Pierre Guerlain

Abonné·e de Mediapart

91 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 février 2015

Pierre Guerlain

Abonné·e de Mediapart

Médiapart et l'Ukraine : simplisme sincère

Pierre Guerlain

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Sur l'entretien avec Michel Eltchaninoff et Juliette Cadiot conduit par François Bonnet :

Décidément Médiapart et François Bonnet s'enfoncent : nous ne parlerons pas de l'Ukraine dit il en introduction mais par la suite la conversation vire à l'Ukraine. Poutine est certainement un personnage avec des particularités psy peu engageantes. Ce n'est pas le problème. Anti-américain disent les deux invités mais après le 11 septembre il a offert son aide aux E-U et coopéré avec eux. Ces deux penseurs sont sûrement très compétents dans leur domaine (encore que le philosophe fasse de la psychanalyse à distance) mais lorsque Mme Cadiot dit que les E-U sont un "Etat de droit", elle fait référence certainement à la Constitution américaine pas aux pratiques illégales des E-U (torture, surveillance généralisée de la NSA, drones, guerre d'Irak justifiée par des gros mensonges, Guantanamo etc...). Etat de droit qui s'affranchit du droit sur la scène internationale. "Might makes right" dit on en anglais. Donc déclaration assez incompétente au fond. 

 Est-ce à dire que si l'on est pas d'accord avec l'analyse de ces auteurs qui passe vite du domaine de leur spécialité à la géopolitique on aime Poutine, on est victime de la propagande russe? Terrible manichéisme qui place Médiapart dans l'orbite des néoconservateurs américains. Lisons donc Mearsheimer, un "réaliste" (ce matin même dans The New York Times, entre autres http://www.nytimes.com/2015/02/09/opinion/dont-arm-ukraine.html?hp&action=click&pgtype=Homepage&module=c-column-top-span-region&region=c-column-top-span-region&WT.nav=c-column-top-span-region&_r=0 )

Médiapart et ces deux auteurs ne comprenent strictement rien à la géopolitique qui n'est pas une branche de la psychologie ou de la morale. Les relations entre "monstres froids" ne sont pas régies par la psychologie des dirigeants. La psychologisation des dirigeants détestés sert à gommer les complexités géopolitiques. On a connu les flambées psychologisantes dans le passé récent. La reductio ad hitlerum de tous les monstres. Saddam Hussein était un "sale type" cela ne fait pas de doute (et pourtant l'Occident avait coopéré avec lui). Est-ce que cela a conduit les gauches mondiales à approuver la guerre américaine ? Non, car les enjeux économiques et géostratégiques étaient compris. Il faut se montrer aussi intelligent dans l'analyse de la situation en Ukraine. Ce n'est pas dans la tête de Poutine ou celle d'Obama voire Merkel qu'il faut chercher mais dans les conflits d'intérêt entre puissances.

Médiapart est totalement à l'opposé de la gauche américaine qui comprend mieux les enjeux ; MDP nous sert une analyse hémiplégique de la situation. L'Ukraine est aussi un régime problématique dominé par les oligarques. Il est affligeant que la couverture du New York Times soit plus diverse que celle de Médiapart ou du Monde (alors que le journal américain a les mêmes idées que celles du Monde). Une information à sens unique est une désinformation. Si Médiapart, sur la Russie, ne diffère pas de Libération à quoi bon le lire ?

Pour éviter la guerre (ce qui devrait préoccuper la gauche) la solution mise en avant par Mearsheimer et la gauche américaine est la création d'une Ukraine Etat-tampon. Médiapart mentionne l'avancée de l'OTAN mais n'en fait pas grand'chose (en 2008, l'OTAN voulait inclure l'Ukraine ce que la France et l'Allemagne ont refusé). 

Ne pas être aligné sur la propagande russe est facile en France car elle n'a pas bcp de relais ici alors que la propagande simpliste d'en face est partout dans les médias (ce n'est le cas ni E-U ni en Allemagne). Que Poutine soit parano, autoritaire, liberticide ou pire est peut-être vrai mais cela ne change pas les paramètres de l'analyse géopolitique.(Lire Gorbachev dans le Spiegel)  On nous dit que les peuples, baltes ou polonais, par ex, veulent leur liberté face à la Russie, ce qui est vrai, mais les conduit parfois à adopter des positions liberticides, parano ou autoritaires aussi (ex: la Pologne a torturé pour les E-U et a envoyé des troupes en Irak : à peine sortie du glacis soviétique elle a voulu jouer le bon petit soldat occidental en bafouant les valeurs dont l'Occident se prévaut). La géopolitique ce n'est pas les bons contre les méchants, c'est plus compliqué qu'à Hollywood, ce que comprennent de nombreux analystes américains. Surtout ne pas préférer un empire à un autre, jouer le sempiternel match Etats-Unis contre Russie. Il y a plus de liberté d'expression aux Etats-Unis qu'en Russie mais cela ne rend pas compte des conflits géopolitiques. 

Un peu de complexité, s'il vous plait. Le journaliste libéral-libertaire rejoint les néoconservateurs, s'arme de morale et condamne les lecteurs à s'informer ailleurs pour avoir un peu de raisonnement complexe. Ne perdons pas de temps à chercher ce qu'il y a dans la tête des poutinologues mais voyons comment éviter la guerre qui pourrait dégénérer. Ni Poutine, ni Poroshenko, ni Hollande ou Merkel mais des analyses systémiques. Pour le moment on les trouve pas sur Médiapart. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.