
Expulsion. Cette mère de famille rom sera bientôt délogée de la maison qui l’avait sortie du bidonville il y a onze ans. Elle redoute un retour à la misère.
Angelica Boti aime prendre soin. D'elle, de ses enfants, des autres. De sa maison aussi, nichée à La Plaine au 33, rue des Fillettes, avec un intérieur pour le moins coquet, malgré un état de vétusté avancé et la certitude que l'endroit sera bientôt englouti par le chantier monstre de la ZAC Montjoie qui frappe désormais à sa porte. Elle le dit sans émotion, avec un fort accent et une voix de fumeuse, « la maison va être détruite ». L'huissier est passé remettre l'avis d'expulsion, qui pourrait être effective au 1er juillet.

Malgré l'imminence du départ, rien ne laisse présager un déménagement. Les cartons, c'est sans doute pour le jour où elle aura une perspective. Là, cette mère de 45 ans n'en a pas et ça la ronge de savoir que tout ce qu'elle a construit depuis onze ans peut s'écrouler avec ces murs du jour au lendemain. Ce qu'elle redoute, c'est « un retour à la case départ ». Celle de la rue et du bidonville, qu’elle a connue comme bien des Roms à son arrivée en France en 2000, s'installant rapidement avec ses quatre enfants sur l'ancien terrain dionysien du Hanul, « dans une petite caravane de même pas deux mètres ».
Elle a cassé une loi Sarkozy
Pour survivre, elle tend la main, parce que « c’est ça la vie, quand on n'a pas le droit de travailler ». Deux fois en 2003, elle est interpellée à mendier avec ses mômes. « Ce n’était pas pour l'argent, j'avais juste peur de laisser les petits seuls au Hanul. » Elle a ainsi le privilège d'inaugurer le délit spécial mendicité avec enfants tout juste instauré par Sarkozy, passible de 7 ans de prison et de 100 000 euros d’amende.
Cette loi qui fait la guerre aux pauvres, elle a le mérite de l'avoir cassée, au terme de trois procès particulièrement médiatisés, pour ce qu'ils révélaient de la place des Roms dans la société. Mais ce soufflet à Sarkozy n’est pas son seul fait d’armes. Chez elle, le combat pour plus de solidarité, de justice et de droit est quotidien. Et ce n'est pas un hasard si c'est sur elle que s'appuie en 2014 la famille de « Darius », au lendemain du lynchage de ce jeune rom, laissé pour mort dans un caddie de supermarché. Elle les accompagne chaque jour à l'hôpital et les épaule pendant plus d'un an dans leurs démarches.
Aider les autres, c'est sa spécialité. Très impliquée dans la vie de son bidonville, elle s'était d'emblée mise à disposition des associations, exerçant bénévolement comme traductrice ou comme médiatrice pour Médecins du monde. En 2005, on lui propose avec deux autres familles de déménager au 33, rue des Fillettes. « Un très beau cadeau »que cette clef qui la délivre de la misère, confiée pour une durée limitée par la Ville et Plaine Commune.
Les années passent, les choses s’arrangent lentement, mais pour elle la transition vers un logement définitif ne se fait pas. Aucune solution ne vient remplacer cette maison, même si son mari a pu légaliser son activité de ferrailleur et que sa propre situation sociale s'est stabilisée avec notamment un travail associatif à temps partiel et l'animation d'un groupe de paroles de femmes roms vivant en bidonvilles. « Je croyais être sortie d'affaire, mais là j'ai peur que mes enfants qui ont grandi, qui ont été à l'école ici, se retrouvent à la rue et doivent tout recommencer à zéro. »
29 juin 2016,