Serge Daney, aiguillonné par sa quête personnelle et permanente, de faire coïncider cette image originelle et introuvable à un son entendu - la voix du père, doubleur, qui prêtait sa voix au cinéma - à un récit familial fondateur, donc devenu mythique, de synchroniser le son de cette voix à cette image, pour lui sacrée - JL Godard parlait du mot anglais, Picture qui désignait le caractère sacré de certaines d'entre elles - de voir se chausser enfin l'introuvable-tant-espéré de cette chaussure de Cendrillon du récit maternel, que l'enfant en lui imaginait pouvoir trouver, dégotter, voir et faire jaillir quelque part depuis le grand fatras de l'encore courte et presque très récente histoire de cet art, dont il s'appropria la connaissance - ce ne sera, dans l'histoire du cinéma, plus jamais le cas - une encyclopédique connaissance, sans que jamais ne jaillit l'image du visage tant recherché, le déroulé lisible et enfin visible du récit, sa matérialisation - impossible - enfin réalisée - lui qui n'entendait tellement rien au comment faire une image qu'il s'avoua incapable de prendre un cliché, une photo toute simple. La seule qu'il fit, fut floue - en acquit au détour - c'est toujours ainsi que se font, qu'apparaissent les choses, qu'elles se défont parfois aussi, au détour du chemin, de ce cheminement de globe-trotteur, de promeneur qu'il était, et qu'elles nous regardent les regarder, dont l'étape suivante et naturelle est leur tutoiement réciproque - une connaissance vertigineuse que sa puissance de pertinence, son acuité intellectuelle et sa grande culture aux multiples champs d'investigations, décuplée par la magie de cet art qui rend intelligent, et pour le coup très intelligent, Serge Daney, prêta sa très intense activité neuronique au cinéma qu'au cours de toute sa vie, de la prescience de son aventure à venir aux Cahiers du Cinéma jusqu'à son journal, qu'alité, il tenait, il ne cessa d'accompagner.
Ne disait-il pas que le verbe accompagner était le mot plus beau de la langue française, cette langue française dont il cisela, tel un orfèvre, partout où il s'exprima, les accents au gré de la finesse et de l'élégance de ses analyses, jusqu'à en devenir un écrivain, un écrivain de cinéma, auquel le cinéma qui le promet à ceux qui le regardent, auquel le cinéma qui promet le monde, juste retour des choses, le lui donna, lui donna le monde, et, digne fils de son père, doubleur au cinéma, doubla le cinéma de notre monde de sa critique jusqu'à finalement, ayant étendu son regard de ciné-fils à l'ensemble du monde et à ses représentations, en fit la critique de cinéma, fit la critique de cinéma du monde.
Et par là même, tels les poètes, ces grands législateurs de l'avenir, de son regard, le modela.