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Billet de blog 12 février 2011

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en lisant la dédicace

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dédicace manuscrite

courte, mélancolique, mais d'une mélancolie qui s'annule en se formulant -tendant vers le sublime.

dédicace apparemment plus belle que le livre non lu. Comme si ce livre - reproduit en imprimerie à plusieurs dizaines d'exemplaires, en série - ne devait être que le support et seulement le support de cette dédicace-là, personnellement adressée, unique, manuscrite, comportant le tremblement de la main qui l'a écrite, comportant un instant unique et jamais répété, impossible a répéter dans le tracé de sa trace (la trace de cet instant unique quand cette main a tracé ces lignes)

J'étais en train de penser que ce monde manque de lettres adressées à quelqu'un. Des lettres écrites de l'un à l'autre, cet un et cet autre étant des personnes précises, sachant qui s'adresse à qui, et non des "bouteilles à la mer", qui ne sont souvent que des "bouteilles à l'encre". "A qui tu parles ?" "Aux murs" "Tu parles tout seul ? Tu deviens fou ?"

Alors s'adresser à l'autre et que cet autre soit précisément quelqu'un, que je lui réponde ou qu'il me réponde.

Mais cette lecture (est-il "curieux" que parlant d'écrire j'en vienne à parler de lecture ? - c'est ainsi) se poursuivant je tombai sur deux citations en exergue :

"5-4-51

(Ici il y a encore un large blanc dans ma pensée. Et je doute si jamais il va être rempli.)

"471 . Il est tellement difficile de trouver le commencement. Ou mieux : il est difficile de commencer au commencement. Et de ne pas essayer d'aller plus loin en arriére."

Ludwig Wittgenstein

Or, précisément, parlant de cela avec la personne à qui avait été dédicacé le livre en question, celle-ci évoqua une lettre par elle reçue où était cité René Daumal écrivant : "Le HASARD est plus docile qu'on ne pense. Il faut l'aimer. Et dés qu'on l'aime, il n'est plus hasard, ce gros chien imprévu dans le sommeil des jeux de quilles."

Jeu : il s'agissait bien de cela, sans doute, de savoir à quoi nous allions jouer en retrouvant nos âmes d'enfants qui jouent avec le Temps. A moins que ce ne soit l'inverse, comme l'aurait dit Héraclite : "le temps est un enfant qui pousse des pions. Royauté d'un enfant."

En tout cas, s'il s'agissait de jeu, en voici peut-être, à défaut de fin, la finalité :

"L'analyse nous dévoile des vérités souvent peu plaisantes de notre économie libidinale et des intérêts psychiques à partir desquels nous avions bâti nos pactes amoureux, professionnels, conjugaux. Sommes-nous prêts à les accepter ? Sommes-nous capables de les modifier ? Les années que nous vivons, avec leurs incertitudes économiques et politiques, leur vide idéologique, semblent peu propices à favoriser un tel courage. Mais en même temps, cet écroulement des idoles de tout bord laisse place précisément à l'analyse comme expérience la plus radicale de lucidité que l'être parlant introduit maintenant dans son propre appareil de parole. "Je pense : Qui suis-je ? Et même : Est-ce que je suis ?"

Mais combien d'entre nous en sont capables ? Car, je le répéte, il y a une ombre de stoïcisme dans l'éthique de fin de cure, et l'homme ou la femme qui y accéde fait preuve d'une grande endurance morale, à regarder ainsi, en face, l'image démystifiée de soi et de la communauté. Cependant, si l'analyse est, en même temps qu'une cure, une certaine éthique, elle n'a rien à voir avec l'apprentissage de la sagesse ni avec une religion laïque. Ayant retrouvé, par-delà l'enfance, le temps perdu de ses désirs, l'analysant dans le cours même de son analyse refait son temps, modifie son économie psychique et augmente ses capacités d'élaboration et de sublimation : de compréhension et de jeu. Le cynisme peut devenir alors le signe certain de celui qui s'intégre socialement pour arrêter plus surement son analyse. Dans l'hypothése favorable, au contraire, l'analysé retrouve le désir de remettre en jeu ses vérités : comme le Temps chez Héraclite, il devient capable de faire l'enfant, de jouer."

(Julia Kristeva)

Il fallait sans doute finir sur une citation extraite de "Lector in fabula" ("Le rôle du lecteur") d'Umberto Ecco, mais le temps a passé, il est trop tard, il me faut (il nous faut partir), quitter le lieu d'habitation de la "personne à la dédicace", il ne nous reste plus que le temps de lire ceci :

"Ce livre, ce livre important (entendez : vite inaperçu) est véritablement un livre d'écrivain, car il est d'abord un livre de lecteur."

Dominique Poncet,

dans la revue "Le Nil"

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