Une joie entêtante et solaire, brandie contre la tristesse générale que nous avons tous appris à intérioriser - angoisse que nous imposent les médias, les réseaux de surveillance sociale qui leur servent d'échos. L'assourdissante noirceur imposée à nos vies sinistrées.
Place de la Bastille, des lycéens dansaient face aux bataillons de flics en armes. Mais ce matin, l'euphorie d'être en vie ne figure pas dans les gros titres de la presse. Peut-être est-ce une loi non écrite. En tout cas, c'est déjà une première tyrannie, le commencement d'une misère mentale devenue collective, interminable, un peu comme un ciment entre les gens qui ne parlent que de ça : le piège, la peur, demain.
Les preneurs d’âmes, disait Deleuze, ont besoin de nous persuader que la vie est dure et lourde. Et Deleuze nous manque parce qu'il avait cette connaissance des entraves. Une connaissance espiègle, un art acharné à contredire toutes les aliénations qui s'inventaient.
Si bien que raconter la joie devient un art du contre-récit. Une tentative d'insoumission à ce ciment de la tristesse collective que les journaux répandent. « Ni Le Pen, ni Macron »
Je ( Tieri B. ) recopie ce récit de Jeanne C. , parce que je le trouve important. Je pense à ta fille, Hélène, c'est aussi pour elle :
Cette manifestation, qui n’a duré que 50 mètres, était la plus belle. Le 5 Mai, entre les deux tours des élections présidentielles, un mot d’ordre est poursuivi par les lycéens : « Ni Le Pen, Ni Macron » .
Après avoir défilé en tête du cortège du 1er Mai et s’être fait déchirer par la police Nationale comme au joyeux temps de Charonne ( récits de matraquage dans des halls d’immeuble, de tirs de lacrymo si nourris qu’une femme étouffant s’est jetée de son balcon, récits de défoulement de violence sur des street-médic et de destruction de leur matériel par les forces de l’ordre), des lycéens, dont certains portent encore leurs blessures, se retrouvent, à 500, à Bastille, à 11h, pour un mystérieux blocus annoncé la veille sur internet.
Le mot d’ordre est simple : « Ni le Pen ni Macron », le lien, évident pour tous : Non au fascisme.
Cette jeunesse qui est là, pile à l’heure au rendez-vous matinal, porte en elle toute la grâce, déconcertante, toute la beauté, l’insolence et les possibles des temps qui viennent.
Les jeunes filles semblent avoir dansé toute leur vie sur des places publiques, et n’avoir peur de rien. Pourtant, à les entendre au hasard des conversations, la plupart ont tremblé ce premier Mai.
Une petite blonde me raconte que les flics les ont fait mettre contre le mur, puis leur ont balancé des grenades de désencerclement, enfin qu’elle a crû sa dernière heure arrivée quand, tombée à terre, une foule s’est mise à déferler sur elle… Pourtant elle est là.
Quand au reste du cortège du premier Mai, il brille par son absence. Pas un putain de syndicaliste, retraité, ouvrier, insoumis, nous sommes en tout et pour tout 3 adultes. Après avoir laissé vos enfants perdre leur yeux contre la Loi Travail, voilà que vous les laissez seuls de nouveau face à la violence véritable, pas celle sur laquelle vous vous branlez derrière vos écrans et commentaires, mais celle qui s’exerce AUJOURD’HUI et MAINTENANT, sous vos balcons désertés.
Voir ces jeunes gens, agiles et conscients, lancer comme signal du départ un papier volant du haut des marches de l’Opéra Bastille, un papier blanc en forme de bulletin de vote, et au moment précis où il retombe au sol, voir cette foule se lever souplement et se diriger résolument, unie et calme, à l’assaut du Bassin de l’Arsenal, est de fait la meilleure antidote contre la paralysie mortifère qui nous a tous saisis.
Eux ne sont pas contaminés.
Plusieurs me demandent ce que je fais là. Mais pourquoi ? « Les seuls adultes qui nous accompagnent sont des médias ». Découvrir un tel niveau de conscience, perceptible dans chaque geste ayant lieu, danse devant la Police, banderoles blanches déployées, jeux perpétuels, recueillement avant l’action, entendre des paroles qu’on espérait plus, « C’est une catastrophe, les soc dém squattent les micros » , « Ni pénis, ni patron », « Relis Stendhal », et autres « Nous sommes à zéro degré de violence symbolique, on ne peut tomber plus bas, par contre niveau bolosserie on atteint la méta », remplace en un instant le plafond noir et bas qui nous barrait la vue ces 30 dernière années.
Les gens sont là, ils sont prêts, il n’y a qu’à les suivre, à entrer dans n’importe quelle danse de trottoir, d’avoir cette fierté, la leur, de n’avoir rien à faire avec cet ordre absurde et de se déhancher, sans trêve et sans répit, devant des cordons de police qui un jour se déferont d’eux-mêmes, face à une foule agrandie et souveraine.
Il n’y a pas d’autre souveraineté que celle de la rue. Pas d’autre présent que le présent, pas d’autre temps d’agir qu’ici et maintenant.
« Et là », dit un jeune garçon, « Tu te rends compte qu’il y a plusieurs espace temps, que ce que nous percevons comme unique, cet espace et ce temps, se déplace sans cesse en fonction de notre regard, et là, tu vois les possibles ».
Mais… Comment dire ça ? T’es de quel lycée ? Voltaire.
To be continued. » ...
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