" A la fin de l’heure, je crois, il a « cassé » Arthur selon ses propres mots ; il a pris sa trousse pour lui montrer ... Et il a jeté, à travers la classe, les stylos, les crayons, la règle… éparpillant les outils scolaires qu’Arthur utilise fort peu, en colère, sans se maîtriser. Des élèves ont essayé d’intervenir, peine perdue : dehors. " ...
L'enfant, lui, jamais, n'oubliera ... C'est ainsi ! L'oubli qui est une grande force n'en aura pas la force. Il faudra y adjoindre d'autres forces. En d'autres temps, Athena eut su, par ses conseils, y remédier. Mais ces temps sont loin, et la solitude est de mise, chacun au centre de la sienne. La blessure de l’enfant sera longue à cautériser. Au mieux elle se fera ilot, l'un des nombreux dans ce chapelet de multiples, d'îles et d'îlots, détestables et malencontreux surgeons de l'ineptie, de l'infamie d'avoir dévoyé la dignité requise et attendue. D'avoir trahi, entaché la mission. Longtemps, l'enfant conservera l’indélébile marque, presque le stigmate. Comme les flots qui gardent longtemps en leur sein et à sa surface les longues blessures que leur infligent les navires par leur sillage. Le cri des mouettes au-dessus et et qui les accompagnent n'y fera rien.
Alors, au lieu que de s'inquiéter du sort de l'indigne qui s'est fait intempestif bourreau de souvent d'un et d'un seul, jamais plus, le plus faible, ou supposé, souvent à tort, comme tel, celui sur lequel il est si aisé d’amonceler les nuages de ces courroux qui s’affranchissent d'eux-même des devoirs liés à leur tache et fonction, et, au-dessus de la tête duquel, supplicié de la planche à eau, mobiliser, à bien peu de frais - telle est la pingrerie des pleutres et des sans-honneur - les lâches énergies dévastatrices, odieusement abréactives - Le politique a les retombées et les inavouables rhizomes que l'on sait -, plutôt s'enquérir de la situation du naufragé, victime expiatoire de cette mutinerie, mutinerie d'un instant, instant tant de fois, et, à l'adresse du même, répété, acte combien de fois réitéré et combien de fois passé sous silence par leur hiérarchie, mutinerie des chefs, dépositaires, pour certains d'entre-eux, de l'autorité publique, qu'ainsi ils bafouent, vilipendent ouvertement et sans ambages, et tous, faisant fi de ses préceptes inscrits dans le marbre de la constitution, chargés d’une mission de service public, entachant, encore, comme s'il ne suffisait, son honneur, par l’hallali de la meute de ses pairs, en écho jubilatoire, généreusement, largement et odieusement incantatoire et à la régalade.
Honte à eux, tous. Toute honte bue, le calice est à l'enfant. Il est le réceptacle de cette lie.
Si toute vie est bien entendu un processus de démolition, il ne sied guère aux pédagogues d'en initier, à fortiori volontairement et de façon aussi abrupte, tellement brutale et éthiquement crapuleuse, le processus et d'en accentuer et d'en accroitre l’irréparable irréversibilité.
Construire sur les lignes de fracture, disait Deleuze.
Construire sur cette ligne de fracture, sur cette brèche. A partir et depuis l'endroit même de la fêlure, ainsi - hélas - initiée. Et dire Vrai.
" Epimeleia heautou - Du souci de soi, de l'application à soi-même - Ce précepte, si archaïque, si ancien dans la culture grecque et romaine, et que l'on trouve très régulièrement associé, dans les textes platoniciens et plus précisément les dialogues socratiques... a donné lieu au développement de ce qu'on pourrait appeler " une culture de soi ", une culture de soi dans laquelle on voit se formuler, se développer, se transmettre, s'élaborer tout un jeu de pratiques de soi.
Il faut dire vrai sur soi-même. J'ai vu se profiler, en quelque sorte, un personnage, un personnage très constamment présenté comme le partenaire indispensable, en tout cas l'adjuvant presque nécessaire de cette obligation de dire-vrai sur soi-même ... pratique du dire-vrai sur soi-même qui prenne appui sur, et fasse appel à la présence de l'autre, l'autre qui écoute, l'autre qui enjoint de parler et qui parle lui-même.
Le dire-vrai sur soi-même, et ceci dans la culture antique a été une activité à plusieurs, une activité avec les autres, et plus précisément encore une activité avec un autre, une pratique à deux.
Cet autre indispensable pour que je puisse dire vrai sur moi-même, qu'il soit le médecin, le psychiatre, le psychologue, le psychanalyse - en revanche dans la culture antique, où pourtant sa présence est parfaitement attestée, il faut bien reconnaitre que son statut est beaucoup plus variable, beaucoup plus flou, beaucoup moins nettement découpé et institutionnalisé.
Cet autre si nécessaire pour que je pusse dire le vrai sur moi-même, cet autre dans la culture antique peut être philosophe de profession, mais aussi n'importe qui.
Ce texte de Galien - Traité des passions de l'âme et des erreurs - sur la cure des erreurs et des passions, où il est dit qu'on a besoin, pour dire la vérité sur soi-même, d'un autre qu'on doit aller prendre un peu n'importe où, pourvu que ce soit un homme d'âge et sérieux.
Ce peut être un philosophe de profession, ce peut être aussi un quidam.
Il peut être un professeur, un professeur qui fait plus ou moins parti d'une structure pédagogique institutionnalisée - Épictète dirigeait une école -.
Mais ce peut être un ami personnel, ce peut être un amant.
Il peut être un guide provisoire pour un jeune homme qui n'a pas encore atteint tout à fait sa maturité, qui n'a pas encore fait ses choix fondamentaux dans sa vie, qui n'est pas encore maitre de lui-même, mais ce peut être un conseiller permanent, qui va suivre quelqu'un tout au long de son existence et le mener ... "
Michel Foucault - Le Courage de la Vérité - Le gouvernement de soi et des autres II - Leçon du 1er février 1984.