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Billet de blog 15 décembre 2015

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Corse, cette petite île qui étonne ... l'Europe

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Photo Pascal Dolémieux

« Ce qui s'est passé en Corse hier est l'évènement le plus important de ces élections, le seul vrai changement... Un système politique ancestral (mis en place par Napoléon III) basé sur le clientélisme et le règne de clans féodaux vient d'être, enfin, renversé... Ce qui devrait être un exemple pour les autres citoyens de notre république passe inaperçu dans le Landernau médiatique hexagonal... Car le vieux système perdure sur le continent: générations de politiciens professionnels, prêts à toute formes de compromissions pour garder leurs sièges, politique clanique dans tous les bords ( Le Pen, Masse, Andrieu et j'en passe...)... Les électeurs corses ont renversé la table... Comme en 1755, date de la première constitution démocratique au monde, celle de Pascal Paoli, la Corse nous montre le chemin... »  Joel Villain

S'il suffisait de vouloir la liberté, le monde entier serait libre

Si j'étais maître de la foudre, je m'en servirais pour défendre la patrie

Il est encore en Europe un peuple capable de législation, l'île de Corse. J'ai quelque pressentiment qu'un jour cette petite île étonnera l'Europe (J-J. Rousseau)

 Le 17 avril, Pasquale Paoli s’adresse aux Corses : « Peuple très aimé ! Tenez-vous sur vos gardes ! Vous êtes armés, vous connaissez vos droits, soutenez-les ! ».

Paoli va gouverner la Corse pendant 14 ans.

Un brin d’histoire, de celle qu’on ne trouve pas dans les livres, un brin d’histoire de la Corse, pour la mieux comprendre et mieux tenter d’appréhender comment dans l’île de Corse, l’histoire des hommes d’hier tissent, mais, bien évidemment, c’est bien plus compliqué que ça, et infinis et si anciens sont les paramètres qui l’influencent, comment, donc, dans l’île de Corse, l’histoire des hommes d’hier tissent l’histoire des hommes de maintenant. Des hommes et les femmes d’aujourd’hui.

C’est Gilles Deleuze  – « le siècle sera Deleuzien ou ne sera pas » disait Michel Foucault -   qui disait que l’herbe pousse par le milieu, ce brin d’histoire corse ici brièvement présenté, débute en 1750 environ, quand Pascal Paoli dirige l’ile de Corse. Fait frapper monnaie, et dote l’ile d’une constitution, la première de l’histoire et son article premier devenu universel.

Le père de Pascal Paoli, Hyacinte Paoli, l’un des chefs historiques de ces rebellions, lui même très cultivé, avait rédigé la première charte du Royaume de Corse dont le préambule célèbre est annonciateur de la marche des nations : «  Tous les hommes naissent libres et égaux entre eux… »

Mars 1755, Clément Paoli, le frère aîné de Pascal sera le porteur du message tant espéré :

«  La Junte secrète de la Révolution de Corse s’apprête à convoquer une consulte du peuple pour élire le chef légitime capable de conduire la patrie vers l’indépendance ! Un seul nom à été cité : Pascal Paoli. »

 En 1764, Gênes, incapable de traiter avec Pasquale Paoli, demande à la France de lui prêter main-forte. La France toute à son désir, pour des raisons stratégiques, de s’implanter en Méditerranée, trouve là l’opportunité politique de s’emparer de la Corse.

Elle va d'abord essayer de négocier avec U Babbu (le père) de la jeune nation,  mais celui-ci réaffirme sa volonté d'indépendance. Au pire, conscient de la nécessité d'une politique extérieure, il acceptera un protectorat.

Les négociations entre la République de Gênes et la France aboutissent finalement, le 15 mai 1768, au Traité de Versailles aux termes duquel, la France prête deux millions de livres à Gênes, qui donne en garantie la Corse... qu’elle ne possède évidemment pas.

Ayant eu connaissance du traité de Versailles, Pasquale Paoli réunit une cunsulta le 22 mai à Corti et fait ce commentaire :

« Jamais peuple n'a essuyé un outrage plus sanglant... On ne sait pas trop qui l'on doit détester le plus de celui qui nous vend ou de celui qui nous achète... Confondons-les dans notre haine puisqu'ils nous traitent avec un égal mépris »

Bien décidés à défendre leur indépendance, les Corses remportent plusieurs victoires face aux troupes françaises, notamment à Borgu, le 5 octobre 1768, où les armées françaises doivent battre en retraite devant la combativité des régiments Corses.

Mais supérieures en nombre (Louis XV a dépéché 22.000 hommes, placés sous les ordres du comte de Vaux) et en armes, les troupes françaises remportent une victoire décisive le 8 mai 1769 à Ponte Nuovo.

C’est une résistance acharnée des combattants corses … Les corses tombent. Les morts s’empilent, s'entassent, prennent les balles pour les vivants qu’ils protègent encore ainsi et …

C’est le bain de sang. C’est l’à-tel-point bain de sang que le Golo, la rivière qui dégringole goulument des hauts-monts et des cimes enneigées, que le Golo coulera rouge pendant plusieurs jours. Et nuits.

Une centaine de vaincus peuvent échapper au désastre et s'enfuir.

Parmi eux, un certain Charles-Marie Bonaparte et sa femme Laetitia Ramolino, qui porte, dans son ventre, et conçu à Corti, le futur Empereur des français.

Pasquale Paoli est contraint au départ.  Il s'embarque le 13 juin 1769, et s’exile 20 ans en Angleterre qui l’accueille avec tous les honneurs dus à un véritable homme d'état assorti de l'étoffe d'un héros.

Bénéficiant d’une amnistie, mise en place par Mirabeau, envers les corses expatriés, Paoli peut rentrer en Corse, 21 ans après avoir quitté son île. Il passe par Paris, en avril 1790, où il est reçu par Louis XVI, accueilli par la Constituante, honoré par La Fayette, Mirabeau, loué par Robespierre et acclamé par le peuple.

Il débarque, le 14 juillet 1790, en Corse (devenue département français), qui connaît comme d'autres provinces la fermentation croissante des partisans de la Révolution et de ses adversaires. A son arrivée, il suscite le déchaînement et la liesse populaires. 

Le 17 juillet, à Bastia, c'est l'enthousiasme. Parmi ceux qui l'acclament, le jeune  Napoléon Bonaparte. 

Par ces curieux caprices de l’histoire, quelques jours avant le 10 août 1792 où il allait être déchu, Louis XVI signa le dernier brevet d’officier de son règne, et celui qui était ainsi promu allait connaitre un destin des plus flamboyants et pour cause, puisqu'il s’agissait de Napoléon Bonaparte !

Mais laissons là ce brin d’histoire corse, et le père de la nation corse, Pascal Paoli à son nouvel exil en Angleterre …

Non sans avoir néanmoins du préciser que s’affrontèrent troupes françaises et troupes paolistes, que le Père de la Nation Corse sollicita l'appui de l'Angleterre qui dépêcha  l'escadre de Nelson qui brisa la résistance à Bastia, Saint-Florent et Calvi, et que les français furent obligés de quitter l’île.

Et que le 15 juin 1794, la Cunsulta proclame l’indépendance et adopte une constitution par laquelle est créé un Royaume Anglo-Corse.

La constitution spécifie que la Corse n’est pas annexée par l’Angleterre mais, qu’unie à celle-ci, elle forme un royaume indépendant dont le pouvoir législatif est exercé par des députés élus au suffrage universel.

 On le voit, le système ainsi établi, correspond assez exactement au schéma tracé par Paoli dès 1776, la protection dont la Corse avait besoin lui étant apportée par une grande puissance maritime que ses traditions libérales semblaient recommander particulièrement.  Mais ce n'est pas, comme il l'espérait, Pasquale Paoli qui est mis à la tête de ce royaume, mais un vice-roi anglais ... Sir Gilbert Elliot.

 Mais laissons là ce brin d’histoire corse, et le père de la nation corse, Pascal Paoli à un nouvel et très définitif exil en Angleterre …

 Après 47 ans d'exil, Pasquale Paoli meurt à Londres, le 6 Février 1807, âgé de 82 ans. Ses cendres reposent, depuis le 3 septembre 1889, dans la chapelle située au rez-de-chaussée de sa maison natale, à Morosaglia.

 Dans le bas-coté-sud du chœur de l'abbaye de Westminster, se trouve le cénotaphe du Père de la Nation Corse, U babbu, Pasquale paoli.

Territoriales en Corse : Réactions à la victoire des Nationalistes © Charles Monti
Devant le buste de Pascal Paoli © Charles Monti
Victoire des nationalistes aux territoriales en Corse : discours d'Edmond Simeoni © France 3 Corse ViaStella

Et la presse internationale s’en fait immédiatement l’écho. Avec l’Espagne, l’Angleterre, la presse internationale souligne la victoire des Nationalistes corses.

Par Nicole Mari

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Theguardian

el Dia, El Mundo, El Pais, La Vanguardia, La voz de Galizia, El correo Basco. La liste des quotidiens ibériques, qui ont développé, sur leurs pages, la victoire de Pé a Corsica, serait très longue à faire, mais tous ont écrit à l’unisson que « los nacionalistas ganan la Corcega »  (Les Nationalistes qui ont gagné en Corse, ndlr).

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Diaroyucatan

L'écho du succès de Pè a Corsica a même retenti jusqu'au Mexique, comme le rapporte le Diaro de Yucatan !

Les journaux italiens ont été moins réactifs face à la victoire du nationalisme sur l’ile même si, comme on nous le disons par ailleurs, le quotidien de droite Il Giornale a parlé d’une victoire historique.

Les quotidiens de l’autre côté de la manche ont décidément été plus réceptifs au changement que les Italiens.

The Guardian, sur la page Europe de son site, titre l’article « Corsican nationalists win historic victory in French elections »  (les Nationalistes corses gagnent une victoire historique aux élections françaises, ndlr) en rappelant aux Anglais qu’en Corse, il y a deux branches du nationalisme : les Nationalistes qui cherchent la réforme visant à promouvoir l'identité corse, et les Nationalistes qui veulent une séparation d'avec la France. Le journaliste se pose la question de savoir si deux ans seront suffisants, à ces deux ailes du nationalisme pour apprendre à gouverner ensemble.

Les britanniques Daily Mail et The Telegraph narrent, aussi, cette victoire dans des manchettes qui parlent plus généralement des élections françaises.



Toujours Outre-manche, l’historique magazine politique The Spectator consacre un long article à la victoire nationaliste, en s'interrogeant   : « Corsican nationalism is gaining strength. Could it soon cause problems for France? » Le nationalisme corse se renforce. Ne posera t-il pas bientôt des problèmes à la France ? ...

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thespectator

 On se reportera, bien que la question de l’indépendance ne se pose pas « puisque les nationalistes sont unis sur un contrat de mandature qui exclut l’idée d’indépendance »avec intérêt au billet de blog de Massimu « Pourquoi la Corse sera elle aussi bientôt indépendante ? » : " Si, il y a 40 ans, l'indépendantisme pouvait paraître utopique, il s'impose aujourd'hui comme la solution idéale pour résoudre les problèmes de la Corse. Au grand dam de ceux qui bénéficient personnellement de la dépendance", ainsi qu’à l’appel lancé par Edmond Simeoni quelques jours avant le scrutin, « Appel au peuple corse, Chjama à populu corsu » qu’il concluait ainsi :

« Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, notre histoire, notre volonté collective poussent notre peuple à accéder la liberté, dans le cadre d’un contrat d’émancipation avec la France, respectueux des intérêts légitimes des parties. C’est inexorable. »

Docteur Edmond Simeoni
Ajaccio, le 11 Décembre 2015

Pierre Poggioli, militant historique du nationalisme corse, écrivain et intellectuel auteur, entre 1996 et 2015, d'une somme inouie de pas moins de 15 ouvrages remarquablement référencés et documentés depuis le Journal de bord d'un nationaliste corse, Éd. de l'Aube au récent  Irlande, Pays basque, Corse : Après l'adieu aux armes, éd. Fiara, s'exprime pour Corse Net Info

 « Nous avons connu des temps difficiles. Nous avons traversé des périodes de drames. Beaucoup se sont sacrifiés, ont fait de la prison, ont perdu leur travail. Des familles ont souffert. Certains ont perdu un mari, un frère, un parent. Nous nous sommes égarés dans des chemins perdus où nombre des nôtres ont perdu leur vie, victimes de nos errements, de nos erreurs, de nos fautes.. Nombreux sont, encore hélas, toujours en prison, d’autres toujours recherchés…

Et ce soir, après tant de souffrances, de malheurs et d’obstacles, nous nous sommes tous retrouvés pour, enfin, fêter une victoire… Oui, tous, tant de vieux militants et militantes, électeurs et électrices d’un moment ou de toujours, nous avons, ce soir, enfin, toutes et tous ensemble, savouré, avec intensité et émotion, ce moment et cette victoire. Certains n’ont pu retenir leurs larmes…

Nous ne savons pas de quoi demain sera fait car tout reste désormais à construire pour le bien de notre peuple qui attend et espère tant de belles choses pour ses enfants et son avenir. Nous formulons seulement le voeu que, de nos erreurs et de nos fautes passées, nous saurons enfin, en peuple responsable, tirer profit pour avancer sur les chemins de la liberté et de la dignité, en privilégiant toujours les intérêts collectifs, ceux du plus grand nombre, et en délaissant les intérêts partisans ou personnels, porteurs de trop de divisions et de désillusions...

Oui, ce soir, nous sommes et nous pouvons être contents, même si les défis à venir restent immenses, nous aurons au moins, après tant d’années où nombreux ont été les déçus et les délaissés, pu percevoir que ce combat n’aura pas été vain, que notre combat, loin d’être terminé, ne finira pas aux oubliettes, et que, désormais, une autre génération s’est levée et qu’elle est là pour récolter les fruits de tant d’engagements et de tant d’espérances depuis les années 60...

Ce soir, nous avons perçu avec bonheur combien les jeunes, en si grand nombre, étaient contents et fiers de leur drapeau et de cette victoire, mais ils ne peuvent, un instant, imaginer combien ce soir, à leurs côtés, dans les rues des villes et des villages, nombre de militantes et militants de la première heure, celles et ceux qui ont traversé ces années de luttes, connus ou anonymes, n’ ont pu s’empêcher de pleurer de joie, savourant, enfin pleinement et à leur juste valeur, ces instants d’émotion et de victoire collective, en pensant surtout que leur combat et leur engagement n’auront pas été inutiles, car ils auront enfin commencé à porter leurs fruits, et que l’avenir est désormais porteur d’espoirs à nouveau.

Pà a Corsica, pà u Populu, Pà a Nazione Grazia a tutt’i quiddi (elettore, eletti, militanti…) chi hannu fattu che sta sera fusse pa a Corsica una sirata di festa et di vittoria.

Più che mai : Libertà pà tut’imprighunati e amnistia Libertà pà a Corsica e u populu corsu »

Pierre Poggioli

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