LGBT en Russie: trouble-fêtes à Sochi
et têtes de turc du régime
13 septembre 2013 | Par
Pierre Gouet
De Pierre GOUET en collaboration avec Arthur CLECH
Les homophobes mains dans la main
Les médias russes officiels ont abondamment relayé les manifestations contre le mariage gay
en France afin de mettre en valeur la loi récemment signée par Poutine le 1 er juillet dernier
interdisant la prétendue « propagande » de l'homosexualité auprès des mineurs. Des alliances se
nouent à travers les frontières entre homophobes. La constitution d'une association européenne de
défense des droits de la famille patronnée par la comtesse Ludivine de la Rochère, ex- chargée de
presse de la Conférence des évêques de France, s'est avérée très offensive tant auprès du parlement
européen, qu'auprès de la Douma . Elle a en effet témoigné auprès de la commission présidée par
Elena Mizoulina pour communiquer des éléments erronés sur le poids de son association et le
nombre d'homosexuels en France. Elle a affirmé que la Russie était plus démocrate que la France.
En début juillet, une manifestation de soutien organisée devant l'Ambassade de Russie à Paris a
appelé Vladimir Poutine à aider l'extrême-droite dans sa lutte contre l'homosexualité.
En revanche, jusqu’il y a peu( c'est à dire dimanche 8 septembre), les LGBT français ont
guère été actifs pour protester contre cette loi contrairement aux LGBT hollandais notamment.
Alors qu'on connaît la répression auxquels les activistes LGBT russes doivent faire face dès qu'ils
cherchent à protester contre la « loi anti-gay ». La pression internationale à propos de l'application
de la célèbre loi anti gay lors des prochains jeux olympiques est parvenue à mettre mal à l'aise les
autorités russes. Le 30 août dernier, l'appartement du leader de Gay Russia, Nikolai Alekseev, a été
perquisitionné, montrant par là que les autorités craignent que les LGBT russes puissent jouer aux
troubles fêtes lors des jeux olympiques de Sochi imminents.
Alexeï Navalny, candidat à la mairie de Moscou, figure phare de l'opposition russe, ,
candidat libéral à la Mairie de Moscou) a promis que s'il était élu, il supprimerait les mesures
discriminatoires à l'égard des homosexuels-les. D'après un sondage du site gay.ru, 70 % des sondés
du site voteraient pour lui.
Une surenchère homophobe : quelques faits
Afin de compléter l'arsenal juridique homophobe, un projet de loi a été déposé le 5
septembre afin de retirer les enfants aux familles LGBT, sachant que selon le texte du projet de loi,
un tiers des homosexuels auraient des enfants.
Certains hommes politiques d'extrême droite (parti LDPR) renchérissent dans la démagogie
pour flatter leur électorat en stigmatisant l'homosexualité. Mikail Degtiarev, député de Samara
spécialisé sur les questions de santé à la Douma, a affirmé récemment que plus de la moitié des
séropositifs sont homosexuels. Il a alors proposé de leur interdire de faire don de leur sang alors que
selon les statistiques officielles du centre fédéral du Sida, moins de 2% des infections affecteraient
les homosexuels et les bisexuels. Il a proposé également aux homosexuels des consultations
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gratuites afin qu'ils « deviennent » hétérosexuels.
A Khabarovsk, une grande ville située dans l'Extrême- Orient russe, un groupe s'appelant
« Contre la propagande des perversions sexuelles » a lancé une pétition rassemblant près de 700
signatures afin d'exiger de l'administration locale la démission d'Alexandre Ermochkine, un
enseignant de géographie, activiste LGBT. Celui-ci a préféré demander sa démission afin d'épargner
sa directrice qui refusait de le renvoyer sous de faux prétextes et risquait alors d'être elle-même
renvoyée. Depuis, il est déterminé à faire appel.
Avant même le nouveau projet de loi orienté contre les familles homoparentales, Macha
Gessen, activiste américano-russe LGBT et mère de trois enfants, annonce qu'elle quitte la Russie
avec ses deux filles pour les USA et qu'elle y a déjà envoyé son fils adopté juste avant l'entrée en
vigueur de la célèbre loi « anti gay ». Elle demande aux USA d'offrir l'asile politique aux LGBT
russes.
Un autre regard sur le situation est-il possible ?
Pour en savoir plus, j'ai engagé une discussion avec un jeune chercheur travaillant sur la
question. Mes échanges fréquents avec Arthur Clech, séjournant actuellement en Russie et écrivant
une thèse sur l'homosexualité dans la Russie contemporaine à l'EHESS (Paris), m'ont permis de
réfuter certaines idées reçues :
Selon lui, l'appartenance à la religion orthodoxe « est avant tout revendiquée de manière
identitaire sans que cela n'implique nécessairement un endoctrinement de la population tel que
certains médias français le présentent. Certes, l'institution même de l'Eglise a une réelle autorité
mais il est difficile d'évaluer son influence sur une population qui, rappelons le, n'est guère
pratiquante. En tout cas, cette « administration » cléricale se discrédite de plus en plus dans sa
collaboration avec le pouvoir politique et financier. Hormis la désormais célèbre Elena Mizoulina,
mais aussi de l'ancien baptiste reconverti à l'orthodoxie, et le député Vitaly Milonov, père du projet
de la loi anti-gay à Saint-Pétersbourg, bien d'autres encore au sein de la classe politiques se fondent
sur une définition religieuse des traditions russes qui seraient exclusivement orthodoxes. Bien sûr, si
besoin a, ils peuvent en appeler aux autres confessions largement représentées en Russie
(protestantes, musulmanes, juives) lorsqu'elles les soutiennent dans leurs initiatives. » Il ajoute : «
De plus, cette loi anti-gay a été prise en même temps que la loi sur les « offenses aux sentiments
religieux des croyants »qui a été adoptée, rappelons-le, suite à la prière punk des Pussy Riots. Il est
intéressant de noter qu'une des membres du groupe, actuellement en prison, Nadejda
Tolokonnikova, m'a confirmé dans un entretien, le 10 juin 2011, qu'elle se considérait aussi comme
une activiste LGBT. » Il n'y a rien de nouveau à ce que la terminologie orthodoxe taxe
l'homosexualité de « péché », mais sa virulence à l'encontre de l'homosexualité est inédite : il est
clair désormais qu'elle fait de l'homophobie son fond de commerce ».
« Cependant, réduire l'homophobie au seul phénomène du « retour du religieux » serait
inexact. En effet, l'homophobie a une histoire vivace en Russie à partir notamment de la
recriminalisation de l'homosexualité sous Staline en 1934. En 1993, l'homosexualité a été
dépénalisée notamment pour permettre à la Russie de rentrer dans le conseil de l'Europe. À peine
une génération de Russes a connu la dépénalisation de la « sodomie » que l'homosexualité, sous le
terme de relations non traditionnels
(« netradicionnye otnoshenija »), se trouve à nouveau sous l’oeil
vigilant de la loi. Cette sexualité prétendument « déviante » abuserait de la vulnérabilité des
mineurs, prompts à se convertir à cette sexualité « extrémiste ». Comme lors de la recriminalisation
de l'homosexualité sous Staline, l'homosexualité est présentée comme une menace sur la jeunesse.
En outre, l'amalgame avec la pédophilie est encore entretenu. »
Les comparaisons que moi comme d'autres ont été tentés de faire entre Poutine et Hitler se
révéleraient inexactes selon le jeune chercheur : « Vladimir Poutine se définit comme un
« pragmatique à tendance conservatrice » et la loi qu'il a signé le premier août de cette année fait
songer davantage aux mesures législatives adoptées par Thatcher il n'y a pas si longtemps. Par
ailleurs, il ne faudrait pas exagérer la popularité de Poutine auprès de Russes qui ne s'intéressent
guère à la politique. »
Enfin, l'homophobie violente est essentiellement le fait de « groupes marginaux d'extrême
droite (ultra-nationaliste et ultra-orthodoxe), voire aussi de «
gopniki », de groupes de jeunes
hommes, voire d'adolescents, cherchant la bagarre. Or, il y a de la part des autorités russes une
indulgence, voire une complicité, à l'égard de ces groupes et des violences qu'ils commettent envers
les LGBT. »
Une chronique à deux mains pour donner la parole à des LGBT russes
La couverture médiatique de l'actualité LGBT en Russie me semble essentielle tout comme
sont essentielles les dernières mobilisations, auxquelles j'ai participé notamment à Paris, pour
protester contre les atteintes aux droits des LGBT en Russie. L'enjeu consiste à témoigner une
solidarité à l'égard des LGBT russes, afin qu'ils sortent de leur isolement, ainsi qu' à faire pression
sur le régime russe adoptant les loi « anti-gay ». Cependant, il me semble qu'on pourrait apporter un
éclairage différent sur cette question.
L'écueil, selon Arthur Clech, serait de renchérir « au discours actuel à l'oeuvre dans
beaucoup de médias français, réduisant notamment la Russie à l'autre homophobe et confortant
ainsi en Russie le discours officiel et prétendument traditionnel selon lequel ce pays est par essence
hostile à « la démocratie sexuelle » occidentale ». Il a accepté de participer à la rédaction de mon
blog.
Ensemble, on a conçu le projet de donner la parole à certain(e)s LGBT : ces personnes
exprimeront ici la perception qu'elles ont sur leur situation. Sans avoir la prétention de généraliser,
nous nous contenterons de réinscrire leurs propos en les contextualisant brièvement. A suivre !......
Mémento : Une actualité mondiale LGBT chargée
• La discussion, l'adoption et la promulgation de la loi relative au « mariage pour tous » en juin 2013 ( Loi
Taubira). Les décrets d'application ont permis les premiers mariages dès le 1er juillet suivant en France.
• Le 26 juin, la cour suprême des USA a estimé à la majorité que la loi de 1996 sur le mariage était
anticonstitutionnelle car elle violait le 5e amendement sur la liberté des personnes. Le mariage gay est donc
devenu légal dans 13 des 51 états de l'Union.
• 14 pays (Pays-bas, Belgique, Espagne, Suède, Norvège, Portugal, Islande, Danemark, France , Canada,
Argentine, certains états du Mexique et du Brésil, la New-Zélande)
acceptent le mariage pour les personnes LGBT. Le Royaume-uni termine sa discussion avec une dernière
navette à la Chambre des Lords (conservatrice en majorité)
• En Russie, le 11 juin, la Douma vote un projet de loi en 3e lecture punissant d'amende tout acte de
« propagande » de l'homosexualité devant les mineurs. Aucun des 443 députés n'a voté contre. (loi
initiée par Elena Mizoulina). Le 21 juin la chambre basse a voté en 2e lecture un projet de loi interdisant
l'adoption d'enfants russes par des personnes homosexuelles des 14 pays cités plus