françois périgny (avatar)

françois périgny

Abonné·e de Mediapart

314 Billets

7 Éditions

Billet de blog 22 juin 2009

françois périgny (avatar)

françois périgny

Abonné·e de Mediapart

Manifiesto subnormal

françois périgny (avatar)

françois périgny

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La situation psycho-socio-politique est étrange , anormale. Nos références semblent ne plus nous servir. Nous errons quelque peu, sans nos repéres habituels. J'ai demandé à Simone Weil ce qu'elle en pensait. Son message a paru un peu daté. J'ai demandé à Pier Paolo Pasolini. Il m'a répondu dans un soupir bégayant (il n'avait pas pris son optalidon) avant de disparaître dans la nuit. Alors j'ai demandé à un vieil ami, Manuel Vàsquez Montalbàn, ce qu'il pensait de la situation actuelle. Voici ce qu'il m'a répondu, avant de me faire un pied de nez.

Manifeste subnormal

Première partie

LA THEORIE

Il existe un labeur intellectuel qui conduit à l'invention du parapluie, de la brosse à dents, de l'eau lourde, de l'uranium enrichi et de la soupe en sachet. Il en est un autre qui conduit à des formulations gratuites du genre: "Si Dieu est mort, tout est permis." Dostoïevski n'ignorait certes pas que la férocité sémantique de la Mort de Dieu n'était guére plus qu'une trouvaille d'expression, mais il avait moins de marge de manoeuvre que le tsar et bien moins encore que les Gordon Bennett qui, à l'époque, avaient réussi à mettre en place un remarquable emporium du journalisme. Le fait est que telle est bien l'unique ressource de l'activité intellectuelle consistant à créer des paradis artificiels de langage: mettre un nom sur des choses qui existent déjà. L'auteur d'une complainte populaire résout l'inégal combat qu'il livre contre la réalité en affirmant:

On ne vit qu'une fois

Il faut apprendre à aimer et à vivre.

A la même époque, Cesare Pavese sublime sa terreur face à la réalité au moyen d'un journal intime, faussement sincére, qu'il intitule le Métier de vivre. Sartre venait de transmuer une terreur similaire en ce monument linguistique qu'est l'Etre et le Néant. La magie des mots est la seule force que les intellectuels spéculatifs peuvent opposer à l'obscénité du réel. De toutes les trahisons que commet l'intellectuel, une seule est vraiment grave: croire qu'il a compris quelque chose pour la simple raison qu'il a été capable de mettre en ordre une parcelle donnée du langage.

Et à partir du XIXéme siécle, sur le socle artificiel de ce rapport truqué entre le poéte (qu'il se nomme Kant ou Perez Galdos) et la réalité, s'édifie une superstructure factice échafaudée par le critique de la culture. Voilà un entraîneur de boxe qui n'a servi à rien, pas même à jeter l'éponge à temps. Il a d'abord créé une supra-poétique en utilisant de façon éhontée les trouvailles, précaires par nature, du poéte. Puis, contaminé par le rationalisme législatif, il a eu tendance à élaborer les lois et les raisons du comportement poétique, au point que, sous son influence, le poéte a cherché à savoir ce que son critique attendait de lui au lieu d'entreprendre un terrifiant corps à corps avec le réel. De sorte que la lutte s'est engagée aux accents d'une chanson qui n'était que le paysage mélodique de la fuite: le poéte l'avait en partie composée sous la dictée du critique. Aprés les batailles, l'intellectuel s'est mis à chanter des chansons de plus en plus éloignées du public, en entendant par public ce que recouvrait ce concept au temps où Nietzsche, terrorisé, croyait que la socialisation était un couperet suspendu au-dessus de ses testicules en péril. et si les duchesses de la troisiéme République française s'étaient peint la poitrine avec de la purpurine et l'avaient exhibée davantage que la nudité rabougrie de leur répugnant faciés, le droit à la singularisation n'aurait pas été réclamé par des symbolistes de transition contrefaits, et la littérature, la philosophie ou la conversation cultivée seraient des formes d'expression disparues.. C'est grâce à la passivité des classes dirigeantes que la poésie a survécu jusqu'à notre époque, qui n'est guére encline à la cultiver. Le nombre des citoyens qui renoncent à la médiation du langage entre leur peur et la rélaité atteint en effet des proportions alarmantes. Chacun s'en remet de nos jours à la méthode consistant à transfigurer son existence et à faire de ses oreilles, ses cheveux, son cul, ses yeux maquillés autant d'inventions poétiques, signes d'une présence personnelle métamorphosée en instrument d'expression.

Une nouvelle formule semble appelée à revêtir aujourd'hui autant d'importance dans le commerce des mots que la Mort de Dieu. Il s'agit de la mort de l'homme, requiem de l'humanisme XIXéme siécle entonné par des intellectuels terrorisés de s'appeler Foucault et non Werner von Braun. Le désenchantement est un droit historique et même un savoir catégorique s'il est formulé dans un contexte linguistique qui le légitime. L'affirmation de la mort de l'homme est sans acun doute prédéterminée par celle de la mort de Dieu, fait marquant du XIXéme siécle.

Quel est l'homme qui est mort?

Certainement pas l'homme-mesure, si souvent invoqué depuis que les apothicaires de la Renaissance l'ont appelé "mesure de toutes choses". Celui-là , il est mort torturé dans les salles souterraines des palais où résidait le prince de Machiavel, enlisédans les bourbiers de Bohême pendant la guerre de Trente Ans, noyé dans l'Elbe pendant la retraite de la Grande Armée.

Quel est l'homme qui est mort?

Certainement pas Robinson Crusoé, le boutiquier naufragé qui, comme Groucho Marx, est parti du néant pour aboutir à la plus extrême des pauvretés, faisant de la survie une morale qui n'avait pas d'autre fin qu'elle même. Robinson est mort au cours des ports de Chine, dans la défense du libre commerce de l'opium, pendant les guerres impérialistes et victoriennes: il a été tué à coups de monopole.

Quel est l'homme qui est mort?

Certainement pas l'enfant terrible qui, transpercé par l'épingle à cravate d'Appolinaire, s'était assis sur des siéges de mots et assenait ses coups contre des nuages d'essence de violette dans les arriére-salles de cafés-concerts. Celui-là, il est mort durant la Premiére ou la Seconde Guerre mondiale, anéanti par une demi-radiation atomique infiltrée dans un triangle de fromage en portions.

Quel l'homme qui est mort?

Certainement pas le pionnier de Leningrad, l'aiguise-histoire de Et l'acier fut trempé, le pére-petit-enfant-frére-camarade de Dolores Ibarruri, incognito dans son uniforme d'homme total. Lui, il est mort dans l'arriére-boutique du XXéme Congrés, assassiné par un regard glacial de Souslov, empoisonné par la fiévre jaune de l'esprit de Camp David.

Quel est l'homme qui est mort?

Je soupçonnerais volontiers le mort d'être un homme du Viet-nam, un enfant du Biafra, une jeune fille d'Estrémadure qui a avalé de l'eau de javel parce qu'un jeune homme d'Estrémadure a soulevé sa jupe et mis un démon dans son corps. Voilà les morts que je connais et, surtout, que je reconnais.

... se continùa...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.