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Billet de blog 17 mars 2012

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La Toussaint rouge, la mort au coeur des Aurés

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'assassinat du couple Monnerot et du Caid de M'Chouneche, Hadj Saddok,  illustration de  Bachir Chihani

Dans un petit autocar verdâtre Citroen qui assure, au cœur du massif montagneux des Aurés, des rotations entre  Biskra - Arris- Batna, les Monnerot, Jeannine et Guy, respectivement 21 et  22 ans, jeune couple d’instituteurs, en poste dans la mechta de Tieffelfel. Nous sommes le 1er Novembre 1954.

A bord du véhicule d'une cinquantaine de places, le Caid de M'Chouneche, commune de la wilaya de Biskra, Hadj Saddock, avec lequel le jeune couple fait connaissance. Au volant, le chauffeur, au fait de ce qui se prépare, freine très brutalement devant un petit barrage de pierres sur la route et s'arrête. Font irruption à bord des hommes armés qui extraient du véhicule le couple d'instituteurs et le Caïd, puisque visiblement coupable de " collusion " , tout à sa très colorée superbe vestimentaire. Fierté, naturelle, Verbe haut et hautain, Ton méprisant et volontiers railleurs.  Escarmouche de mots avant la mortelle escarmouche.

" Vous n’avez pas honte de vous attaquer à ces enfants… Ce sont des instituteurs, ils viennent pour nous aider… "

Le reste est l'enchainement classique et tragique des histoires d'hommes auxquelles sont  mêlées des armes à feu. " Quand il y a un fusil, c'est déjà la tragédie ... "  s'emporte Samuel  Fuller, quand un quidam lui demande quand commence une tragédie.

Peur, frustration, violence et colère. Gestes maladroits, rafale mortelle à l'emporte pièce, déclic de l'index qui appuie presque tout seul,  et déclenche l'engrenage inéluctable de la catastrophe. Petite tragédie locale, presque intime, un beau matin,  qui laisse deux corps ensanglantés, elle blessée, finalement évacuée, lui sans plus sa vie,  sur le bord d'une route de montagne à 2300m de hauteur - Le corps du Caïd est porté à l'intérieur de l'autocar qui démarre, s'ébroue, et part -  et, sur laquelle quasi-personne ne passe, et, qui, entre autres assassinats concomitants,  donnent  le  " la" de la grande tragédie historique, qui, depuis belle lurette, couvait.

Dans leur rutilante petite 4 CV verte toute neuve, sur une route du même massif montagneux,  un autre couple de très jeunes instituteurs, Jeannine et Paul, en poste à Biskra, lui au volant, elle à ses côtés. Nous sommes ce même 1er Novembre 1954. Jeannine s'étonne que les caravanes de chameliers, d'ordinaire calmes et au repos, la plupart du temps, d’ailleurs,  invisibles dans une région où, jamais,  quasiment aucune âme qui vive n'est perceptible, soient en effervescence. Des hommes debout, armés de longs fusils le bord des routes, et plus haut aux aguets. Une activité inhabituelle. Et une tension inquiétante. Un peu plus loin, Paul ralentit et s'arrête devant un barrage de Police.

Où allez vous ? ... Vous voulez vous faire tuer ... Il y a des troubles ... Allez-y ... Sans vous arrêter ... Et faîtes attention ! ...  Ils les saluent et la petite 4 CV verte repart, à toute vitesse. A son bord, les deux jeunes instituteurs pas franchement rassurés.  " il a du se passer quelque chose de grave " ... Ils arriveront à destination.

" Ils vont vous mettre dehors ... Étant donnée la façon dont vous les traitez ! " ...  disait  Jeannine  -  en poste, avec Paul,  à Biskra,  puis plus tard  à El Outaya, et, finalement,  à Constantine -   peu de jours avant, à sa toute récente arrivée en Algérie,  à d'incrédules et indécrotables administrateurs plutôt très surpris  " Pourquoi dîtes-vous ça "  ! ...

                        " Plus vous voulez que les hommes exercent eux-mêmes une portion plus étendue de leurs droits, plus vous voulez, pour éloigner toute emprise du petit nombre, qu'une masse plus grande de citoyens puisse remplir un plus grand nombre de fonctions, plus aussi vous devez chercher à étendre l'instruction."   Nicolas de Condorcet

  Les Monnerot, Jeannine et Guy

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