Gustav Leonhardt s'en est allé. Je ne le connaissais pas, mais l'envie me prend de me laisser aller à cette inattendue et bien insolite nostalgie, qui, pour peu, que je lui prête une oreille toute intérieure, attentionnée et précise, et qu'elle veuille bien déployer toutes ses partitions, se pourrait bien, un peu à l'image de, justement, ces accélérateur de perception de notre Temps - qui le dévore et n'en laisse rien subsister - font défiler ce qui, d'ordinaire, requiert du temps, tant de temps, l'éclosion d'une fleur, la douce monotonie du lent chuintement des nuages dans le ciel, le passage, la succession rendue techniquement sensible et immédiatement préhensible, du rythme des saisons, du passage des siècles, de l'histoire de l'humanité - Rossellini et l'âge du fer - l'écoulement de la vie, de sa propre vie, son moment fatidique - ... il n'est pas mort, puisqu'il n'a pas vu sa vie défiler devant ses yeux ... dans Sauve qui peut ... - sous mon regard surpris, peu à peu, comme ces bulles, respiration depuis l'opaque vers la lumière, faire affleurer et remonter à la surface sans heurt des eaux de la conscience, non pas retour du refoulé, mais réapparition, émanation, au début timide et presque osée, de la part la plus subtile et la plus fine de nous-même, ces états de sensations que nous laissons, si souvent, pour tant de raisons, comme entre parenthèses, et, sans y prendre garde, insensiblement confiés à cette grande force, à cette puissance, dont tout un chacun est abondamment doté, et, sans laquelle, vivre deviendrait bien vite très inconfortable, et, par leur accumulation nous conduiraient aux marges de la déraison, sur les flots déchainés de leur remugle, aux confins du supportable, à moins de savoir, de savoir et d'oser, et, c'est le propre des - grands - artistes, les joliment organiser dans une en-quelque-sorte très savante compression, où, chacune des multiples faces et facettes, lissées et taillées, tel, l'orfèvre du temps, ce carbone quatorze à l'immémorial savoir de cette encyclopédie toute personnelle, à l'inouïe complexité, des sensations, qui ont traversées et irriguées ce ciel de notre vie, et, dont les pluies et les arcs en ciel successifs nourrirent ce terreau profond des strates souvent protéiformes de ce qui nous constitue, et avec lequel, ainsi, ... nous allons, un peu, beaucoup, à la folie ... notre bonhomme de chemin ...hasardeux, oublieux de richesses enfouies, délaissées ...Et avec lequel nous allons ... Vent debout, vent couché, ou, de travers, calme plat, poteau noir, à l'aventure de la traversée de notre vie, mais, sans lesquelles, elle le disputerait en aridité, en sécheresse de cœur, aux pires déserts bien loin, bien après que les lointains horizons de tous les confins des dernières inhumanités aient été franchies, dépassés, viendraient, ainsi, témoigner par leur perfection et dans leur rutilance mise en exergue, de ce qui, nichés là, comme autant de brillants, - pour autant qu'on sache s'en rendre compte - anéantit la mort, à cette puissance, à cette puissance donc, qui, pourtant, nous sauve, j'ai nommé, la grande salvatrice, j'ai nommé ... L'oubli, l'oubli ...Comme les merveilleux nuages, le merveilleux oubli ... Le merveilleux, souffle sublime de Léthé, peau de chamois sous la paume hésitante et douce, enhardie et caressante du tout petit, de l'enfant qui la découvre, vague sur le sable des dispendieuses discordes de l'être, zéphyr des ondes troublées, doux nectar opiacé et sulfureux, dont, pas même, suavité suprême, ne subsiste le moindre effluve, l'oubli, le dantesque, qui, en ses cercles enserre, et, contient tout ce que l'homme ne sait pas qu'il ne veut plus voir, ne peut plus voir, tout ce que l'homme ne sait pas qu'il ne peut plus, qu'il ne veut plus, voir, et qu'il ne verra plus ... et, qui, au détour, un beau jour, une sombre nuit, d'un geste, d'un abandon, dans l'irradiation sournoise d'une insomnie, le temps d'une pause imposée entre les bras de l'attente, le long d'une ritournelle qui s'enlace à lui, se rappelle et s'impose, s'impose à lui, derechef, et l'espace d'un - toujours trop - peu du temps que, tel un sacre, il lui consacre, le sauve, le sauve, encore, et encore ... - De quoi ? ... Va savoir !... Peut-être de lui-même.. Comme si lui-même recelait sa potentialité d' immanente destruction ! - mais le sauve ... Car, encore et encore, tu seras sauvé, tant qu'il sera ces êtres, dont c'est l'étonnante particularité que d'oser, ce geste, un geste, leur geste, de le continuellement réitérer jusqu'à faire apparaitre, à force de volonté dans l'à-tâtons de ses intuitions, son œuvre enfin achevée, apparaitre et se dresser, en face d'eux, le tutoyant, le presque rudoyant de sa présence, dans sa soudaineté d'apparition, dans sa frontalité immédiate, par l' incongruité nue et abrupte de cet intempestif surgissement, - pourtant tellement voulu ! Tellement désiré ! ... Et avec quel acharnement ! ... Mais qui ... Ou qu'est-ce-qui ... réellement, préside aux destins des volontés ainsi arc-boutées jusqu'à tellement bien au-delà de leur vulnérabilité première ? - se dresser et prendre corps et âme, ce surgissement d'une face inconnue de lui-même, totem d'ancêtre, golem né des profondeurs de l'être, et, en laquelle œuvre, quelle qu'en soit son tissu, de feu, de pierre ou de papier, feu-follet sur d'intemporels océans, front-sein frappé de l'immarcescible sceau des puissances des paroles de l'espoir et de la détermination, tant, tant et tant et bientôt tous, à un moment ou à un autre, vont se reconnaitre.
à Victor Hoffmann et ses merveilleuses œuvres de papier et de temps ...
à JM Straub et Danielle Huillet, pour leur film - En VO non-sous-titrée, lien ci dessous - dont l'interprétation de Bach par Gustav Leonhardt
accompagna cette divagation ...
http://www.youtube.com/watch?v=tdiQdHZM3h4