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Billet de blog 20 juillet 2016

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Théâtre et stérilisations forcées de femmes Rroms

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Quatre femmes Rroms tchèques, toutes les quatre, victimes de stérilisation forcée, de mettre en commun leurs histoires et de les partager sur les planches dans une pièce de théâtre. Divadlo Ostrava / Al Jazeera

Les femmes Rroms partagent des histoires de stérilisation forcée.
Par Renate van der Zee


Ostrava, République tchèque -  « Être en mesure d'avoir des enfants est si important pour une femme. Quand ils m'en ont privée, je me suis sentie inutile », dit Elena Gorolová.

" Être en mesure de procréer est si important pour une femme. Quand ils m'en ont privée, je me suis sentie inutile. J'ai complètement perdu toute estime de moi "

Elena, 47 ans, travailleur social, a été stérilisée contre son gré alors qu'elle était une jeune femme.

Elle est l'une des quatre femmes Rroms tchèques, toutes les quatre victimes de stérilisation forcée, qui racontent leur histoire dans une pièce de théâtre, intitulée :   « Histoires (Jamais) Entreprises », montée, en grande partie par une communauté Rrom, le mois dernier à Ostrava, une ville de la République tchèque.

La stérilisation systématique des femmes Rroms sans leur consentement total et éclairé [PDF] - visant à faire baisser leur taux de natalité élevé - relevait de la politique de l’État dans l'ancienne Tchécoslovaquie de l'époque communiste. Officiellement abolie en 1993 [PDF], mais, qui, selon le Centre européen des droits des Rroms, s'est poursuivie tout au long des années 1990 et 2000. Le dernier cas répertorié de stérilisation forcée en République tchèque date de 2007.

Le droit à la Parole.

Elena, c'est plus de 10 ans d'activité militante incessante, au sein du quotidien d'un groupe de femmes Rroms qui ont décidé de mettre cette question à l'ordre du jour de leur agenda politique et, après moultes âpres combats, sont parvenues, succès considérable, à mettre un terme à la stérilisation forcée en République tchèque.

Succès politique majeur pour ce collectif Rrom, également accompagné d'une demande de compensation financière pour ce qui leur a été fait. « Mais il s'agit non seulement d'une question d'argent, il s'agit de la reconnaissance du fait que nos droits ont été violés » dit-elle.

En 2009, le gouvernement tchèque s'est finalement fort officiellement exprimé à ce sujet. C'est à dire qu'il a exprimé ses regrets sur les stérilisations illégales. Mais cela ne l'a, d'ailleurs, pas empêché, ni gêné, l'année dernière, de rejeter une loi qui proposait l' indemnisation des victimes.

C'est alors, et devant cette fin de non-recevoir de la part du gouvernement tchèque d'accorder ses paroles de regrets à l'acte de reconnaissance qui les rendraient dorénavant effectives et pérennes, qu' Elena et son groupe de femmes militantes et activistes ont décidé qu'elles se devaient de trouver une nouvelle façon d'attirer l'attention sur leur cause.

« Je vois maintenant combien c'était si mauvais »  pdf
Résultat, cette pièce, montée et mise en place en collaboration avec l'ONG  « Ligue tchèque des droits de l'homme et le Centre européen des droits des Rroms.»
« Le jeu est une autre façon pour ces femmes d'exprimer leur frustration », explique Katerina Cervena de la Ligue des Droits de l'Homme. « Ça leur est un moyen alternatif de faire entendre leur voix ".

En tant qu'avocate, elle a travaillé en très étroite collaboration avec le groupe de  femmes,  pendant près de huit ans maintenant, et les représente à la  cour.

La pièce est basée sur les histoires de vie des quatre femmes Rroms. Histoires portées et  racontées par les femmes elles-mêmes, toutes vêtues de noir.

« Je suis toujours dans la douleur après toutes ces années ».

Dans une série de scènes dans lesquelles les femmes sont interrogées par quelqu'un jouant le rôle d'un journaliste, elles racontent, par le menu, et mettent en évidence les différentes façons dont elles ont été contraintes à la stérilisation.

« J'étais totalement désinformée », dit Olga Jonášová.

" Une femme, travailleur social, qui est venue me rendre visite m'a dit que ce ne serait que pendant cinq ans, et, qu'ensuite,  je serai tout à fait en mesure d'avoir des enfants plus tard.  Elle a dit et insisté sur le fait que toutes les autres femmes de la communauté l'avaient déjà  fait."

« Quand je donnais naissance à mon quatrième enfant, ils m'ont tendu et remis un papier-blanc à signer," raconte Natasa Botošová.  

« Je souffrais beaucoup, aussi , j'ai juste fait ce qu'ils demandaient. Après que j'ai été anesthésiée puis ils m'ont stérilisée. J'ai trouvé ce qui m'était arrivé seulement après parce qu'il y avait une cicatrice sur mon abdomen. »

« J'étais  sous la pression d'un travailleur social », dit Sona Karolova. « D'abord, elle m'a promis de l'argent. Quand j'ai refusé, elle m'a menacée de m'enlever mes enfants et de les amener loin. Elle a dit que mon mari allait perdre son emploi. En fin de compte, j'ai cédé pour que cesse sa pression sur moi. »

Les stérilisations forcées attisent la colère de Kenyan  pdf
A la fin de la pièce, dans une scène,  Elena explique pourquoi elle a décidé de parler. « Je le fais parce que je ne suis pas seule » dit-elle. « Je le fais parce qu'il y a d'autres femmes qui ne sont pas en mesure de défendre leurs droits. »

Moment d'émotion intense - il y a des larmes dans ses yeux. Dans le public, il y a beaucoup de femmes Rroms; certaines visiblement extrêmement touchées.

Parmi elles, Jirina Dzurkova. Elle a traversé la même horreur, connu la même expérience que les femmes sur la scène. Qui la représentent et la mettent en scène. C'est un petit bout de femme de 49 ans, mais ne les parait pas. Semble étonnamment beaucoup plus jeune.

« J'avais  34 ans quand c'est arrivé. Peu de temps après la naissance de mon fils, j'ai eu une grossesse extra-utérine. J'ai été amenée à l'hôpital et ils ont décidé de m'opérer immédiatement. Ils ne me disaient rien, ils ne m'ont pas faite signer de papier, il n' a même pas du tout été question de stérilisation. Du tout. »

Quelque temps après, elle est allée avec son fils chez le médecin pour un contrôle médical régulier. Le médecin a étudié son dossier médical et lui a dit : « Je vois que vous avez été stérilisée."

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« J'étais dévastée. Ce fut le pire jour de ma vie » dit Jirina Dzurkova, en parlant de la journée où elle a découvert qu'elle avait été stérilisée. Divadlo Ostrava / Al Jazeera

« Au début, je ne comprenais pas ce qu'il a dit, parce qu'il a utilisé un mot que je ne connaissais pas. Quand il m'a expliqué, je fus dévastée. Ce fut le pire jour de ma vie. Il a fallu beaucoup de temps avant que je trouve la force de prendre sur moi et de le courage de le dire à mon mari. Nous avons toujours voulu plus d'enfants ».

Lorsque son mari a entendu et compris ce qui est arrivé, il voulait aller à l'hôpital pour en découdre physiquement avec le médecin qui a stérilisé son épouse.

« Je l'ai convaincu de ne pas le faire, car cela n'aurait signifié et amené que plus de malheur encore. Mais il était tellement choqué. Après cela, il a commencé à boire » dit Jirina.

En 2001, elle a déposé une plainte contre l'hôpital, mais l'affaire a été reportée à plusieurs reprises avant que la plainte ne soit finalement abandonnée. « Ce fut un coup terrible quand cela est arrivé. Je me suis senti punie pour une deuxième fois » dit-elle.

« Je suis toujours dans la douleur et la peine, après toutes ces années », ajoute-t-elle. 

« Un jour, mon fils m'a dit : « Je voudrais avoir un petit frère ».

« Je devais lui expliquer pourquoi cela n'a pas été possible et nous avons pleuré tous les deux. Ils m'ont volé ma dignité. Je sens que je n'ai pas la même valeur que les autres femmes. ''
 
« Je suis dévastée. Ce fut le pire jour de ma vie » est la phrase qui fait terriblement ricochet à la surface de toutes les vies dévastées de ces femmes ... Dévastées.

« Je vais continuer la lutte »

Jirina a eu la chance que son mariage ait survécu. Certaines victimes de stérilisation forcée ont, non seulement perdu leur fertilité, mais aussi, leur mari. « Ces hommes se sont sentis trahis par leurs femmes », explique Natasa Botošová.

Son mari a divorcé après qu'elle ait été stérilisée. « Il l'a très mal pris ...".  Il a dit:..:  « Vous l'avez fait exprès, vous croyez donc que vous pouvez tricher avec  moi sans conséquences  ».

Le mari d'Olga Jonášová l'a également quittée.  « Après cela, j'ai rencontré un autre homme. Mais nous avons rompu parce que je ne pouvais pas avoir des bébés. Il a dit qu'il allait à l'étranger pendant un mois, mais il n'est jamais revenu. J'ai eu la chance d'avoir une grande famille. Ils ont tous fait de leur mieux pour me consoler » dit-elle.

Après le spectacle, Elena était dans un bar en plein air à l'extérieur du théâtre. C'est une femme énergique, pleine d'humour avec de grands yeux bruns.  « Ça m'est arrivé quand j'avais 21 et venais de donner naissance à mon deuxième fils »  explique t-elle. « Mon premier enfant est né par césarienne et le médecin m'a dit que j'en avais besoin d'une autre. Personne ne m'a rien dit à propos de la stérilisation. »
L'histoire de la stérilisation forcée au Pérou éclipse le vote.

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Prés de 400.000 femmes stérilisées de force au Pérou

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Quand elle a été conduite en salle d'opération, elle a reçu un document à signer, dit-elle. « Ce fut un accord pour la stérilisation. Mais je me trouvais dans une situation stressante. Ils préparaient la césarienne et je souffrais. J'étais dans un tel état que je ne savais pas ce que je signais. »

Après l'opération, le médecin lui a dit qu'il l'avait stérilisée. « Il m'a dit d'être heureuse. Il a dit qu'en me stérilisant, il m'avait sauvé la vie."

Elle s'est effondrée en larmes et pleuré sans plus s'arrêter quand elle a entendu ça.

« Je ne pouvais pas croire que c'était vrai, qu'ils m'avaient réellement fait ça."

Quand elle l'a dit à son mari, ils avaient un argument féroce, parce que, comme le mari de Natasa, il fut convaincu qu'elle avait fait ça volontairement. « c'est une coutume chez les familles Rroms d'avoir beaucoup d'enfants, et il avait honte que  nous n'en ayions jamais plus de deux » dit-elle. « En fin de compte,  je suis quand-même finalement parvenue à le convaincre que cela m'avait été fait contre ma volonté. ''

Quelques années plus tard, en 2004, c'est la rencontre avec un groupe de femmes Rroms qui, comme elle, ont été stérilisées contre leur gré. Elle est devenue leur porte-parole. « Je ne me sentais plus seule. Se battre avec d'autres femmes qui sont passées par là me fait me sentir beaucoup plus forte »

Le groupe  a organisé une manifestation en face de l'hôpital à Ostrava où de nombreuses femmes avaient été stérilisées. Ils ont également mis en place des rencontres avec les jeunes femmes Rroms, afin de les informer et, sur la stérilisation, et, sur leurs droits.

Elena s'est exprimée par trois fois devant la Convention des Nations Unies sur l’Élimination de la Discrimination à l’Égard des Femmes  - Elle a prononcé son dernier discours en février de cette année.

Et maintenant il y a la pièce.

Elle a dit s'être sentie très mal à l'aise en travaillant sur le sujet.

« Je ne pense pas avoir un grand talent pour l'action. Ça n'a pas été facile pour moi. Mais maintenant que la première est passée,  tout le stress est parti. Je pense que c'est un excellent moyen d'attirer l'attention sur notre cas. Je me sentais tellement en colère quand le gouvernement a rejeté la loi sur la compensation financière, qui avait valeur de reconnaissance ».

« Ils ont argué du fait qu'une loi spécifique est inutile, parce que les femmes peuvent en appeler aux  tribunaux » explique Marek Szilvasi, du Centre Européen des Droits des Rroms qui soutient le combat des femmes.

« Mais le problème est que les grands nombres de leurs plaintes ne sont pas recevables, parce que, en effet, selon une disposition de la loi tchèque, les femmes ne peuvent pas déposer et faire enregistrer leurs plaintes avant un laps de temps qui se compte un certain nombre d'années.

Il n'existe ni banque de données, ni archives sur le nombre exact de victimes. 

« Mais nous estimons que plusieurs centaines de femmes ont été stérilisées contre leur gré. Parmi elles, également, des femmes qui ne sont pas Rrom :  des femmes handicapées ou des femmes ayant un statut social inférieur ».

« Lorsque le gouvernement a rejeté la loi de compensation financière, je me suis sentie tellement déçue que j'ai voulu abandonner le combat » dit Elena.

" Mais je ne l'ai pas fait. Je garde encore l'espoir qu'un jour nous serons indemnisées pour ce qui nous a été est fait. Je vais continuer la lutte. Pour sûr. Que je vais la continuer ».

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