IV
(Ripresa dell'intervista, e confuse spiegazioni
sulla funzione del marxismo, ecc.)
(Ah, non è che una vista al mondo, la mia!)
Ma ritorniamo alla realtà."
"(Reprise de l'interview, avec de confuses explications sur la fonction du marxisme, etc.)
(Ah, il ne s'agit pour moi que d'une visite au monde!)
Mais revenons à la réalité.
(Elle est ici, la mine visiblement préoccupée mais lénifiée
par une bonne éducation, qui attend, dans le plan "gris",
suivant la bonne régle du classicisme français. Un Léger.)
"D'aprés vous alors -dit-elle, réticente,
en mordillant son bic- quelle est
la fonction du marxiste?" Et elle s'apprête à noter.
"Avec ... une délicatesse de bactériologue... dirais-je,
(je bégaie, pris d'impulsions mortelles)
déplacer des masses dignes des armées napoléoniennes, staliniennes...
avec des milliards de tenants...
de sorte que...
la masse que l'on dit conservatrice
(du Passé) le perde:
la masse révolutionnaire, l'acquiére
en le reconstruisant au moment de le vaincre...
C'est par l'Instinct de Conservation
que je suis communiste!
Un déplacement
dont dépendent vie et mort: dans les siécles des siécles.
Faire cela doucement, comme quand
un capitaine du génie dévisse
la sécurité d'une bombe non explosée et que,
pour un instant, il peut rester au monde
(avec ses immeubles modernes, autour, sous le soleil)
ou en être effacé pour toujours:
une disproportion inconcevable
entre les deux alternatives!
Un déplacement
à faire tout doucement, le cou raidi,
en se pliant, recroquevillé sur son ventre,
en se mordant les lévres ou en plissant les yeux
comme un joueur de boules
qui, en ondulant, essaie de dominer
la trajectoire de son coup, de la rectifier
vers une solution
dont dépendra la vie dans les siécles."
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VI
(Una vittoria fascista)
(Une victoire fasciste)
Elle me regarde attristée.
"Et... alors vous... -(sourire mondain, gourmand,
conscient de cette gourmandise avec une charmeuse
ostentation - les dents et les yeux étincellent-
d'un léger mépris hésitant, enfantin,
envers soi-même) -alors vous devez être très malheureux!"
"Eh (dois-je admettre)
je suis dans un état de confusion, mademoiselle.
En relisant mon livre dactylographié
de poésie (celui-ci, dont nous parlons)
j'ai eu la vision... oh, si seulement c'était
seulement d'un fouillis de contradictions - les rassurantes
contradictions... Non, c'est la vision
d'une âme confuse...
(Ogni falso sentimento
produce la sicurezza assoluta di averlo.)
Tout faux sentiment
produit la certitude absolue de l'avoir.
Mon faux sentiment était celui...
de la santé. Etrange! en le disant à vous
-incompréhensive par définition,
avec ce visage de poupée sans lèvres-
je vérifie du même coup avec une clarté clinique
le fait
que je n'ai jamais eu, moi, aucune clarté.
(di non aver mai avuto, io, alcuna chiarezza.)
Il est vrai que parfois peut suffire,
pour être sain (et clair),
de croire qu'on l'est... Cependant
(écrivez, écrivez!) ma confusion
actuelle est la conséquence
d'une victoire fasciste.
(Nouvelles incontrôlées, fidéles
impulsions mortelles)
Une petite victoire secondaire.
Et puis facile. J'étais seul:
avec mes os, une mére timide
effrayée (spaventata), et ma volonté.
L'objectif était d'humilier un humilié.
Je dois vous dire qu'ils ont réussi,
et même sans grand effort. Peut-être
s'ils avaient su que c'était aussi simple
se seraient-ils donné moins de mal, et à moins!
(Ah, je parle, vous voyez, avec un pluriel générique: Eux! (Essi!)
avec l'amour complice du fou pour son propre mal.)
Quant aux résultats de cette victoire, ils
comptent bien peu aussi: une signature
de poids en moins dans les appels pour la paix.
Bien, a parte objecti, ce n'est pas beaucoup.
A parte subjecti... Mais laissons cela:
j'ai déjà trop décrit,
et jamais oralement,
mes douleurs de ver écrasé
qui dresse sa petite tête et se débat
avec une naïveté répugnante etc.
Une victoire fasciste!
Ecrivez, écrivez: qu'ils sachent (eux!) que je le sais:
avec la conscience d'un oiseau blessé
qui meurt doucement et ne pardonne pas."
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VIII
(Conclusion funébre: avec tableau synoptique - à
l'usage de la faiseuse du "papier" - de ma
carrière de poète, et un coup d'oeil prophétique sur
l'étendue des futurs millénaires.)
" Je vins au monde au temps
de l' Analogique.
J'oeuvrai
dans ce domaine, en apprenti.
Puis il y eut la Résistance
et moi
je luttai avec les armes de la poésie.
Je restaurai la Logique, et fus
un poète civil.
C'est à présent le temps
de la Psychagogique.
Je ne peux écrire qu'en prophétisant
dans le ravissement de la Musique
par excés de semence ou de pitié."
("per eccesso di seme o di pietà.")
*
"Si désormais l'Analogique survit
et la Logique est passée de mode
(moi avec elle:
je n'ai plus de commande de poésie),
la Psychagogique
est bien là
(en dépit de la Démagogie
toujours plus maîtresse
de la situation).
C'est ainsi
que je peux écrire Thémes et Trains
et même des Prophéties;
en poète civil, bien sûr, toujours!"
*
"Quant au futur, écoutez:
vos fils fascistes
vogueront
vers les mondes de la Nouvelle Préhistoire.
Moi je resterai là,
comme est celui qui rêve son dommage
sur les bords de la mer
où recommence la vie.
Seul ou presque, sur le vieux littoral
parmi les ruines d'anciennes civilisations,
Ravenne
Ostie ou Bombay -peu importe-
avec des Dieux qui s'écaillent, de vieux problémes
-comme la lutte des classes-
qui
se dissolvent...
Comme un partisan
mort avant mai 45,
je commencerai peu à peu à me décomposer,
dans la lumiére déchirante de cette mer,
poète et citoyen oublié"
IX
(Clausule)
"Mon dieu, mais alors qu'est-ce que
vous avez à votre actif?..."
"Moi? -(un bégaiement, infâme,
je n'ai pas pris mon optalidon, voix tremblante
de gosse malade)-
Moi? Une vitalité désepérée."
(Clausola)
"Dio mio, ma allora cos'ha
lei all'attivo?..."
"Io? - (un balbettio, nefando,
non ho preso l'optalidon, mi trema la voce
di ragazzo malato)-
Io? Una disperata vitalità."
(in : "Avec les armes de la poésie"
(traduction : Jean-Charles Vegliante)