Les mots vivent et peuvent, de ce fait, s'éloigner, librement, du champ sémantique auquel ils appartenaient jusqu'à présent, et s'autoriser des incursions dans des domaines qu'ils découvrent, et nous les font percevoir autres et nouveaux, quand une nouvelle utilisation les enrichira d'un sens nouveau que nos académiciens très justement sourcilleux sauront préciser dans une définition à venir ou par des correctifs à apporter.
Dans notre société, qui tente, comme un marin à la barre dont tout l'art est de savoir tenir le vent, de coller, au plus prés, de cette folle et trop belle Arlésienne qu'est le credo obsessionnel et vampirique de libertés que nos aïeux ont si durement gagnées à tous les plans, du risque-zéro, le mot "contagion" ouvre immédiatement tout grand portes et fenêtres de la peur, du malheur et de la maladie, sur un horizon qu' on voudrait ne jamais avoir à côtoyer.
Le mot contagion est le mot de toutes nos peurs.
Qui se fût élevé, si l'on eût employé le dit-mot-du-malheur-et-de-la-peur-généralisée qui tue, à petit-feu, constant et terriblement besogneux de bon élève-premier-de-la-classe qu'il est, et justifie, sans besoin qu'il soit débattu , toutes les écarts liberticides, et toutes les très pratiques chasses aux sorcières et sorciers de notre temps, notre société feu-démocratique-et-resplendissante, si l'on eût donc employé le terme, le mot "contagion" à ...par exemple, ce Berceau renaissant du fatras de toutes nos peurs, craintes et cécités, l'islamisme ?
On n'eût point craint là une ire proche de l'apoplexie.
Mais le beau mot a largué les amarres et cargué les voiles de l'insurrection. Il s'est libéré. Sous sa houppelande noire, d'où seule, d'une capuche sans couture, émerge le menaçant visage à angle dur, en diable kaléidoscopique, avec, dans l'oeil, bien nichée au centre, sa pupille de gorgone, telle une ombre qui concourt à souterrainement gagner et s'étendre sur plus de la moitié d'un continent, des contrées, tant géographiques et historiques qu' intérieures et mentales, disparaissent, sous nos regards médusés.
Le mot s'en est allé à l'aventure. Et s'offre de nouveaux et inédits voisins et comparses. Il y a bien contagion, et ce n'est pas un gros mot, c'est juste un mot en rupture de ban. Un mot qui franchit et enjambe, guilleret, les barrières sémantiques et les frontières qui le contraignaient, c'est un mot qui s'est enfui, un mot-clandestin, un affranchi, un fugitif, un sans-sens-arrêté par excès de sang, qui légifère pour l'avenir, un exemple à ne pas suivre, qui fait loi, un enfant fugueur, un délinquant, c'est un poète.
Un artisan du sens, et de la liberté.
Connaissez-vous, disait G. Deleuze, " la transformation du boulanger ", je cite donc, le philosophe, à l'adresse duquel Foucault soulignait, en s'affranchissant de Malraux, que le siècle prochain serait Deleuzien ou ne serait pas: " On prend un carré, on l'étire en rectangle, on coupe le rectangle en deux, on rabat une partie du rectangle sur l'autre, on modifie constamment le carré en le réétirant, c'est l'opération du pétrin. Au bout d'un certain nombre de transformations, deux points, si rapprochés soient-ils dans le carré originel, se trouveront fatalement dans deux moitiés opposées. "