Elle est tout de même étrange, cette litanie des "Cent Jours". D'accord, l'actualité n'est pas d'une richesse stupéfiante. Et les commentateurs adorent les "marronniers", les expressions passe-partout, les symboliques façon "fast food". Enfin, cerise sur le gâteau, si ma mémoire est bonne, l'excellent Laurent Fabius fut chargé, durant la campagne présidentielle, de réfléchir à cette fameuse période, ce qui, naturellement, contribue à alimenter et renforcer le syndrome. Mais enfin...
Notons d'abord la bizarrerie constituant à faire, par une curieuse analogie, par une douteuse facilité sémantique, d'un moment historique fort bref, atypique, durant lequel rien de durable ne s'accomplit, au final un pur fantasme collectif et, qui plus est, s'achevant par le désastre de Waterloo, une référence désormais incontournable de la vie politique nationale.
Surtout, le compte n'est pas bon. La séquence ouverte à la fin du 2ème tour de l'élection présidentielle ne se termine qu'avec la mise en place de la nouvelle assemblée nationale. Et celle-ci ne commença ses travaux que le 3 juillet dernier., soit il y a une quarantaine de jours. Vu ainsi, l'idée d'un bilan du nouveau pouvoir semble donc parfaitement artificielle. Ce qui ne semble pas gêner grand monde (à part Arnaud Montebourg et Marisol Touraine cet après-midi, mais je crains leurs réserves, pour partie de circonstance, de peu d'effets).
Au fond, le seul vrai révélateur de cette bouffée délirante est celui de l'incapacité chronique, et, je le crains, irrémédiable, de la communauté politique (élus, entourages, journalistes, "observateurs", "experts", etc...) de se situer autrement que dans le très court terme. On me dira internet, les réseaux sociaux, l'instantanéité des marchés financiers, l'impatience des foules et toute cette sorte de choses. Soit. Le problème, c'est que l'économie, les structures sociales, l'urbanisme, la recherche, les relations internationales, voire le climat (pour ne prendre que quelques exemples), n'obéissent pas, loin s'en faut, uniquement à des cycles courts (je n'oublie pas que Keynes, dont je suis un fervent admirateur, notait "qu'à long terme nous serons tous morts", mais c'était à l'appui d'une thèse particulière). Il supposeraient donc, a priori, d'inscrire le débat citoyen dans d'autres durées que l'élection suivante. Nombre des déboires rencontrés par les politiques publiques découlent aussi de cette terrible difficulté contemporaine à concilier la gestion de l'urgence (indispensable), la réactivité (qui est une indéniable qualité) et le courage de construire dans la durée quand bien même les fruits, y compris électoraux, ne seraient pas récoltés à horizon prévisible.
C'est aussi pour cela qu'il n'est pas inutile, en toute modestie et lucidité, d'installer ici ou là quelques "vigies". Pour tenter de regarder un peu plus loin d'un peu plus haut.