Ces dernières semaines, les débats autour du CETA se sont multipliés en Europe. En Belgique, au Parlement de Wallonie, de nombreux représentants prônant l'adoption ou le rejet de l'accord se sont succédés pour détailler leurs arguments devant la la Commission des affaires européennes. Certains venaient de loin, comme Monsieur Lametti, Secrétaire parlementaire de la Ministre canadienne du Commerce international Chrystia Freeland, invité à venir témoigner jeudi dernier 13 octobre. Le lendemain, le Parlement de Wallonie votait une résolution rejetant définitivement le CETA, visiblement peu séduit par son opération de charme.
Les sponsors du CETA préférent jouer sur les sentiments
Pourtant, pendant son audition, M. Lametti a nombreuses fois souligné l'amitié qui lient les Canadiens et les Européens, les Quebecqois et les francophones, comme si l'accord avec été négocié par l'homme de la rue et était destiné à renforcer l'amitié entre les peuples. Il a aussi plusieurs fois martelé que "le Canada, ce n'est pas les Etats-Unis", jouant sur le capital sympathie des Canadiens auprès des Européens (et aussi de la peur ou du rejet que leurs puissants voisings peuvent inspirer à certains). Cette diversion n'est pas sans faire miroir avec la stratégie de communication des sponsors européens du CETA, prêts à temporairement pester contre le TAFTA et les Américains pour mieux encenser le CETA et les Canadiens. Et ceci alors que les projets d'accord sont plutôt similaires, ce qui n'est pas très surprenant étant donné que les lobbies invités à la table des négociations sont les mêmes.
Pourtant, certains de arguments de l'envoyé canadien n'étaient pas sans mérite. M. Lametti a par exemple rappelé que le Canada dispose toujours d'un système de santé publique, et ceci plus de 20 ans après l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA ou NAFTA en anglais). La survie du modèle canadien de santé ne serait-il pas une preuve de l'effet bénin des accords de libre-échange de "nouvelle génération" comme l'ALENA ou le CETA?
L'ALENA et l'envolée des inégalités au Canada: une coïncidence?
Il est bien évident que le Canada, ça n'est pas les Etats-Unis, et que l'ALENA n'a pas transformé le Canada en un 51ème Etat américain. Pourtant, derrière l'évidence, certaines évolutions de la société canadienne laissent à penser que l'ALENA n'est pas resté sans effet sur cette dernière. Les inégalités, par exemple, dont Wilkinson et Pickett ont exploré les effets corrosifs à long terme, montrant que de nombreux problèmes plus communs au bas de l'échelle sociale (espérance de vie brève, mortalité infantile élevée, problèmes psychiatriques, immobilité sociale, criminalité, etc.) sont plus répandus dans des sociétés plus inégales (1). Sans parler de la corruption politique.
En regardant la part des revenus des 1% les plus élevés, on constate que les USA qui avaient pris de l'avance depuis la présidence de Reagan dans les années 1980 étaient sur le point de se faire rattrapper par le Canada quelques années après l'entrée en force de l'ALENA (graphique 1). Au début des années 2000, cette part était de 17% aux USA, mais déjà de plus de 13% au Canada, alors qu'en 1994 encore, elle ne dépassait pas les 9%, certes plus qu'en France ou aux Pays-Bas (2).

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La même analyse des revenus des 10% les plus élevés montrent un développement similaire, le décile le plus riche de la population accapparant près de 43% du revenu aux USA et au Canada dès le début des années 2000, contre moins de 33% en France et 28% aux Pays-Bas à la même époque.
Il serait abusif de prétendre d'emblée que la poussée d'inégalité au Canada suite à l'entrée en force de l'ALENA serait (entièrement) due à cet accord de "nouvelle génération", mais il serait naïf de ne pas relever la coïncidence fâcheuse. En attendant que d'autres étudient plus en détail les liens de causalité entre accords commerciaux de "nouvelle génération" et envolée des inégalités, il serait sans doute judicieux d'invoquer le principe de précaution face au CETA.

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(1) Lire Wilkinson, Richard G, and Kate Pickett (2011) The Spirit Level: Why Greater Equality Makes Societies Stronger. New York; London: Bloomsbury.
(2) Les données de la World Income and Wealth Database n'étant pas disponible pour la Belgique, j'utilise celle de son voisin. La dernière année observée n'est pas la même pour tous les pays. Affaire à suivre...