dire de la paix.
Je n'oublierai pas les autres criminels. Ni le boucher de Bagdad, ni le Bush de Washington. Et je n'oublierai pas non plus les Ponce Pilate s'essuyant, à Moscou et ailleurs, les mains dans le drapeau de l'ONU. Mais ceux-là ne m'ont pas demandé, ne me demanderont pas de les élire. Ceux-là ne souillent pas le nom de France, comme, innommables, vos huit cent soixante-trois noms.
Pour la raison inverse, je retiendrai, députés, sénateurs, soixante-huit bulletins de paix. Ce n'est pas pour moi surprise que d'y trouver les noms de tous les communistes et deux fois celui de De Gaulle. Aux heures de vérité, chacun montre sa pente. Chez les uns, c'est de résister."
(Frédéric Sans, dans "Parti" ) François Salvaing. (Edit. Stock, 2000)