Le poéte expérimente l'incarnation de l'humanité dans son être. C'est pour cela qu'il dit "je", qu'il dit "il", qu'il dit "nous".
"J'ai eu raison de garder confiance en ce dernier recours : écrire est bien un abri, car le danger s'est estompé au point de me laisser faire avec aisance et parfois avec bonheur le récit des moments les plus durs que j'eusse encore vécus. -Aprés avoir achevé ce récit, je me suis arrêté d'écrire pendant quelques instants : de nouveau j'ai été menacé, mais de nouveau j'ai été protégé en recommençant d'écrire. Tant que j'écris, je réussis (est-ce que je réussis toujours?) à me maintenir à bonne distance de l'épreuve, et même il m'arrive, au moment où je m'arrête d'écrire, de m'apercevoir alors que j'avais réussi à l'oublier. -Ecrire protége, mais comment pourrais-je être rassuré! Puisque écrire est le seul refuge, je serai donc en sûreté seulement si je continue d'écrire : devrais-je donc écrire sans jamais m'arrêter ! Je suis incapable d'aller d'une seule traite jusqu'à la fin de mon travail, et pourtant, si je m'arrête d'écrire, si à nouveau je tente lâchement de me réfugier dans le monde de la banalité quotidienne où par bonheur, triste bonheur, il ne peut pénétrer, je sais d'expérience que je ne suis pas sûr de réussir."
Roger Laporte. "Une vie" -"La veille"
"Et voici, l'Eternel passa. Et devant l'Eternel il y eut un vent fort et violent qui déchirait les montagnes et brisait les rochers ; l'Eternel n'était pas dans le vent. Et aprés le vent, ce fut un tremblement de terre : l'Eternel n'était pas dans le tremblement de terre. Et aprés le tremblement de terre, un feu : l'Eternel n'était pas dans le feu. Et aprés le feu, une voix de fin silence. Quand Elie l'entendit, il s'enveloppa le visage de son manteau, il sortit et se tint à l'entrée de la caverne."
(Premier Livre des Rois, XIX, 11-13.) Traduction d'Emmanuel Lévinas (En exergue de "Une voix de fin silence" - "Une vie")