«Je suis un homme ordinaire, dans l'acception normale du mot. Ma vie a toujours été et continue d'être celle d'un petit bourgeois avec une tendance mitigée à la paresse et à l'aventure. Au rêve et au réalisme le plus cru. J'ai essayé d'être un bourgeois mais je n'y suis pas parvenu. Plus fréquemment, j'ai essayé de m'identifier à ceux qu'on appelle prolétaires mais sans y parvenir non plus. Par un hasard qui parfois me surprend moi-même encore en dépit de mon ingénuité, j'ai été bourgeois, ou presque, ou prolétaire, ou presque, au centre de presque tous les événements importants de la vie de mon pays et, par une certaine inclination pour ce qui est noble, je m'y suis naturellement retrouvé au côté du peuple. Qu'une protestation s'élevât quelque part, j'y étais. La vie était laide et c'était bien la faute de quelqu'un. Je n'ai jamais cru qu'on puisse faire autre chose en Espagne, [ ... ] Cependant, n'ayant appartenu à aucune congrégation secrète ou publique, je n'ai bénéficié d'aucune des victoires partielles que nous avons remportées et encore moins des défaites. Tout cela ne veut pas dire que je n'ai pas agi en 1934-1936 près des gens de Moscou et assurément avec une loyauté à toute épreuve parce que du premier au dernier jour de notre brève relation je leur ai fait état de toutes mes divergences. Nous n'avons pas réussi à les résoudre et je me suis éloigné du même pas que je m'étais approché. »
«Je sais que le poète et le politique sont des spécimens opposés et irréconciliables et que les qualités de l'un et de l'autre se repoussent. Quand je me suis approché de la politique, je me suis comporté comme un poète ( j'étais de la sorte un animal indéfinissable ) et parmi les écrivains on me considérait fréquemment comme un politique. Les uns et les autres se trompaient et s'irritaient de se sentir trompés. Mais un écrivain ne peut pas faire l'impasse sur la situation sociale. A notre époque, pour demeurer insensible aux problèmes sociaux, il faut être une crapule ou un imbécile. »
Ramón Sender, extraits du Prologue aux cinq livres d' Ariadna
(trad. Jean-Paul Cortada. Actes Sud, 1990)