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Billet de blog 21 octobre 2011

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L'hallali

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Veni, Vidi, Vici

C'était show hier après-midi sur (presque) toutes les chaines TV. Ca tempêtait dur sur toutes les places publiques du village. Show pour un même son de cloche. L'hallali a salement " raisonné " sur tous les plateaux. Le village global exulte. C’était fête dans les rédactions. Jusque dans les chancelleries, les cours et tous les couloirs, les transports. Partout les mobiles crépitaient sous leur déroulé silencieux serti de pattes de mouches noires et macabres des caractères multiples des alphabets internationaux. A n’y pas croire. C’est le printemps, l’encore printemps, l’encore interminable printemps, avec le retour des mouches noires. Celles là même qui empêchent les indiens Ojibwe du Dakota de sortir pendant trois ou quatre semaines … Elles se glissent dans les oreilles, le nez, les cheveux, pour nous sucer le sang… Vous ne verrez pas leurs dents…

Quelqu’un dans leur dos...

Quelqu’un dans le dos de ces trois qui fleurent bon l’individualisme rationnel contemporain et mondialisé, les observe … !

Pas vêtu comme eux, intrinsèquement autre …

Ca avait commencé il y a quelques jours… Aurait été localisé …Résistance d’une âpreté inhabituelle… Qui laisserait à penser que … Et puis aurait été capturé …Et puis après …aurait été blessé… Both legs… Alors on récapitule : Mouammar aurait été capturé, puis blessé, aux deux jambes, puis grièvement … D’abord blessé, puis grièvement… Il respirerait encore … Il a été capturé, mais respirerait encore. Parce que être capturé, ca va avec respirer « encore », c’est le « encore « qui fait bizarre, qui donne un sens bizarre, « il y a comme une fêlure sur la vitre sans tain de la réalité » Ca doit être dur, pour lui, ce « respirerait encore » … Comme un poids sur la poitrine, une difficulté à respirer encore, comme une idée d’oppression, de barre sur le torse, encore, encore un peu … Ce conditionnel et cet encore, qui pèse de toute sa fragilité nuancée… « Tu parles, qu’il respire encore, que j’me dis… ! » Comme ça, en habitué intoxiqué mais conscient de la dialectique informative avec ses sous-entendus et tous ses pré-ou presque entendus avant que d’être dit.

Capturé ! … Mouammar aurait été capturé alors qu’il tentait de fuir …Repéré en voiture… Un convoi, une centaine, puis deux, deux voitures…De toute façon, bombardés par des avions de NATO, et blessé dans le bombardement, puis capturé. Et mort des suites de ses blessures, d’une balle dans la tête.

Al Jaezzera dispose d’une première image, reprise aussitôt par les non-stops-françaises, qui regardent en sous-main CNN, qui, elle, à ce moment, affiche prudence et patiente attente et, en est réduite, et, ca se voyait bien à l’image qu’ils pestaient quand-même bien un peu sur CNN, réduite donc à reprendre les infos d’Al Jazeera pendant que TV Sur, avec, quand même, un temps de retard peut être dû à un peu d’incrédulité têtue et partisane, qu’officiellement rien n’est avéré de sa possible capture, juste avant que Guysen TV n’ interrompe brutalement et fort tardivement ses programmes habituels et qu’un journaliste nous en explique calmement et posément la raison « une possible capture de Kadhafi » . Idem quant à la russe RT Info, Euros News et autres. Des journalistes s’installent dans le cadre qu’ils partagent avec à peu près les mêmes images des perpétuelles et habituelles déchainements bon-enfant des pétarades et autres salves des libérateurs-libérés qui ne plaignent pas les munitions, en tout cas moins que les membres de NATO les pénuries de leurs approvisionnements en cette énergie fossile d’excellente qualité sous les sables libyens.

La chaine qadarite récemment reprise en main par un émir aux rêves d’hégémonie énergétique, et pas vraiment hôte privilégié du régime libyen diffuse la vidéo très cahotante des derniers instants de celui qui fut le bouillant colonel. La messe est dite.

Le commentateur, à gauche, partage du cadre avec le direct, sur CNN, tiré à quatre épingles, rutilant et droit, la joie au coeur, presque dans un cri hystérique " Nous avons libéré le pays " demande-t-il d'un ton affirmatif ... Le quidam libéré, surarmé et qui lache ses rafales salvatrices dans le ciel, bord cadre, tout à côté de lui, lui dit " oui " ... Exaltation, et exultation !!! ... CNN-man is absolutely radieux. Un gosse. Un vrai gosse le jour de thanksgiving. Un gosse en costard à deux mille dollars... Wanted ! ... Captured !

Le débarquement, thanksgiving, D Day, On the moon, les invasions, colonialisme et impérialisme forcené sur fond de grosse, trés grosse, dépression financière ...Ces dingues mélangent tout ... C'est toute une nation et ses décideurs qui ont besoin de soins ... Leur insconcient collectif a chopé une sacrée varicelle... Herr toubib à la rescousse ... mais avec un patient pareil ...! Bonjour le gageure ...! Qui s'y collera ? ... Il leur faut en face un insconscient collectif de psy, à ces gens-là. pour les remettre d'équerre... Jamais, les Etats-Unis - pas si unis que ça, d'ailleurs ! - d'amérique n'ont été, ne seront aussi dangereux. Ils se croient tout permis. En pleine crise d'adolescence. On croit réver... On comprend derechef la folie libératrice, ça pue l'insconscient libérateur. Sérial liberator. Serial liberator a encore frappé. Serial liberator frappera encore, et encore ... Ils ne s'en sont pas remis. Aprés les indiens, les immenses troupeaux de bisons, les sudistes esclavagistes, cette secession d'avec eux-mêmes, le débarquement est leur trauma. Serial liberator est à l'affut, sur le qui-vive permanent. Langue fourchue ... Le janus de la maison blanche perpétue le crime. A peine distingué du Nobel de la paix, il expédie quelques milliers de soldats supplémentaires en Afgansistan ou ailleurs... Et commandite meurtres sur meurtres et dit se désengager ...

Nous vivons, et nos enfants vivent, dans un monde trés dangereux. C'est l'aboutissement du principe de précaution. On eût mieux fait de proner le principe de dangerosité, et de veiller davantage à l'équilibre des passions néfastes.

C’est que le soir aux infos de 20h, sur la deuxième chaine nationale, qu’on saura vraiment ce qu’il s’est passé. Il y avait Le ministre des armées qui a expliqué que des avions de NATO avec un avion Français parmi eux, et peut-être un pilote français-aussi, ont arrêté les véhicules en fuite, sans les bombarder. Je ne sais pas comment ils ont fait. Ca, il ne l’a pas dit. Mais ils l’ont fait. Je me dis qu’ils ont dû faire très peur aux conducteurs qui se sont arrêtés. Et après le ministre a dit qu’il en savait pas plus.

Et après il semble qu’il ait été arrêté et blessé, aux jambes, et grièvement, et il est mort d’une balle de 9mm - dans la tête ou dans le ventre, ou les deux - a dit un témoin direct, un costaud en pleine santé, parfaitement au moins-trilingue, mais le journaliste sur place n’a pas demandé qui l’avait tué. C’est comme si le calibre de l’arme avec laquelle Mouammar Kadhafi avait été exécuté était plus important que l’identité de celui qui tenait l’arme et a fait mortellement et par deux foi feu sur lui et, à bout portant.

Il y avait aussi - sur le plateau du 20h de la deuxième chaine nationale – en même temps que le ministre des armées et en face de lui, un intellectuel français dont le ministre a salué la qualité de façon appuyée et pleine de reconnaissance. Peut-être parce qu’il a initié la guerre. La guerre de libération du pays avec tous ses amis qu’il connait et qui sont des gens très bien et qui se battent pour libérer le peuple et qui vont commander maintenant le pays. Qu’y avait même un chef de guerre de la résistance, un grand chef, qui était caché, et, au vu et su de personne d’autre que lui qui le connait, complètement inconnu, dissimulé - mais donc personne ne le cherchait - dans la ville assiégée, où s’était réfugié dans une canalisation, puis avait été délogé et finalement arrêté, puis blessé aux deux jambes, puis grièvement, puis tué, suite à ses blessures au combat, d’une balle en pleine tête, le colonel Kadhafi. Il nous a tout expliqué, peut-être pas comme je le dis, j’ai du peut-être mélanger des trucs. Et c’est normal que le ministre français des armées, il l’ait honoré de ses compliments, parce que heureusement qu’il était là. Parce que, juste avant d’entrer sur le plateau, l’intellectuel français était au téléphone - c’est lui qui l’a dit – et on lui a tout dit. Il est tout le temps en contact avec tout le monde là-bas et ailleurs tout le monde aussi. Alors le ministre des armées ne savait mais lui, si. Lui, il savait. Il nous l’a dit et l’a dit aussi au ministre qui n’a rien dit d’autre, il me semble, qu’il attendait des explications ou quelque chose de ce genre. Ou des éclaircissements. Je ne sais pas de qui ou avec qui …

A l’amie pas très informée qui m’a demandé « qui c’est lui … ? » en parlant de celui qui savait plus de choses sur la guerre en cours et le déroulement des opérations que le ministre français lui-même des armées de la France, je lui ai répondu, et je sais pas pourquoi, mais pour rire, « c’est le président de la république ». J’ai senti ou j’ai vu qu’elle m’a regardé. Alors j’ai dit que « oui », c’est le président de la république. Mais c’est le vrai président. Mais on ne le sait pas. C’est Le président en filigrane. Comme sur les billets de banque. Sur les billets de banque, pour pas que les faux-monnayeurs les reproduisent trop facilement, il y a en filigrane la tête de quelqu’un et c’est très difficile à imiter ou contrefaire. Et bien, là, c’est pareil. Un vrai président, il a toujours un filigrane qui l’authentifie.

Tous les présidents en ont un. Maintenant sur les nouveaux billets, il y a un tas de nouveaux trucs très difficiles à contrefaire, même si certains y parviennent, et qu’en politique, c’est pareil, on ne connait pas tout. C’est compliqué. Très compliqué. Que Mitterrand aussi, il avait un filigrane, même plusieurs. Et que c’est diablement difficile à contrefaire. Qu’il en avait beaucoup des filigranes, presque superposés. Ou qui se fondaient les uns dans les autres sans forcement ni le savoir ni se connaitre. Sans le savoir, ni le savoir. En sculpture, comme une compression… Ne chevauche pas pareil attelage qui veut. C’est du grand art… ! Du grand homme. Quand elle me demande « qui sont, ou quels furent ?», les filigranes de Mitterrand, alors je pense à tous ceux, me semble-t-il, auxquels sa pensée et ses fréquentations et amitiés intellectuelles d’homme de lettres renvoient, auprès desquels elles trouvent un écho ou une source. Alors dernièrement pour lui, quand à la fin de sa vie, il rend visite à jean Guitton pour se faire ouvrir les portes de la connaissance de l’au-delà, et à Pharaon, lui-même, qu’il dut tutoyer, lors du dernier voyage et pèlerinage sur le Nil. Je n’en citerai pas d’autres. Ils sont le sable d’or et le lustre de l’esprit qui conduisent et inspirent les destinés de la France.

O tempora, o mores …Quand c’est la mort, l’inspiratrice…Et, plutôt, celle, bien sûr, des autres !

Mon amie me dit ensuite que les libyens, aux élections qui vont venir, ils devraient le prendre lui comme président. Il sait ce qui est bon pour eux.

Et après l’intellectuel français, invité et heureusement du journal de 20h, tellement connu qu’on le reconnait juste par ses initiales, qui se substituent à son nom - comme César, pas le sculpteur des compressions , mais bel et bien l’auguste empereur romain qui couchera la gaule-à-jamais-pourfendue, et lèguera à l’humanité, son prénom, substantif de la gloire - et, par un étrange glissement ontologique, un rapt ou une presque escroquerie, comme si, c'est son propre nom, son nom véritable, qui serait en filigrane de lui-même, l'auto-authentifié, voilà que le philosophe aux trois lettres, trois lettres qui condensent tout, se lance, soudain, avec brio et passion, avec appétit et sincérité, avec une empathie soudaine, inspirée et habitée, pour son courage et sa grandeur, dans une sorte d’éloge funèbre, court et vif, et intense, presque brutal et fiévreux, de celui qu’il avait contribué à tuer, au moins, déjà un peu, politiquement.

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