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Billet de blog 17 octobre 2017

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La Catalogne et " l'Europe des régions " par Andrew Spannaus

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La décision de la Catalogne de s'ériger en une nation indépendante de l'Espagne a pris une tournure curieuse, un curieux aspect, dans sa volonté de prendre sa place au sein de l'Union Européenne supranationale. Un nouveau défi pour les États-nations traditionnels.
Par Andrew Spannaus
Le débat politique à travers l'Europe a été ébranlé par le conflit entre la faction indépendantiste de la région espagnole de Catalogne et les institutions nationales d'Espagne, soulevant des questions épineuses sur l'autonomie, la souveraineté nationale et l'Union européenne.
Les Catalans, qui ont organisé un référendum sur l'indépendance formellement interdit et partiellement réprimé par les autorités nationales, ne sont en fait que l'un des groupes régionaux du continent qui ont constamment cherché à réduire leurs liens avec leurs gouvernements nationaux respectifs au travers d'une plus grande indépendance financière jusqu'à la sécession pure et simple.
Jusqu'à ces dernières décennies, de telles aspirations auraient été à peine considérées comme réalistes dans le monde occidental, les États-nations ayant été l'entité politique dominante depuis des siècles, sans intention d'abandonner le pouvoir sur leur territoire ou leur population.
Plusieurs facteurs sont intervenus pour modifier l'environnement politique depuis le début des années quatre-vingt-dix.

Premièrement, il y a eu la promotion de la notion d'autodétermination ethnique par les démocraties occidentales.

Cela a généralement été utilisé pour encourager le changement politique dans d'autres régions du monde, souvent avec des objectifs géopolitiques tels que l'affaiblissement des adversaires stratégiques;

Il existe de nombreux exemples, de l'ancien bloc soviétique et des Balkans au Timor oriental et au Tibet.

Le soutien à ces mouvements sécessionnistes au nom de la démocratie et au nom des droits de l'homme a ouvert toutes grandes les portes aux citoyens d'Europe occidentale pour exiger la reconnaissance de leur droit à l'autodétermination.
Deuxièmement, la stratégie adoptée par les architectes de l'Union Européenne moderne pour encourager l'acceptation de l'abandon de la souveraineté nationale.

Cela impliquait un écart par rapport à la forme originale de l'UE. qui a vu le jour dans les années 1950 en tant que système de coopération économique entre les pays d'Europe occidentale dans un but stratégique.
Dans cette phase initiale, il a été jugé essentiel de favoriser une alliance étroite afin de contrer l'Union Soviétique et les États-Unis ont même fait de la coopération européenne une condition pour le versement des fonds du Plan Marshall peu de temps après la Seconde Guerre mondiale.
À la fin de la guerre froide, cependant, l' U.E. a subi une transformation importante en prenant comme  objectif celui de céder progressivement les prérogatives nationales aux structures supranationales de Bruxelles et de Francfort en recherchant finalement la création d'une sorte d' « États-Unis d'Europe » à l'échelle européenne.

Cette idée a été promue par les élites politiques mais n'a reçu qu'un soutien public fort limité, et, à plusieurs reprises, de manière récurrente, a été rejetée lors des consultations électorales par la population, par exemple.
Il n'est pas très difficile de comprendre pourquoi :

Les pays devraient abandonner volontairement leur souveraineté à une structure politique qui, bien que gérée formellement par des représentants de chaque région, risquait fort d'être dirigée principalement par une bureaucratie-permanente qui n'entretiendrait que peu bien de lien avec les diverses populations du continent européen, et non plus les comprendrait. 

L'impression, toujours présente aujourd'hui, est que l'establishment politique et financier transatlantique centraliserait le contrôle, ne répondant aux besoins d'une petite partie de la population.
Une " Europe des régions "
L'une des solutions qui a émergé était de promouvoir la notion d'une « Europe des régions », c'est-à-dire de centraliser le pouvoir sur certaines questions au niveau supranational, et de transférer les pouvoirs aux autorités locales dans d'autres domaines.

L'idée de mettre l'accent sur les caractéristiques régionales sur une base ethnique n'était pas nouvelle, mais elle a suscité un regain d'intérêt dans les années 1990, car des avenues ont été ouvertes pour faire progresser l'intégration à l'U.E.

Illustration 1


Cela a eu un effet sur les mouvements politiques axés sur les problèmes locaux. Un exemple vient d'Italie où Gianfranco Miglio, un juriste et politologue italien qui a été l'un des principaux promoteurs de l'autonomie régionale, a clamé l'idée.

Miglio était un partisan de longue date d'une réorganisation des nations en entités plus petites basées sur différents groupes ethniques, dans une situation où l'état et les frontières finiraient par disparaître, comme il le dit.
Miglio est devenu le leader philosophique de la " Ligue du Nord " italienne pendant un certain temps dans les années 1990. La Ligue a commencé comme un mouvement appelant à la sécession des régions les plus riches du nord de l'Italie du centre et du sud, considérées comme corrompues, inefficaces et impossibles à réformer.

Les représentants de la Ligue ont été élus à des postes politiques dans tout le Nord, mais ont également endossé des rôles dans le gouvernement national.
Comme la notion de sécession s'est révélée irréaliste, le monde politique a cependant embrassé l'idée d'un fédéralisme plus large, censé permettre aux gouvernements régionaux plus d'autonomie financière et administrative, pour le meilleur ou pour le pire.
Les deux plus grandes régions du nord de l'Italie, la Lombardie et la Vénétie sont sur le point de voter lors d'un référendum non contraignant en faveur d'une plus grande autonomie le 22 octobre.

L'objectif n'est pas de parvenir à l'indépendance réelle mais plutôt de convaincre le gouvernement national de permettre aux régions riches de garder une plus grande partie des impôts qu'elles paient, au lieu d'envoyer la plus grande partie de l'argent à Rome, où il est redistribué selon les priorités nationales.
" Nous voulons de l'argent ", a déclaré un membre éminent du gouvernement régional de Lombardie le 3 octobre. " Le référendum nous renforcera dans nos négociations avec Rome."
C'est la position soutenue publiquement par le gouverneur de la Lombardie, Roberto Maroni, qui ne cache pas son désir de transférer des ressources à ses propres électeurs plutôt que de continuer à subventionner d'autres régions d'Italie moins efficaces et plus nécessiteuses.
Lors d'une conférence de presse il y a trois semaines, Maroni a également sauté sur l'occasion pour  se déclarer favorable à une « Europe des régions ».

Malgré sa volonté de capitaliser sur le sentiment populiste, il s'est distancié du sentiment  nationalisme anti-U.E. développé  en Europe, et exprimé par des politiciens tels que Marine Le Pen en France.

Ainsi, la poussée de l'autonomie locale s'accorde bien avec l'augmentation des structures de pouvoir supranationales qui affaiblissent l'État-nation.
Une Catalogne divisée
Le cas de la Catalogne est bien davantage controversé. Le statut d'autonomie est entré en vigueur en 2006, donnant aux institutions régionales un pouvoir accru sur de nombreux domaines, de l'éducation et de la santé aux communications et au transport.

En 2010, la Cour constitutionnelle d'Espagne a commencé à faire reculer les effets du Statut dans divers domaines, provoquant l'opposition qui a finalement abouti au référendum au début du mois.

Illustration 2


Tous les Catalans ne sont pas pour quitter l'Espagne. En effet, des sondages récents suggèreraient qu'il n'y a pas actuellement de majorité pro-indépendance. Cette conclusion est contestée et, lors des élections régionales de 2015, les partis indépendantistes ont reçu 48% des suffrages, à peu d'encablures d'une majorité absolue, mais d'une pluralité suffisante pour leur donner le contrôle du gouvernement régional.

Le résultat a été un affrontement entre la Catalogne et le gouvernement national d'Espagne, la police nationale intervenant physiquement pour bloquer le référendum le 1er octobre.
Le conflit a également soulevé de graves problèmes pour l'Union européenne. Les sécessionnistes catalans ont déclaré ouvertement qu'en tant qu' État indépendant, ils avaient l'intention d'être membres de l'U.E. Quel meilleur moyen de faire progresser la notion d'une « Europe des régions »?
Lorsque la poussée est devenue sensible cependant, les institutions de l' U.E. se sont vues contraintes d'avertir la Catalogne qu'elle ne bénéficierait d'aucun traitement préférentiel même si elle devait devenir indépendante.

Après un premier silence embarrassé, la Commission européenne s'est alignée sur la position du gouvernement espagnol, laissant affleurer l'idée qu'en temps de crise les prérogatives des États-nations prévalent toujours.
Il est paradoxal de constater, que, tout comme les électeurs occidentaux appuient partout les populistes appelant à un retour à la souveraineté nationale, en opposition radicale avec la fin des frontières politiques et économiques telles que promues, prônées et prêchées par la mondialisation, l'autre bord rompu à son exercice coutumier d'affaiblir des États-Nations, celui de l'autonomie régionale et l'autodétermination, pose maintenant des problèmes précisément à ceux qui l'ont promu.

Andrew Spannaus est journaliste freelance et analyste stratégique basé à Milan, en Italie. Il est le fondateur de Transatlantico.info, qui fournit des informations, des analyses et des conseils aux institutions et entreprises italiennes. Son livre sur les élections américaines " Perchè vince Trump " ( Pourquoi Trump gagne ) a été publié en juin 2016.

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