Tout d’abord ne boudons pas notre plaisir : l’élection de Zohran Mamdani à New York lors de l’élection municipale qui s’est tenue dans la plus grande ville étatsunienne est un rayon de soleil et une injection d’espoir dans un monde où les mauvaises nouvelles sont légion. Mamdani, qui était quasi-inconnu il y a un an, a mené une campagne progressiste et tenu un discours de gauche véritable sans se laisser intimider par les nombreuses critiques venues non seulement de la droite et de l’extrême droite mais aussi d’une partie des Démocrates dits modérés qui sont la marionnette des milliardaires, ceux que Sanders appelle la « classe des donateurs ».
Cette élection locale a d’ores et déjà des répercussions nationales voire même internationales. Mamdani avait gagné la primaire démocrate contre Andrew Cuomo, un ancien gouverneur de l’Etat de New York lequel avait démissionné suite à des accusations de harcèlement sexuel et de malversations. Cuomo décida alors de se présenter comme indépendant contre Mamdani, le candidat de son parti, et fut immédiatement soutenu par les puissances d’argent et Trump qui a même pris position contre le candidat républicain, Curtis Sliwa.
Le maire de New York précédent, Eric Adams, était lui aussi impliqué dans diverses affaires et avait bénéficié d’un pardon grâce à l’intervention de Trump. Il avait lui aussi appelé à voter contre Mamdani pour Cuomo. Arrêtons-nous un instant sur cette parfaite illustration de collusion entre deux partis censés être antagonistes : aussi bien Cuomo qu’Adams avaient fait alliance avec Trump qui est supposé être l’adversaire principal des Démocrates. Cette collusion oligarchique existe bien évidemment aussi à l’échelon national. Charles (dit Chuck) Schumer, sénateur démocrate de l’État de New York a lui aussi refusé de soutenir Mamdani et fait porter le soupçon d’antisémitisme à ce candidat musulman pour ses prises de position propalestiniennes. Mamdani quant à lui a affirmé qu’il serait vigilant dans la lutte contre l’antisémitisme, ce qui fait partie du programme de tous les progressistes.
L’élection à la mairie de New York était donc assez atypique car, dans cette ville dominée par les Démocrates, Mamdani avait face à lui un Républicain désavoué par Trump et un ancien démocrate à la moralité douteuse et soutenu par Trump figure repoussoir pour tant la gauche que pour les néolibéraux. Il n’en reste pas moins qu’avec un peu plus de 50% des voix Mamdani a réussi un exploit.
Zohran Kwame Mamdani est le fils d’un professeur de l’université Columbia, Mahmood Mamdani, et d’une mère cinéaste reconnue, Mira Nair. Il est né en Ouganda en 1991 et fut naturalisé américain en 2018. Comme il l’a souligné dans son discours de victoire après l’élection, il est donc un immigrant dont la réussite a été fulgurante. Il vient d’une famille privilégiée et intellectuelle mais, en tant qu’immigré et musulman, son discours ne ressemble pas à celui des classes dominantes dont il ne partage pas l’habitus.
Il fait partie du groupe qui s’intitule « Socialistes Démocratiques d’Amérique » qui est considéré comme la gauche du parti démocrate mais dont les idées sont très différentes de la direction du parti, dépendante des financements des ultra-riches. En France ou en Europe plus généralement ce genre de groupe correspondrait à un parti différent de nature social-démocrate. Aux Etats-Unis le bipartisme quasiment incontournable conduit à la formation de coalitions diverses à l’intérieur des partis. Se revendiquer socialiste aux Etats-Unis est rare et audacieux tant le mot et l’idée sont vilipendés depuis des décennies. C’est se positionner résolument à gauche. Durant la campagne, Cuomo avait parlé d’une guerre civile dans le parti démocrate et affirmé que les Etats-Unis n’étaient pas un pays socialiste.
Dans son discours de victoire Mamdani a cité Eugene Debs le dirigeant socialiste du début du 20e siècle qui a fondé le syndical Industrial Workers of the World et fut candidat à l’élection présidentielle à plusieurs reprises. Debs fut attaqué de toutes parts et emprisonné plusieurs fois. Ce rappel historique est important lorsque l’on pense à la poursuite de la carrière de Mamdani.
Le programme de Mamdani prévoit des bus gratuits, un gel des loyers dans les immeubles gérés par la municipalité, des magasins d’aide alimentaire, des crèches gratuites, des financements pour les écoles, la construction de logements accessibles pour les travailleurs. Pour financer les programmes sociaux, il promet d’imposer une taxe sur les 1% les plus riches gagnant plus d’un million de dollars et les entreprises. Le taux d’imposition sur les entreprises de 11,5% serait, selon son programme, le même qu’au New Jersey, État voisin. Le programme prévoit aussi d’augmenter le salaire minimum à 30 dollars avant 2030. Ce programme est typique de la gauche universaliste et se focalise sur les besoins des classes moyennes ou ouvrière sans distinction de race, genre ou religion. Ceci pourrait sembler aller de soi mais marque une rupture avec les discours néolibéraux sur la diversité ethnique qui effacent ou nient les rapports de classe. [1]
Il est donc fort significatif des évolutions politiques aux Etats-Unis qu’un candidat très multiculturel par ses racines en Afrique et en Inde et donc « non-blanc » comme l’on dit aux Etats-Unis, tienne un discours inclusif organisé autour de considérations économiques et écologiques sans oublier les communautés marginalisées. Il réussit la synthèse entre ce que l’on appelle la gauche sociale et la gauche de la diversité et donc permet à chaque groupe de quitter son « silo » de revendications déconnecté des autres groupes. Mamdani a su parler à des gens d’origines diverses sans faire de l’ethnicité un badge ou une barrière. La foule dans ses meetings est fort diverse et inclut, contrairement à ce que disent ses détracteurs, des blancs, des Juifs et surtout des jeunes et des personnes de condition modeste. Plus de 60% des électeurs entre 18 et 29 ans ont voté pour lui contre 29% des plus de 65 ans ce qui marque un clivage générationnel. Un candidat ouvertement critique des politiques israéliennes est élu à New York, ceci marque une évolution notoire.
Bien évidemment un programme représente des intentions et il reste à voir s’il sera appliqué. Dans son discours de victoire Mamdani a cité cette phrase célèbre : « On fait campagne en poésie mais on gouverne en prose. » Il faut espérer que cela n’annonce pas un changement radical à la Obama, candidat de l’espoir qui est devenu un Président « normal » contenu par le complexe militaro-industriel. La tâche qui attend Mamdani est énorme et il doit s’attendre à de très nombreuses attaques. On l’a déjà comparé aux terroristes de 11 septembre 2001 et accusé de vouloir imposer la charia à New York mais on peut remarquer que lorsque Trump reçoit l’ancien djihadiste d’Al Qaida et de l’État islamique devenu président de la Syrie, al Joulani devenu al-Charaa, les médias dominants ne trouvent rien à redire. Une sénatrice démocrate, Kirsten Gillibrand, a qualifié Mamdani de « djihadiste ». Il faut s’attendre à une multiplication d’attaques de ce genre. L’extrême droite qui vend des armes à l’Arabie saoudite est aussi celle pour qui tout musulman, même le plus pacifique et intégré est un terroriste potentiel. Il est fort probable que Mamdani sera soumis aux mêmes attaques rhétoriques que Jeremy Corbyn qui lui n’était pas musulman mais fut accusé de sympathie pour les terroristes et d’antisémitisme. Mamdani a obtenu les voix d’un tiers de la communauté juive new-yorkaise et n’a jamais fait de déclarations antisémites. Réclamer la justice pour les Palestiniens n’a rien d’antisémite comme le savent les supporters juifs et jeunes de Mamdani mais on peut s’attendre à des campagnes de calomnies. L’organisation ADL (Anti-Defamation League) a créé un instrument de surveillance de Mamdani (Mamdani monitor).
Une autre approche de Trump et de l’extrême droite a déjà été annoncée : priver la ville de fonds fédéraux. C’est, appliquée aux Etats-Unis même, la technique utilisée contre le Chili : « faire hurler l’économie ». Trump a appelé Mamdani « communiste » et l’on sait qu’aux Etats-Unis c’est une insulte qui au temps du maccarthysme pouvait conduire en prison. Il va tout faire pour mettre en échec le maire de la ville qui est aussi celle du magnat immobilier. Il est aussi probable que Trump lance sa police de l’immigration (ICE) contre les migrants à New York ou qu’il envoie des troupes fédérales sous un prétexte ou un autre comme il l’a déjà fait à Los Angeles, Washington ou Chicago. Le prétexte est en général la criminalité et le commerce illégal de la drogue. Le même prétexte que pour préparer la guerre contre le Venezuela.
Ne doutons pas que Trump mettra toute la force financière, économique et policière de l’État fédéral pour faire échouer Mamdani.
Son succès électoral n’en est pas moins porteur d’espoir car il accompagne d’autres succès anti-Trump ailleurs dans le pays et montre qu’il existe une forte aspiration à la justice sociale, notamment chez les jeunes. Les campagnes de Sanders en 2016 puis 2020 l’avaient déjà montré. Sanders avait été détruit par des Démocrates fort peu démocratiques mais avait accepté de jouer le jeu du parti. Mamdani qui a montré sa grande intelligence, son contact facile avec les travailleurs et ses qualités de débatteur qui ne cède pas sur ses identités ou ses valeurs est beaucoup plus jeune et instruit par l’histoire récente du parti démocrate livré aux forces d’argent. Avec ses milliers de partisans il saura, espérons-le, déjouer tous les pièges et les attaques dont on voit déjà les grandes lignes.
[1] On peut trouver le programme de Mamdani à l’adresse suivante : https://www.zohranfornyc.com/platform