Nous sommes encore en plein confinement total qui est le prix du manque de moyens, notamment à l’hôpital, dû à l’incurie des gouvernements qui se sont succédé depuis trente ans.
Ces gouvernements – et présidents de la République – qui par leurs politiques criminelles de démembrement opiniâtre des services publics ont créé de toutes pièces l’impuissance d’Etat d’aujourd’hui et ont rendu inéluctables le désastre sanitaire et économique où nous sommes plongés.
Et que croyez-vous qu’il advint ? Que nos dirigeants se couvrirent la tête de cendres ? Qu’ils firent amende honorable ? Qu’ils s’interrogèrent sur « le modèle de développement … qui dévoile ses failles au grand jour … [sur] les faiblesses de nos démocraties … [sur le fait] que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat‑providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables. » Qu’ils pensèrent « qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » et surtout qu’ils en tirèrent les leçons ?
Qu’en est-il au-delà des pétitions de principe qui n’engagent que ceux qui en sont dupes, sur le mode « mais retenons cela, le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour aux jours d’avant … J’appelle … tous les Français à s’inscrire dans cette union nationale qui a permis à notre pays de surmonter tant de crises par le passé » ?
Chassez le naturel – de la bonne vieille droite et de l’extrême droite alliées au patronat – et il revient au galop !
Voilà-t-il pas que le MEDEF, faisant chorus avec ses chevaliers-servants du gouvernement nous ressort la bonne vieille antienne, usée jusqu’à la corde du « Il faut remettre la France au travail ». C’est par la voix de son distingué président, Geoffroy Roux de Bezieux, que l’organisation patronale a annoncé la couleur dans les colonnes du Figaro, le 11 avril dernier.
En voici un florilège des moments les plus novateurs : « L'important, c'est de remettre la machine économique en marche et de reproduire de la richesse en masse, pour tenter d'effacer, dès 2021, les pertes de croissance de 2020 … C’est la création de richesses qui permettra d’augmenter l’assiette des impôts et donc les recettes, et ainsi de rembourser la dette accumulée pendant la crise … Ensuite, il faudra bien se poser la question, tôt ou tard, du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise et faciliter, en travaillant un peu [sic !] plus, la création de croissance supplémentaire … ».
Le ministre Le Maire et son obscure secrétaire d'Etat à l'Economie de renchérir aussitôt : « il faudra probablement travailler plus que nous ne l'avons fait avant … [pour] rattraper … L'enjeu est de reprendre le travail plein pot » Le cadeau/prêt de 100 milliards d'euros aux entreprises ? « L'enjeu est de donner de l'oxygène aux entreprises pour qu'elles survivent et passent le cap, mais derrière, il faudra mettre les bouchées doubles pour créer de la richesse collective ». Ces propos sont « indignes » voire « indécents » a jugé publiquement le secrétaire général de la CFDT mais, à en croire le président délégué du MEDEF, celui-ci se montrerait en a parte nettement plus conciliant et pratiquerait un double langage – comme à son habitude.
Tout cela s’avère tellement nouveau et surprenant qu’il devient d’évidence que « le jour d’après ne sera pas un retour aux jours d’avant » !
Je voudrais cependant offrir à tous ces visionnaires quelques petits cailloux blancs du passé s’ils se trouvaient soudainement en mal d’inspiration.
« Il faut remettre la France au travail ... Ce ne sont pas des sacrifices que je demande aux Français, c’est un effort plus vigoureux, un effort résolu et tenace qui a pour but de ranimer l’activité, … En vertu des nécessités nationales, comme en raison de la situation générale … il faut qu’on puisse travailler plus de quarante heures, et jusqu’à quarante-huit heures … Et il faut que, sans formalités inutiles ni discussions interminables, toute entreprise qui en a le besoin puisse disposer non plus de quarante heures de travail par semaine, mais des heures nécessaires à son activité … [qui ne seront pas rémunérées] à un taux prohibitif ». (Discours radiodiffusé d’Edouard Daladier : 21 août 1938). Et la presse aux ordres – déjà – d’en rajouter une louche : « Le discours du président Daladier sonne le glas des vacances illimitées dont, depuis 1936, une politique téméraire avait doté notre pays. » (Albert Milhaud dans L’Ère nouvelle : 23 août 1938).
Si Daladier paraît mou – « ni de droite ni de gauche » – on peut trouver nettement plus pêchu, juste après, pourquoi s’en priver : « C'est par la manière dont [les peuples] réagissent qu'ils se montrent faibles ou grands. Nous tirerons la leçon des batailles perdues. … Notre défaite est venue de nos relâchements, l'esprit de jouissance l'a emporté sur l'esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu'on a servi. On a voulu épargner l'effort ; on rencontre aujourd'hui le malheur ». (Philippe Pétain, 20 juin 1940)
« Jamais, dans l'histoire de la France, l'État n'a été plus asservi qu'au cours des vingt dernières années. Asservi de diverses manières : successivement, et parfois simultanément, par des coalitions d'intérêts économiques et par des équipes politiques ou syndicales prétendant, fallacieusement, représenter la classe ouvrière … Tous les Français, ouvriers, cultivateurs, fonctionnaires, techniciens, patrons, ont d'abord le devoir de travailler. Ceux qui méconnaîtraient ce devoir ne mériteraient plus leur qualité de citoyen. » (Philippe Pétain, 11 octobre 1940)
« De plusieurs régions de France, je sens se lever depuis quelques semaines un vent mauvais. L'inquiétude gagne les esprits, le doute s'empare des âmes. L'autorité de mon gouvernement est discutée ; les ordres sont souvent mal exécutés (...) parce qu'entre le peuple et moi, qui nous comprenons si bien, s'est dressé le double écran des partisans de l'ancien régime et des serviteurs des trusts. Les troupes de l'ancien régime sont nombreuses ; j'y range sans exception tous ceux qui ont fait passer leurs intérêts personnels avant les intérêts permanents de l'Etat : … partis politiques dépourvus de clientèle mais assoiffés de revanche, fonctionnaires attachés à un ordre dont ils étaient les bénéficiaires et les maîtres … » (Philippe Pétain, 12 août 1941).
Je n’aurai pas la cruauté de pratiquer l’exercice facile consistant mutatis mutandis, c’est-à-dire au prix du changement de quelques mots seulement, à mettre en parallèle certains discours d’hier et d’aujourd’hui, mais c’est parfois consternant.
En 2002, le premier ministre Raffarin ferraillant contre les 35 heures, repasse le plat, au mot près, « Il faut remettre la France au travail » … C’est le même Raffarin qui, l’année suivante, au cours de l’été de canicule 2003 qui causa la mort de 2000 personnes par jour en raison de l’incurie gouvernementale sur le moment et, comme aujourd’hui, d’une longue politique de désagrégation du système hospitalier, en profita pour voler un jour de congé – cyniquement baptisé « journée de solidarité » – aux salariés, au lieu de démissionner et de disparaître de la vie politique comme c’eut été de mise dans n’importe quelle démocratie digne de ce nom.
Cinq ans plus tard, durant la campagne présidentielle de 2007, le candidat et futur omni-président Sarkozy part à nouveau en guerre contre l’abaissement légal du temps de travail et propose une défiscalisation massive des heures supplémentaires. C’est alors qu’il inaugure la formule devenue célèbre « Travailler plus pour gagner plus ».
En 2016 le même, alors candidat à la primaire de la droite, prononce un discours à l'université d'été du MEDEF : « Je ne vois pas pourquoi on devrait condamner les gens qui travaillent toute la journée parce qu'ils veulent travailler plus et gagner davantage … Tout le monde [en] était satisfait, chefs d'entreprise comme salariés … Pour faire des grosses économies, il faut s'attaquer aux gros budgets … nous avons choisi le nombre alors qu'il faut choisir la qualité … on doit avoir moins de fonctionnaires, mieux formés … Le paritarisme, c'est l'autre mot de l'immobilisme, plus on dialogue, moins on fait … »
Pour l’occasion, Sarkosy est accompagné par Woerth, délégué général du parti Les Républicains mais aussi ancien ministre du Budget qui en 2007 proclamait fièrement : « Nous avons réduit le nombre d’hôpitaux en France, et c’est une bonne chose … Il y a trop de lits d'hôpitaux en France »
Enfin, last but not least en raison du contexte actuel, lors d’un déplacement de campagne à Rungis en avril 2017, le candidat à la présidence Macron estime lui aussi « qu’on peut travailler plus pour gagner davantage » et d’ajouter : « Moi je l'ai dit, je veux être le candidat du travail, je veux être demain le président du travail, remettre le travail à l'honneur, encourager celles et ceux qui travaillent au quotidien ».
Une telle continuité de la pensée réactionnaire, qui n’est curieuse, à vrai dire, que pour ceux qui ne veulent pas la voir ne laisse aucune ambiguïté sur ce qui nous attend pour les « jours d’après » et par conséquent sur les luttes sans merci qu’il y aura lieu de mener. Celles-ci devront nécessairement se placer sur le terrain judiciaire – il faudra, le moment venu, traduire l’exécutif devant les tribunaux compétents pour lui demander des comptes à la fois sur son impéritie quand la crise sanitaire fut venue avec ses milliers de morts et sur les politiques délétères de long terme qui l’ont précipitée et aggravée – mais aussi et surtout sur le plan politique. Ne pensons pas un seul instant que les évènements actuels aient pu changer quoi que ce soit au cœur des gens qui nous gouvernent, malgré toutes leurs belles paroles. Les puissances qu’ils servent sont là pour remettre les pendules à l’heure s’il en était besoin.
Préparons nous à nous battre si nous voulons que nos « jours d’après » ne soient pas ceux qu’ils nous concoctent. (13 avril 2020)