Plus rien ne s'oppose plus à aucune nuit ...
" La peinture est passée dans la nuit " dira Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis, qui, après qu'elle eût définitivement sombré dans la folie, ne touchera plus un pinceau.
" La peinture est passée dans la nuit " ... Elle qui peignait le feu féérique de la vie de la nature...
Qu'a-t-elle-vu dans les prémisses de sa nuit ...?
Qu'a-tu-vu Séraphine, Séraphine Louis, qu'as-tu-vu de la nature...? ... Que-t-a-elle-dit ...?
Toi qui te mélangeais aux anges et discourais avec, toi qui parlais aux arbres, et tutoyais la nature, et quoi qu'elle t'ait dit et que tu aies vu, si tu as su que la peinture passerait dans la nuit...Et, avec elle, tout ce que tu mettais sur la toile, comment tu le mettais, et tout ce dont tu habillais tes couleurs, glané, cueilli, choisi, si tu as su que la peinture passerait dans la nuit, que la peinture qui était tout pour toi, qui était la vie, la vie de tes nuits, les raisons de ton labeur ...
Jusqu'où d'elle-même, la peinture t'a-t-elle conduite, jusqu'à quel point à l'orée de quel abime, sur le seuil de quels abysses sidérants, qui t'aient, ainsi, faite te retrancher en cette inexpugnable citadelle intérieure appelée folie et qui n'est pour toi que ce moment, sans plus la peinture qui est passée dans la nuit et que tu as accompagnée, que ce moment d'encore la peinture, d'avec la peinture, mais de la peinture passée dans la nuit, jusqu'où, jusqu'à quel chant intérieur de la désolation t'a t-elle conduite...
Cette peinture, à laquelle, confiante, tu te donnais sous les injonctions des cieux, source de ton inspiration, cette peinture, en confiance avec toi, qui t'ouvrit tous grands les yeux de l'âme sur ce que serait sa nuit, sa nuit à venir, la nuit bientôt, la nuit totale, la nuit de la peinture. Alors toi qui étais devenu la peinture est entrée dans sa nuit. Faite tienne. Dans ta nuit. Les hommes appellent folie des états qu'ils ne comprennent pas et dont ils ne connaissent pas et ignorent la portée. Des êtres errent dans la nuit. Comme des époques. L'histoire aussi s'est mise à errer dans la nuit et s'est sentie très seule. Et elle a erré longtemps. Combien de Séraphines et Séraphins pour l'en tirer, l'en sortir. Combien de Séraphines et de séraphins pour l' à-nouveau-ensoleiller... Des masses, des foultitudes, des foultitudes de masses tombées au champ de l'oubli, dans les catacombes de l'histoire qui se réchauffa et éclaira sa longue nuit de l'éclat et du feu de leur sang. Point d'aurores. Les aurores ne sont point le fruit de la nuit. Elles sont d'une autre nature. Elles viennent après, c'est tout. De même que le crépuscule n'est pas le fruit du jour. Il vient avant la nuit, c'est tout.
L'histoire a ses aurores et ses crépuscules. Le crépuscule est un soir qui gagne. Qui gagne à nouveau. Tombe. Peu à peu, mais inexorablement. Tombe. Le mouvement est lancé, plus rien, plus rien, ni personne ne l'arrêtera.
L'histoire s'apprête à grelotter. A grelotter à nouveau. C'est le froid qui voulait revenir. A se sentir à nouveau très seule. Et qui revient. Qui n'a pas le sens de l'histoire n'a pas le sens de la vie. Est un vampire. Avoir le sens de l'histoire est la tutoyer, comme on tutoie un ainé, un grand ainé, un ancêtre, immémorial, un grand ancêtre, un volcan ou un typhon. C'est question de résonances. A chacun ses accointances. A peu, celles de la peinture, à Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis, ceinte en un asile...A peu, à rares, celles de la peinture, le gout et la fréquentation, l'amitié des muses. C'est question d'élection.
Mais combien sont rares les fumerolles de l'espoir quand gagne le soir, le soir et le froid, le grand froid qui masque le jour, ce jour, qui, comme Séraphine Louis, dite séraphine de Senlis, accompagnait, ceinte en un asile, la peinture et sombra dans sa nuit, accompagne la nuit, qui a glissé dans le froid, dans le grand froid, dans la grande nuit noire. Le grand froid. La grande nuit pour un jour gris. Jour gris du cerveau à l'étal.
Plus rien ne s'oppose plus à aucune nuit.