2.
..."Sans savoir qu'ils vivaient pareillement, comme les canards, je veux dire, ou des lapins, avec de grosses bêtes qui tournent autour, prêtes à les manger, crac! ... Aprés tout, hein, combien faut-il de petits Africains crevant de faim pour faire un occidental bien nourri? Ou combien d'heures de travail harassantes, si je suis ouvrier, caissiére, pour que je me paye ma prochaine Porsche? Si je suis le propriétaire, hein... hé, hé, si je les posséde, eux, elles, toutes ... au détriment de qui, de quoi? De moi aussi, bien sûr. Parce qu'aprés, le soir, quand ils rentrent chez eux, comme des lapins, ils se croient ... je ne sais pas, moi ... ils sont contents, il y a des choses à manger dans le frigo, le salaire tombera à la fin du mois, ils ont vu des femmes nues sur les affiches, allez, hop, on en fait un autre? Et allez, hop, ils engrossent leur femme, leur femme se laissent engrosser, comme ça, en cachette, les volets sont fermés, peut-être qu'il y en a même un des deux qui jouit. Parfois, il y en a un des deux qui sait ce qui se passe, cric, cric, cric, les petis spermatozoides, les petites ovules... Et pendant ce temps, il y a des gens, rares, hein! qui vivent dans le désert. Mais eux ils vivent, hein, vraiment. Je pense à des sorciers, aux étoiles, au froid, au chaud, aux petits lézards."
Le lecteur avait arrêté son mouvement lancinant, il le regardait, droit dans les yeux, le doigt encore posé sur la table, arrêté dans son mouvement circulaire :
-Et pourquoi n'y vivez-vous pas, vous, dans le désert ?
Il avait dit cela sur un ton agressif, d'une voix contenue, mais le mouvement du menton, l'assurance du regard...
Le vieillard souriait, sarcastique. Il marqua un temps, dévisageant le lecteur, le rire lui montait à la bouche, ses yeux pétillaient de malice, plissés, ils en roulaient presque dans leur orbite :
-Et où croyez-vous que je sois? "