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Billet de blog 12 août 2021

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Ovnis au journal Le Parisien : du journalisme et du ré/déférencement en France

S'il existe un journal qui a rigoureusement rapporté des cas d'ovnis, c'est Le Parisien. Pourquoi nous offrir soudain ce festival d'idées toutes faites sur la série Ovnis de Netflix ? Pourquoi cette série est-elle en fait si informative ? Pourquoi le référencement de cet article s'accroche-t-il ainsi dans Google, quand tant d'informations de valeur restent ignorées ?

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Cet article, de Renaud Baronian (voir ici), est ce que l'on peut appeler une magistrale leçon de journalisme d'investigation, éminement inspirée par le New-York Times, et dans la droite ligne de la déontologie journalistique : « La série documentaire, qui entend apporter des preuves sur les visites d’extraterrestres sur Terre et démonter les contre-enquêtes des services secrets américains, n’est surtout qu’une accumulation d’élucubrations non vérifiées. »

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Voici sur Google l'article certainement le plus insignifiant du journal Le Parisien concernant le documentaire fleuve de Netflix sur les Ovnis. Outre-atlantique le sujet Ovnis est devenu référentiel, évident, partagé par les plus grands titres de la presse écrite et audiovisuelle. Le Sénat US s'en est même emparé. Que googlise Google ? Pas nécessairement la qualité, la pertinence. Cet article en témoigne. La data n'est pas seulement un gisement d'or. Elle est un fait politique, un glissement dans le mensonge quand on tourne autrour des secrets d'états. Ce qui ne risque pas d'arriver au Parisien.

Et le journaliste d'en apporter aussitôt la preuve : « Si les soi-disant rencontres avec des extraterrestres sont depuis longtemps réfutées, pour beaucoup l’existence des ovnis n’est pas une probabilité, mais une certitude », écrit-il, citant Netflix, une référence littéraire en matière de communiqué de presse. Evidemment, Netflix aurait pu écrire : «En décembre 2017, le New-York Times révèle que le Pentagone poursuit une recherche spécifique sur les Ovnis, alors qu'elle avait été officiellement abandonnée à la suite du Project Blue Book, en 1969. Nous ajoutons ensuite que cette recherche a été confiée, du moins officiellement, à Bigelow Aerospace, illustrant l'intérêt que porte l'industrie aéronautique mondiale à la propulsion des engins. Ainsi, en France, du groupe 3AF, qui a contribué à relancer l'aéronautique en France après la guerre de 1939-1945, et se penche en le crédibilisant sur le sujet avec sa commission Sigma, réunissant militaires, scientifiques, ingénieurs et membres du Renseignement.» Mais bien évidemment les rédacteurs du communiqué de presse n'ont pas été voir aussi loin. Reprenant sa plume, notre journaliste du Parisien ne manque pas d'apporter une preuve déterminante. En effet, «C’est ce ''pour beaucoup'' qui pose le plus gros problème : qui sont-ils ? Des illuminés, des affabulateurs, des ''ufologues''  patentés par eux-mêmes, et on en passe...» Saisis d'admiration par cette évidence, c'est avec un délice non feint que nous continuons notre lecture.

Et en effet, qu'apprenons-nous : que la série est divisée en six épisodes. Et notre homme à la carte de presse a tout à fait raison de dire que cela est inintéressant. Et pourquoi cela ?

- en premier lieu, vous découvrirez l'incroyable histoire du projet Blue Book, et d'Allan Hynek, un très grand Monsieur, un très grand scientifique, qui inspira Stephen Spielberg pour Rencontres du Troisième type. Vous y découvrirez comment, après avoir été très libéraux et détendus sur le sujet Ovnis, la communauté militaire américaine a, in fine, construit tout un ridicule sur le sujet lui-même qui a gagné, par effet de mimétisme, le monde entier (jusqu'à un brusque et "inexplicable" revirement à partir de fin 2017) ;

- dans le deuxième épisode, « Le secret de la Maison blanche », vous y découvrirez le MJ12, ce groupe réunissant de manière transversale les personnalités les plus compétentes de l'époque sur le sujet, et qui a été amené à complexifier et étendre son organigramme, a joué un rôle majeur pour aider les USA à s'approprier les concepts et artefacts ovniesques. En réalité, c'est une extraordinaire foison d'informations à laquelle nous assistons, parfaitement sourcées. Beaucoup dans la communauté s'intéressant aux Ovnis ont lu l'acronyme : « For majestic eyes only ». Eh bien, voilà, là c'est expliqué, pourquoi et comment. La qualité des intervenants, connus, comme Nick Pope (Renseignement britannique) nous apprend que le sujet a, historiquement, intéressé des hommes comme Churchill, Roosevelt, puis Truman (et De Gaulle, en passant). Les interventions du National Press Club, par exemple, sont parfaitement détaillées, et l'on ne voit guère ces investigateurs risquer leur crédibilité pour un sujet flou et fumeux... Nous avons droit aussi, par exemple, au discours complet d'une icône absolue, le Président Eisenhower, qui sentait son propre pouvoir s'évaporer dans des lignes de force qui lui étaient défavorables. Mais continuons : Bush, ex-Directeur de la CIA, a tout de même laissé Carter dans le noir à ce sujet, et Reagan prononcé un discours aux Nations-Unies sur une menace «extraterrestre». J'en passe et des meilleurs ;

- dans « Nom de code Aurora », la série s'intéresse plus spécifiquement aux projets de retro-ingénierie à partir des épaves jamais récupérées des Ovnis qui n'existent pas sauf, pour de soi-disants ufologues autoproclamés : c'est en fait tout à fait passionnant, et le nombre d'informations qui ont fuitées est totalement considérable. Je m'interroge cependant car je ne comprends pas comment les intelligences à l'oeuvre autour de ces engins n'ont pas prévues des mécanismes d'autodestruction, ou d'aller tout simplement les rechercher là où ils sont cachés. Si un moteur tel que celui qui est montré existe, cela leur serait facile. C'est, et je le regrette, une question qui aurait dû être abordée dans le documentaire. Ensuite, tout lobbyist sait que, par exemple dans l'administration française, les directeurs sont plus importants que les ministres, car ils ont la continuité avec eux, et la durabilité. Et il en est de même pour les industriels, dans un paysage institutionnel américain où le président de la fédération est passager et limité dans ses pouvoirs par la séparation des pouvoirs, une caractéristique démocratique oubliée désormais en France ;

- dans « Piraté et fuité », nous sommes assez amusés quand nous découvrons Solo qui laisse ce message peu énigmatique aux militaires US : « Votre sécurité est merdique et je continuerai à perturber les réseaux les plus importants »... écrit ainsi le hacker Gary Mac Kinon, sous ce nom de code, sur les ordinateurs du Pentagone. Il travaille alors pour le groupe Disclosure, qui réunit 400 militaires, des spécialistes de l'aéronautique de haut niveau, etc. Arrêté en 2002, Gary a dérobé pas mal de dossiers top secret. Il découvrit ainsi l'existence d'officiers non terrestres et de vaisseaux non déclarés (peut-être une contre intox, au passage). Alors juste une question : comment le contre-vérifier ? Le documentaire n'établit jamais cela comme une certitude. Le Britannique ne sera finalement pas extradé aux USA, après dix ans de procédure. Réponse indirecte sur la valeur de ses trouvailles. Une réponse implicite à la question que je posais plus haut est enfin donnée ici : la fragmentation de la recherche ;

- l'épisode « Les silences soviétiques » est tout à fait impressionnant, et va en fait au-delà de tout ce que l'on peut espérer en terme d'informations inédites et bien sourcées. J'ai envie de vous laissez le découvrir, mais juste une chose : vous y apprendrez comment des vaisseaux non-humains ont activé la mise à feu de missiles nucléaires intercontinentaux, sans que le personnel militaire soviétique puisse les en empêcher... Puis, au dernier moment, ils ont arrêté la procédure. Vous y découvrirez aussi l'épisode de Colares, au Brésil... Petite critique : Netflix aurait dû choisir un titre plus englobant, puisqu'on ne parle pas de la seule URSS, et beaucoup aussi du Brésil. C'est tout bonnement époustouflant ;

- dans la « Divulgation des secrets », Netflix écrit, avec une certaine légereté et beaucoup de certitudes : « Si les Extraterrestres sont venus sur Terre, depuis quand ? Et que nous veulent-ils ? Nous attaquer ? Nous aider ? Ou nous sauver ? » En premier lieu, sont-ce des Extraterrestres ? Pourquoi entendre, si cela est le cas, que les «Extraterrestres» sont un groupe homogène ? Enfin, écoutes Netflix, écoutes bien : tu formules quatre hypothèses, c'est bien. Mais peux-tu te mettre, et les réalisateurs de la série, dans les motivations de tels groupes ? Si une restriction peut être donnée à ce propos, c'est que nous raisonnons en humains sur des motivations non-humaines. Bref, il faut changer d'ensemble, et passer de l'ensemble A qui est celui des humains à l'ensemble B qui englobe humains et non humains. Un saut périlleux, certes, mais qui a été tenté, semble-t-il avec succès, par certains services de renseignements occidentaux, y compris les Français, les Russes et les Chinois ;

Enfin, re-citons notre journaliste, sans abuser du droit de citation : « Jamais ces délires ne sont creusés ou mis en perspective, au lieu de quoi ils sont appuyés par des ''experts'' plus que fumeux, ufologues et spécialistes de l’histoire militaire américaine tous autoproclamés.» En final, le rédacteur nous conseille de regarder les X'files, ou la série Ovnis. (Série kitsh années 1970 produite par Canal + et nous contant l'histoire du Geipan.) C'est totalement subjectif, mais cette série, enfin, bon, hein... Pour les X'files, non, quand même ; bon, oui, dans les années 1990, OK.

Des bémols devaient être apportés à cette série de Netflix : elle aborde le problème sous le seul angle matérialiste et historique (par contre, un A+ pour l'historique). En matière d'Ovnis, le spécialiste sait que l'on a foison de preuves. Presque trop. En matière de services secrets, il est toujours bon de se rappeler l'existence de Jean-Pierre Troadec et d'aller y voir, avant tout jugement définitif. Si l'on est pas convaincu, après... Alain Juillet, ex-Directeur Général de la DGSE de 2001 à 2002 a reconnu dans un documentaire de Canal + « Ovnis, secrets d'Etats », l'existence « d'engins non humains ». Il a récidivé sur Paris Match, puis lors d'une longue interview donnée à une association dénommée le « Vertical Project », et a même suggéré que l'on s'intéresse aux dernières théories de la conscience et aux interactions de celle-ci avec le phénomène Ovni. C'est donc de ce côté-là qu'il faut aller gratter si l'on veut avoir la chance de percevoir le linéament des pensées exogènes à notre monde humain. Et c'est certainement ce qui manque à la série de Netflix. Car l'on comprendrait bien les lignes de faille qui sont nées entre les partisans de la disclosure et les complexes militaro-industriels, les raisons de fond d'une grande quantité de morts suspects, et pourquoi le ridicule tue davantage encore, et que croire ce sujet ridicule est tout simplement s'avouer manipulé.

Comme nous savons, le référencement sur Google obéit à de grandes règles. Il existe deux façons d'afficher votre site Internet en haut de Google : en créant des publicité Google Ads (référencement payant, ou SEM pour Search Engine Marketing). Ou en remontant naturellement dans la première page Google (référencement naturel ou SEO). Critères : Contenu unique et intéressant : NON, franchement, pour cet article. Présence d'une page de contact : OUI. Niveau de confiance (TrustRank) : nombre de liens pointant vers le site en provenance de "sites de confiance" : "OUI". Architecture du site : OUI. Fréquence des mises à jour du site : OUI. Nombre total de pages : OUI. Plan du site : OUI. Non-activité du site : NON. Voir ici pour plus de détails). Evidemment, la question qui se pose est celle de "sites de confiance". Et c'est bien là que se glisse la censure...

Pierre-Gilles Bellin,
auteur des Ovnis papers : une déclassification française
(Editions Arca Minore, février 2022. Voir ici)

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