Les Roms et les salles obscures
Par Catherine Raffait
En avril 2017, juste avant des élections où le thème de l' identité est largement exploité, juste avant le 8 avril, journée internationale des Roms, au moment où le vendredi précédent en Transylvanie roumaine, là où juifs et Tsiganes furent déportés ensemble, des maisons de Roms ont été incendiées par des groupes organisés invitant les habitants à assister au spectacle ( selon leur terme) de femmes et d'enfants battus et d' hommes obligés à se mettre en rangée et s' agenouiller devant un public qui applaudit et acclame les agresseurs, en présence de la presse gênée dans son travail et empêchée de documenter (1), à Paris au même moment des journalistes légers ou complaisants font la promotion du film de Christian Clavier rebaptisé " A bras ouverts" dèjà qualifié, après une première polémique de " film dégueulasse " par Tony Gatlif (2) en l' absence ( une fois devient coutume) d'invités de la communauté Rom/Tsigane qui ne manque pourtant ni d' activistes ni d' écrivains ni de représentants.
Sans doute ? ont- ils oublié l' impact des films de propagande sur le sort d' une communauté dans un climat nationaliste assez proche du notre, pour aller jusquà poser une phrase lourde de sens telle " ils envahissent aussi les salles de cinéma ? " .
" Ils " ? Ce sont les Roms, pourtant le cadet des soucis de la majorité des français mais pas des producteurs.
L' expression qui se veut de l' humour d'esprit Charlie ne passe cependant pas auprès de tous et s' il s' agit d' un trou de mémoire au sujet de l' Histoire, il est significatif.
L' Histoire qui les poursuit comme la discrimination actuelle n' est pas que française , elle est européenne et même internationale et le film de Christian Clavier n' aura pas d' impact que sur la France: Après Paris et la Province le film est annoncé à Bruxelles, capitale de l' Europe, à grand renfort d' affiches sur les métros. Ces images-clichés de " franche" rigolade" accrochent dèjà un large public statique, reflet inversé des familles roms en attente et dépourvues, prés des bouches des mêmes métros.
A Paris, à Bruxelles, dans toute l' Europe et au-delà leur image caricaturée envahira les esprits faisant des émules parcequ' elle est bankable et qu' après tout il n' y a pas de mal à tenter de décrisper les identités racisées comme ce fut le cas avec ́́ " qu' est ce qu on a fait au bon Dieu ? ", tout en élargissant son public sur le dos d' une autre communauté qui a peu de défenseurs.
Oubliées ainsi les Conférences et Sommets qui dans la même capitale nous démontraient la veille la montée de l'anti-tsiganinisme et ses remèdes.
Oubliées les familles expulsées avec la fin de la trêve hivernale d'avril et les enfants garants d' avenir exclus des écoles.
La schizophrénique consiste à faire alors comme s' il y avait deux catégories de Roms : des Roms pour rire et se distraire, et d' autres qui dérangent par l' image de leur misère qu' ils nous imposent alors qu' on les aiment tellement mieux " bras ouverts " en train d' " envahir " (?) nos salles de cinéma pour nous remercier selon un autre argument-plaidoyer des auteurs par un " toi t'es plus Rom que moi " ... c'est vrai que c'est plus gratifiant à raconter pour tenter de défendre un " sivouplee"...dans une France où, de toute façon, tout finit par des chansons.. et par la Marseillaise si possible..
La plume de Jacques Debot (3), écrivain tsigane français; à ce propos, devrait pourtant suffire à démontrer de quel côté sont la culture et la dignité que l' on enfouit, comme il le dit, à coup de pelleteuse et qui annonçait dans Romstorie que " Sivouplééé "dépassera le point Godwin et les 12 millions d’entrées".
Il faut aussi heureusement compter sur les réactions unanimes de militants, écrivains, cinéastes qui sont directement sur le terrain et témoins du sort fait en France aux Rrom.( 4) ( 5) et partagent leur indignation.
Ces réactions ne seront jamais assez nombreuses pour dénoncer les relents d' une certaine France celle qui se nomme Charlie quand il s' agit de justifier le rire à tout prix sur le dos d' une identité, sans vouloir admettre qu' elle flirte alors avec " Vichy ".
Ce même "Vichy" en passe d' être réduit aussi à une vague onomatopée, qui pourtant a interné ces mêmes Roms, toujours sans lieux de vie, sans lieux de parole mais en voie de devenir les objets toujours absents d' un Exhibit-R dans d'autres salles obscures. Ce rire là mis en scène pour le plus grand public sur le dos et dans le dos d' une identité n' a jamais été sans conséquences.
Le recours à l' image à servi la propagande pour légitimer sous couvert d' humour les pratiques de discrimination et de persécution contre les juifs en France dès la fin du 19e siècle.
L’image encore au moment de Charlie au risque de stigmatiser une communauté.
La caricature représente une figure majeure du discours raciste qui se reproduit pour les Roms si nous le légitimons et le banalisant par le droit à la liberté d' expression.
Quand sait-on que l’on n’est plus en présence d’humour mais de racisme ? Comment peut-on être sûr que celui que l’on accuse n’est pas en train de dénoncer, même si le trait est trop rude et laisse penser le contraire?
Il n’y a pas de règle absolue car l’intention et le contexte jouent un rôle central dans une telle appréciation. L’humour ne peut pas être l’instrument de la violation de la dignité d’autrui, l’humour ne peut pas servir d’instrument de propagande et de diffusion du rabaissement ou de la négation de l’Autre. Le processus est le même, seul le support est de plus en plus sophistiqué et par le biais du cinéma il envahit l' espace publique encore plus largement.
(1) :Source: www.gyindex.rodes
(2) : https://www.youtube.com/watch?v=K9_HgcwCTYA
(3) Jacques Debot : https://blogs.mediapart.fr/…/romstorie-sivoupleee-depassera…
(4): http://www.huffingtonpost.fr/…/a-bras-ouverts-ne-ma-pas-f…/…
(5) : https://marinedanauxphotographies.com/…/a-bras-ouverts-yeu…/
merci à Catherine raffait