"La liberté d'opinion et la liberté d'association sont généralement mentionnées ensemble. C'est une erreur. Sauf le cas des groupements naturels, l'association n'est pas un besoin, mais un expédient de la vie pratique.
Au contraire, la liberté d'expression totale, illimitée, pour toute opinion quelle qu'elle soit, sans aucune restriction ni réserve, est un besoin absolu pour l'intelligence. Par suite, c'est un besoin de l'âme, car quand l'intelligence est mal à l'aise, l'âme entiére est malade. La nature et les limites de la satisfaction correspondant à ce besoin sont inscrites dans la structure même des différentes facultés de l'âme. Car une même chose peut être limitée et illimitée, comme on peut prolonger indéfiniment la longueur d'un rectangle sans qu'il cesse d'être limité dans sa largeur.
Chez un être humain, l'intelligence peut s'exercer de trois maniéres. Elle peut travailler sur des problémes techniques, c'est à dire chercher des moyens pour un but déjà posé. Elle peut fournir de la lumiére lorsque s'accomplit la délibération de la volonté dans le choix d'une orientation. Elle peut enfin jouer seule, séparée des autres facultés, dans une spéculation purement théorique d'où a été provisoirement écarté tout souci d'action.
Dans une âme saine, elle s'exerce tour à tour des trois maniéres, avec des degrés différents de liberté. Dans la premiére fonction, elle est une servante. Dans la seconde fonction, elle est destructrice et doit être réduite au silence dés qu'elle commence à fournir des arguments à la partie de l'âme qui, chez quiconque n'est pas dans l'état de perfection, se met toujours du côté du mal. Mais quand elle joue seule et séparée, il faut qu'elle dispose d'une liberté souveraine. Autrement il manque à l'être humain quelque chose d'essentiel."