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Billet de blog 2 novembre 2015

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Contre tous les poisons des « mauvaises rencontres »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« La liberté c’est de parler avec les mots des autres » faisait dire à l'un de ses acteurs, Jean Eustache dans « La maman et la putain ». « La liberté c’est de parler avec les mots des autres » …

Ce que je m’empresse d’appliquer. Et m’en vais de ce pas, numérique, petit clapot sur cette mer chiffrée de nos claviers, restituer le beau commentaire que je trouvais sur la page F.B. de Marie-Paule F.

La page de Marie-Paule, sans trait d’union, de Marie Paule donc, regorge de trouvailles, de textes et de commentaires tous plus pertinents les uns que les autres … C’est une source intarissable de mots et de textes, et nombres s’y abreuvent.

Je relis, écrivait-elle, le très beau Spinoza de Gilles Deleuze et dès le début je trouve de quoi me nourrir, de quoi lutter contre tous les poisons des « mauvaises rencontres » :

« Le reproche que Hegel fera à Spinoza d'avoir ignoré le négatif et sa puissance, c'est la gloire et l'innocence de Spinoza, sa découverte propre...

L'excommunication, la guerre, la tyrannie, la réaction, les hommes qui luttent pour leur esclavage comme si c'était leur liberté, forment le monde du négatif où vivait Spinoza; l'assassinat des frères de Witt est pour lui exemplaire. Ultimi barbarorum.

Toutes les manières d'humilier et de briser la vie, tout le négatif ont pour lui deux sources, l'une tournée vers le dehors et l'autre vers le dedans, ressentiment et mauvaise conscience, haine et culpabilité. «  La haine et le remords, les deux ennemis fondamentaux du genre humain ».


Face à cela la satire: « la satire, c'est tout ce qui prend plaisir à l'impuissance et à la peine des hommes, tout ce qui exprime le mépris et la moquerie, tout ce qui se nourrit d'accusations, de malveillances, de dépréciations, d'interprétations basses, tout ce qui brise les âmes ( le tyran a besoin d'âmes brisées, comme les âmes brisées d'un tyran.) ».


Face à cela aussi ce que Spinoza nomme « la méthode géométrique », non pour convaincre mais seulement pour proposer une lunette ou polir un verre au travers duquel voir la réalité, et trois siècles après Spinoza, c'est Henry Miller auquel Deleuze donne la parole pour nous expliquer d'où vient la joie de celui qui n'aspire qu'à faire voir: « A mon sens, voyez-vous, les artistes, les savants, les philosophes semblent très affairés à polir des lentilles. Tout cela n'est que vastes préparatifs en vue d'un événement qui ne se produit jamais. Un jour la lentille sera parfaite; et ce jour là nous percevrons tous clairement la stupéfiante, l'extraordinaire beauté de ce monde... ».


Quand nos ministres de la culture, quand nos ministres de l'éducation nationale, se fixeront-ils ou elles, cela ne change pas grand chose à l'affaire, comme objectif de nous aider tous à parfaire cette lentille? »

Là, je reprends la main. Et me revient à l’esprit, à propos de « nos ministres », cet autre commentaire sur cette même page FB, quand la Ministre de la culture française, lors d’un discours de clôture des  24e Rencontres cinématographiques de Dijon,  organisé par L’ARP - Société civile Auteurs Réalisateurs Producteurs – et qui se déroulait du 16 au 18 octobre dernier, surprit beaucoup, tant par le choix des termes employés  - choix malencontreux -  trop explicite, qui semblèrent en dire long, long sur la façon dont la dame, Fleur Pellerin, appréhendait la conduite de son ministère.

Elle surprit, Jean-Michel Frodon, excellent ici dans Slate, et qui sut le dire avec sa verve coutumière. Elle surprit aussi Patricia M., que Marie Paule, sur sa page, remerciait :

Je cite :

« Lorsqu’elle – Dame La Ministre Pellerin - déclare que le rôle du gouvernement est « d’aider le public à se frayer un chemin dans la multitude des offres pour accéder aux contenus qui vont être pertinents pour lui», il est possible d’entendre, presque mot après mot, l’enterrement de l’idée même de ministère de la Culture.

L’existence d’une politique culturelle, c’est à dire d’une action publique concertée, repose entièrement sur la possibilité d’organiser la rencontre entre des œuvres, euh… bon, disons, « des objets », et des personnes qui précisément ne les cherchent pas.

Pour prendre un exemple canonique: lorsque les révolutionnaires de 1789 inventent le musée comme espace public d’accès à la peinture, ils ne croient nullement que le bon peuple trépignait d’envie, depuis des lustres, de voir, lui aussi, les Vinci ou les Fragonard dont se délectait l’aristocratie.

Et s’il y a des raisons à un enseignement artistique, réputé objectif majeur de ce quinquennat comme il avait été censé l’être du précédent, c’est bien qu’il y a la nécessité de construire des chemins reliant des personnes (pas seulement des enfants) et ces objets.

Des « personnes », et pas « le public », notion macroéconomique qui asservit d’emblée la production à la distribution  - soit le contraire d’une pratique artistique et d’une politique culturelle.

« Le public » comme déjà donné, c’est le marché et lui seul –avec toutes les distorsions du marketing qui anéantissent la fable du libre choix.

En revanche, une politique peut faire naître des publics, des collectivités qui émergent et se reconnaissent dans la relation à une pratique, une proposition, etc.

Qu’est-ce qu’un « contenu » qui va «être pertinent pour lui» (ce «lui» qui unifie d’avance)? Le contenu que les gens veulent déjà rencontrer? D’où vient qu’ils veuillent déjà le rencontrer? Et en quoi dès lors cela relève-t-il d’une politique culturelle?

Il y a ce que dit la ministre: «Il faut partir des usages des consommateurs».

Il y a la distorsion majeure, pour une ministre de la culture, d’appeler «consommateurs» des possibles spectateurs.

Mais il y a la justesse d’affirmer qu’il est indispensable de recourir aux outils, notamment en ligne, qui organisent les pratiques d’une très grande part de nos contemporains  - encore que ce ne soit pas la majorité: selon une récente étude du CNC, le premier prescripteur pour aller voir des films reste la télévision, mais à la télévision, cette ministre pas plus qu’aucun autre ne demande de faire quoi que ce soit concernant le cinéma."

 A lire vraiment pour se faire peur et en attendant que le ministère de l'éducation nationale dise explicitement qu'il poursuit les mêmes fins et demande aux professeurs d'utiliser les mêmes moyens.»

Quelle régulation peut encore enrayer la dépréciation du cinéma et de la culture

Le discours de clôture de Mme la Ministre à 2h20mn.

« La philosophie théorique de Spinoza est une des tentatives les plus radicales pour constituer une ontologie pure : une seule substance absolument infinie, avec tous les attributs, les êtres n'étant que des manières d'être de cette substance.

Mais pourquoi une telle ontologie s'appelle-t-elle Ethique ? Quel rapport y a-t-il entre la grande proposition spéculative et les propositions pratiques qui ont fait le scandale du spinozisme ?

 L'éthique est la science pratique des manières d'être. C'est une éthologie, non pas une morale. L'opposition de l'éthique avec la morale, le lien des propositions éthiques avec la proposition ontologique, sont l'objet de ce livre qui présente, de ce point de vue, un dictionnaire des principales notions de Spinoza.

D'où vient la place très particulière de Spinoza, la façon dont il concerne immédiatement le non-philosophe autant que le philosophe ? » Gilles Deleuze.

Gilles Deleuze, « Vie de Spinoza » in Spinoza, philosophie pratique (1970-1983)  Extrait : « La pensée de Spinoza se trouve maintenant occupée par le problème le plus récent: quelles sont les chances, d’une aristocratie commerciale? pourquoi la république libérale a-t-elle fait faillite?

D’où vient l’échec de la démocratie ?

Est-il possible de faire avec la multitude une collectivité d’hommes libres au lieu d’un rassemblement d’esclaves ?

Toutes ces questions animent le Traité politique, qui reste inachevé, symboliquement, au début du chapitre sur la démocratie. En février 1677, Spinoza meurt, sans doute d’une affection pulmonaire, en présence de son ami Meyer, qui emporte les manuscrits. Dès la fin de l’année, les Opera posthuma paraissent sur don anonyme. »

Et pour conclure, un brin facétieusement, cette note de la page de Marie Paule F., qui tend à trouver que « Spinoza avait bien raison » : «  Les gens qui se plaignent tout le temps endommagent votre cerveau ».

Une étude qui utilise la recherche en neurosciences montre que l’écoute de gens qui se plaignent beaucoup peut être nuisible pour le cerveau.

Trop de négativité a un impact certain sur le cerveau. Il est possible d’examiner notre activité cérébrale grâce à des méthodes telles que l’EEG ou l’IRM.

Deleuze: Sur Spinoza, séance 1, 2h04.

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