"... tout ce que nous sommes est impermanent. De petit deuil en petit deuil de ce que nous croyons être, vient l'acceptation profonde de cette loi de la transformation, qui nous permet d'accueillir pleinement ce qui nous est offert, d'accomplir totalement notre chemin d'humanité et de mourir en paix. La seule chose qui nous appartienne, c'est la vie. Au-delà, je ne sais pas. Mais le simple fait d'être vivant est le miracle. Vivre cela fait de chaque jour un acte de grâce. Je ne sais pas de quoi sera fait l'avenir pour moi, mais jamais je ne cracherai sur la vie. Je crois, par ailleurs, que quand l'homme croit vraiment en quelque chose, qu'il le vit de tout son coeur, de toute son âme, de toutes ses forces dans l'ascése, l'éthique, alors le suggestif s'incarne en lui. C'est une sculpture qui n'a de fin qu'à l'instant de mourir.
En prison, vous étiez isolé, mais pas seul...
Jamais. Durant les cinq derniéres années, j'ai entretenu une correspondance quotidienne de plusieurs heures avec une jeune visiteuse de prison, étudiante en droit à l'époque, qui est ensuite devenue ma femme. C'est elle qui m'a aussi permis de me remettre en question. Jusque-là, j'avais toujours vécu dans le rapport de force. Je ne m'étais jamais ouvert à quoi que ce soit. J'ai commencé à échanger avec elle d'égal à égal et cela m'a amené à une véritable ouverture. A elle d'abord, puis le phénoméne s'est élargi à tous. Elle m'a appris à dépasser ma petite personne, à sabrer mon ego. Sur le même principe de la transformation, j'ai détruit méthodiquement ce que j'avais construit précédemment, et ça m'a ouvert pleinement à la vie. Cette expérience m'a permis de comprendre que la pire des prisons est celle dans laquelle l'esprit peut s'enfermer, se figer et nous séparer du vivant, de la vie. S'évader de cette prison-là est la plus essentielle des évasions. Le lâcher-prise, l'acceptation profonde des différences, l'amour, en sont les clés."
Michel Vaujour, ex-détenu, scénariste. (Vingt-sept ans de prison, dont dix-sept en isolement total.)
(in "Le Monde des religions", janvier-février 2010, n° 39)