Pierre-Louis Mireille (avatar)

Pierre-Louis Mireille

Agroéconomiste

Abonné·e de Mediapart

3 Billets

0 Édition

Billet de blog 5 décembre 2025

Pierre-Louis Mireille (avatar)

Pierre-Louis Mireille

Agroéconomiste

Abonné·e de Mediapart

Laboratoire d’un ultralibéralisme dévastateur, les « confettis de l’Empire » ...

La situation des DOM, singulièrement des Antilles, n’est pas une fatalité. Mais, dans le sillage de l'intégration européenne, le virage ultralibéral entrepris par la France ces dernières années, avec des déficits budgétaires intentionnels et des coupes ciblées affectant les plus vulnérables, pourrait bien leur être fatal. Les DOM : le laboratoire d'un ultralibéralisme intrinsèquement dévastateur.

Pierre-Louis Mireille (avatar)

Pierre-Louis Mireille

Agroéconomiste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La France possède un vaste empire qui se déploie sur quatre océans, lui octroyant un statut de puissance. Cependant, le revers de la médaille serait un coût ressenti comme exorbitant. En réalité, ne sont alloués aux outremers que 3.6 % du budget de l’Etat[2],  moins que leur poids démographique.

Par ailleurs, contrairement à un préjugé tenace, les prestations sociales versées aux ménages des DOM, ramenées au nombre d’habitants, sont en moyenne deux fois plus faibles que dans l’Hexagone. Et, au final, elles ne constituent que 1% du budget de la sécurité sociale (8 Md€)[3]. Une mise à niveau sociale des DOM ne reviendrait donc pas à sacrifier 30% du PIB de la France (1000 Md€), comme cela a pu être écrit encore en 2024, par un mimétisme ravageur.

Illustration 1

Source: Insee, 2018

Et, si toutes dépenses confondues, le budget de la sécurité sociale est déficitaire dans les DOM, il en est de même pour les autres régions, sauf les plus riches.

Il reste donc les « dépenses fiscales » de l’Etat (5 Md€) dont le dynamisme menacerait l’équilibre budgétaire de la France, mais elles fluctuent selon le bon vouloir des fonctionnaires de la DGFIP[4] : plus du tiers se serait ainsi volatilisé en 2024, au grand dam de la Cour des comptes[5].

 Les inégalités persistantes : une contribution au redressement des finances publiques

Appelés à de nouveaux efforts, les ménages des DOM contribuent déjà à la maîtrise des dépenses de l’Etat, en raison de retards persistants.

Ainsi, en matière de continuité territoriale, l’on constate un décalage de 500€/Hab. par rapport à la Corse. Si l’on tient compte de l’éloignement, soit un coût du transport au moins deux à trois fois plus élevé, la facture pour l’Etat serait au moins de 1000€/hab, soit 2.2 Md€.

Également, le fait que les prestations sociales ne soient pas ajustées au coût de la vie, représentent un coût pour les ménages, d’au moins 1 Md€.[6] Toutes ces économies de l’Etat, participent à la « vie chère » dans les DOM, entraînant un coût social d’au moins 3.2 Md€.

Ce chiffre n'est pas exhaustif et ne comprend pas, entre autres, le secteur des communications. Ce dernier occasionne une dépense de +35% dans les DOM par rapport à l’Hexagone ou à la Corse qui, elle, bénéficie du « tarif français unique ».

Par ailleurs, en raison de dotations de péréquation plus faibles (-200 M€/an pour les communes) et de transferts de compétences plus lourds[7], ayant ouvert un cycle de révoltes sociales de grande ampleur à partir de 2009, les ménages des DOM ont été fortement sollicités pour pallier les défaillances de l’Etat vis à vis des collectivités locales.

Par conséquent, puisque la DGFIP recense les moindres dépenses de l’Etat dans les DOM qui sont annexées à chaque loi de finances pour y puiser des économies potentielles, il serait opportun qu’elle évalue pareillement toutes les économies déjà réalisées dans les DOM, par une inégalité de traitement..

L’enjeu serait de parvenir à une vision plus équilibrée de l’action de l’Etat dans les DOM, laissant en définitive peu de latitude pour alourdir le fardeau des ménages, comme en témoignent les révoltes sociales récurrentes.

Les DOM ne sont pas responsables du dérapage budgétaire de Bercy

Alors qu’à partir de 2018,  la France s’engageait dans une politique d’allègements fiscaux massifs qui n’impactait les DOM qu’à la marge compte tenu des allègement déjà existants (abattement obligatoire de 40% sur la taxe d’habitation, exonérations des charges patronales …), ces territoires, stigmatisés pour les « dépenses fiscales »  de l’Etat ou pour la prime de « vie chère » subissaient des hausses d’impôts ciblées   : suppression de la TVA NPR , hausse ciblée de l’Impôt sur le revenu, taxe sur le rhum multipliée par huit, augmentation ciblée des cotisations sociales des travailleurs indépendants … Certaines de ces mesures figuraient dans le « Livre bleu de l’Outremer », lequel   sous ce charmant vocable, annonçait la mise en branle d’une politique implacable de l’Etat à l’égard des outremers, tracée par Bercy.

Les Antilles, variables d’ajustement budgétaire

Avec le projet de loi de finances pour 2026, l’on assite au déploiement à l’échelle des DOM d’une politique ultralibérale de baisse drastique des dépenses publiques qui a, jusqu'à présent, principalement touché les Antilles, chargées d’une solidarité à l’égard des DOM les plus fragiles, ce qui les plonge dans une impasse.

En effet, la stratégie budgétaire de l’Etat dans les DOM consiste à prioriser ses interventions sur Mayotte et sur la Guyane, en se servant des Antilles comme variables d’ajustement.

Résultat : depuis 2018 le budget de l’Etat a été quasiment gelé aux Antilles, contre une augmentation de +45% et + 68% pour la Guyane et Mayotte, et +27% pour la Réunion.

Le graphique ci-dessous peut donner une image du sentiment d’asphyxie qui prédomine aux Antilles.

Illustration 2

Source : Lois de finances initiales en Autorisation d’engagement, DPT Outremer, calculs Mpl

Cela signifie que l’on fait supporter à certains territoires leurs défis extrêmes (dépeuplement massif et vieillissement accéléré) plus ceux des autres (rattrapage, explosion démographique), au lieu de mutualiser cet effort avec la « Métropole », qui elle, profite de la puissance de l’Empire. En effet, si les dépenses de l’Etat aux Antilles avaient évolué de +27%, comme à la Réunion, par exemple, ces territoires auraient perçu +1.3 Md€ de plus, soit +1500/hab., l’équivalent d’un effort de -20€/hab. pour l’Hexagone, supporté in fine par les Antilles.

Par ailleurs, si chaque ministère alloue un budget restreint aux DOM afin de préserver l’enveloppe de la « Métropole », comme cela se fait ouvertement pour la péréquation nationale, et, que face aux enjeux spécifiques de Mayotte ou de la Guyane, les Antilles tombent dans la catégorie des « pertes et profits », l’on se dirige rapidement vers une véritable catastrophe, manifeste aujourd'hui en Martinique.

Tout se passe également comme si les Antilles servaient de soupape à la « Métropole », face aux soubresauts de l’Empire de toutes natures : climatiques (cyclones à Mayotte et à la Réunion), sociales (révoltes en Guyane et Mayotte, voire en Nouvelle Calédonie) ou institutionnelles (départementalisation de Mayotte).

De fait, si l’Etat, sous la pression populaire, a concédé un plan d’urgence d’un milliard d’euros à la Guyane en 2017 (idem pour Mayotte) et repris en 2018 à son compte le financement du RSA dans tous les DOM sauf aux Antilles, dans ces îles, les crises de 2020 et 2024 demeurent sans réponses.

Peu importe le décrochage des Antilles

Peu importe l'exode massif et le vieillissement accéléré de la population antillaise, les candidats au « voyage vers les îsles » se bousculent. Et, ils peuvent même être aidés pour cela (cf. article 55 du PLF 2024[8]), tout comme les Antillais sont incités à faire la traversée en sens inverse, sous couvert de la « mobilité »[9] .

Ce phénomène de migrations croisées crée une profonde crise identitaire : « Sentir sa terre s’ouvrir sous ses pieds comme un tombeau ».

Illustration 3

Et plus les Antilles s’effondrent, plus l’Etat justifie son désengagement budgétaire, dans tous les domaines, comme, par exemple, dans le financement des contrats de convergence :

Illustration 4

Peu importe l’effondrement des budgets locaux en Martinique, où l’Octroi de mer en berne entre 2008 et 2020, n’a pas permis de compenser la baisse des dotations de l’Etat, aggravée par des ponctions de la péréquation nationale  pour apporter un soutien appuyé aux DOM les plus fragiles et qui au final échouent dans le budget des collectivités de l’Hexagone, plus riches.[10]

Illustration 5

Et, face aux difficultés des collectivités martiniquaises, l’AFD ne semble trouver d’autre explication que leurs « charges de personnel » et la « faiblesse de l’ingénierie locale ».

Dans une note annexe intitulée « La Martinique dans l’œil du cyclone », nous avons analysé les ressorts budgétaires de la véritable « descente aux Enfers » de la Martinique depuis une quinzaine d’années, dans la plus grande indifférence et le déni du pouvoir central. Aussi, face à l’inaction de l’Etat, seul le rebond de l’octroi de mer à partir de 2022 offre quelques perspectives à ce territoire. Dans ces conditions, le maintien d’un levier fiscal local représente une priorité absolue pour les DOM.

Peu importe la montée en puissance du narcotrafic aux Antilles, cette économie parallèle compense une partie du désengagement budgétaire de l’Etat. En effet, selon le journal Le Monde, seraient ainsi injectés dans l’économie locale plus de 400 millions d’euros chaque année. L’article pose alors la question suivante : « …Comment faire reculer l’emprise de l’argent de la drogue, sans trouver le moyen de compenser la manne générée par cette économie parallèle ?».[11]

Si on ajoute l’empoisonnement au chlordécone, le tableau de ces îles paradisiaques serait presque complet.

.La « vie chère » : la bombe à retardement de l’Assimilation

Ce faisant, les Antilles se transforment en une véritable poudrière sociale, que l’on impute à la « vie chère », alors que le désengagement budgétaire de l'État ne fait qu’allumer la mèche de cette véritable bombe à retardement qu’est l’Assimilation.

En effet, tout un pan de la population des DOM a été clairement laissé pour compte par le processus d’Assimilation. Ainsi, paradoxalement, c’est dans le domaine des prestations sociales que les disparités de revenus avec l’Hexagone sont les plus marquées.

Illustration 6

D’où la prégnance de la problématique de la « vie chère », mise sur le compte de l’Octroi de mer et de la prime de « vie chère » ou encore, à chaque fois que survient une crise sociale aux Antilles, sur le compte de la Pwofitasyon : la partie émergée de l’iceberg.

Le PLF 2026 : un tournant  pour l’outremer ?

80 ans après l’Assimilation, les DOM ne sont toujours pas parvenus à une « égalité réelle » avec l’Hexagone. Mais pour réduire la dette de l’Etat, ils se retrouvent en première ligne en subissant des économies de droit commun plus celles ciblées sur leurs territoires.

Ainsi dans le Projet de loi de finances pour 2026, Bercy s’attaque à deux piliers de la compétitivité des entreprises locales, les exonérations des charges sociales de la LODEOM (-345 M€) et la défiscalisation (-400M€).

Il est crucial de rappeler que ces coups de rabot, fortement médiatisés, ne représentent qu’une partie des économies envisagées en outremer. Il faudrait ajouter près de 400 M€ d’économies supplémentaires pour les DOM.

Ainsi, en dépit des cyclones à Mayotte et à la Réunion, de l’explosion démographique en Guyane et à Mayotte ou de l’effondrement démographique aux Antilles, c’est-à dire des défis extrêmes qui requièrent un accroissement des ressources publiques pour y faire face, le budget de l’Etat consacré aux « Conditions de vie en outremer » sera réduit en 2026.

Illustration 7

La Guyane semble, quant à elle, dorénavant positionnée pour remplacer les Antilles, exsangues, comme variable d’ajustement pour faire face aux conséquences du cyclone Chido à Mayotte. Une subvention d’équilibre de 30 M€ destinée à la CTG est aussi mise sur la sellette.

Illustration 8

Les Accords de Guyane sont-ils rompus ? De quoi réveiller la colère des Guyanais après quelques années d’accalmie : Nou bon ké sa !

Même Mayotte, promise à un plan de reconstruction à hauteur de 4 Md€ devra subir une baisse globale des dépenses de l’Etat en 2026.

Au final, si durant l’examen du PLF 2026, le gouvernement renonce aux coups de rabot sur la LODEOM et la défiscalisation, cela ne sera pas une avancée majeure, mais un retour à la case départ. Et, les DOM seront toujours sous le coup d’économies de droit commun dont les effets sont bien plus dommageables compte tenu du poids de la dépense publique dans leur PIB, particulièrement aux Antilles où les interventions de l’Etat sont quasiment gelées depuis près d’une décennie. Les Antilles feront un pas de plus vers l’abîme, et la Guyane commencera à leur emboiter le pas.

Les Antilles préfigurent le sombre avenir des DOM

Pour l’heure, la situation chaotique des Antilles et singulièrement de la Martinique, préfigure l’avenir tracé pour les DOM, entre décrochage budgétaire et exode massif des populations (déchoukaj’), c’est-à-dire un largage à l’intérieur de la République ?

Se profile alors un chaos généralisé dans les DOM qu’anticipent déjà les assurances en ne prenant plus en compte le risque d’émeutes.

Illustration 9

Les solutions se heurtent à une discrimination structurelle

En dépit de ses contraintes budgétaires, l’Etat reconnaît la nécessité d’augmenter le budget des ministères de l’intérieur et de la justice. Or, l’outremer qui représente 4% de la population concentre l’essentiel de la violence :  30 % des homicides et tentatives d'homicides recensés par la gendarmerie s'étaient déroulés dans les territoires ultramarins en 2024.

Il importe donc de mesurer le rapport coût/avantages des économies imposées aux DOM. Gouverner, c’est prévoir, et aussi prévenir comme l’Etat l’a fait avec un plan de rattrapage de 4 Md€ pour éviter le décrochage sécuritaire de Marseille.

Aussi, plutôt que de refondre l'octroi de mer dans la TVA nationale comme l’envisage Bercy, il apparait, dans un esprit de responsabilité, nécessaire de restituer aux DOM tout ou partie des recettes de la TVA nationale collectée sur place[12]. En effet, cette dernière bride l’Octroi de mer et entraîne une crise financière structurelle aux Antilles : 600 M€ issues des recettes sur la consommation échappent au territoire, alors que, rien que pour 2026, l’Etat envisage de se désengager pour plus de 250 M€ dans ces îles, en plus du gel de ses interventions entre 2018 et 2025 qui représente un manque à gagner de 1.3 Md€/an.

Par ailleurs, la péréquation avait été consacrée comme un principe constitutionnel en 2003 dans le but de protéger les territoires les plus vulnérables du désengagement budgétaire de l'État. Mais, les collectivités ultramarines ont été le plus souvent discriminées dans des quoteparts sous-dimensionnées. De plus, dorénavant, plutôt que de réduire les disparités de richesse avec l’Hexagone, c’est à la réduction des disparités entre les DOM que l’Etat s’attaque, ce qui place les Antilles dans une impasse.

Également, le rapport Richard/Bur, en 2018, avait évoqué le nécessité de créer un fonds de sauvegarde pour les DOM, étant donné la rigidité des mécanismes de péréquation nationale. Ce fonds a bien été créé, mais pour les départements (600 M€ en 2026). L’urgence sociale des DOM, quant à elle, demeure totalement ignorée du pouvoir central. Et pour cause, se développe une véritable « ingénierie » des administrations centrales pour faire apparaître, à l’aide de critères sur mesure, les DOM comme plus « riches » que leurs homologues de l'Hexagone et limiter leur accès aux mécanismes de solidarité nationale ou encore pour les faire contribuer coûte que coûte aux mesures de redressement des finances publiques. Ainsi, depuis 2025, la commune la plus démunie  de la Martinique, Grand Rivière,  doit contribuer à un dispositif  destiné à la maîtrise des dépenses des collectivités les plus "aisées"  en France (le Dillico).

En définitive, des solutions existent pour améliorer la situation financière critique des DOM, mais les obstacles ne sont pas tant dus à des contraintes budgétaires réelles ou supposées (l’Etat s’est bien privée de 76 Md€ de recettes fiscales sans sourciller) qu’à la persistance de discriminations structurelles qui prennent de la vigueur par temps de crise.

Il n’est alors pas étonnant que le débat déborde dans la rue. 

Les DOM, laboratoire d’un ultralibéralisme dévastateur

Les DOM préfigurent l’avenir réservé, à brève échéance, à tout un pan de la population française, qui aurait l’outrecuidance de se situer du mauvais côté de la ligne de front.  

En effet, le contexte actuel des DOM, et singulièrement des Antilles, donne une illustration extrême de l'effet dévastateur du tournant ultralibéral qu'a amorcé la France ces dernières années.  Une politique qui passe par des déficits budgétaires intentionnels[13]  pour justifier ensuite une baisse drastique des dépenses publiques, autrement dit, la « casse sociale », les plus vulnérables, comme les DOM, étant alors tenus responsables des dérives budgétaires de l’Etat.

L’on assiste, alors, en France (comme ailleurs) à une véritable offensive, tant politique que médiatique, ciblant non plus la pauvreté en tant que telle, mais ceux qui en sont affectés, désormais perçus comme des « assistés », à l’image de l'étranger, l’Autre, l’hôte (le parasite par excellence), qui sert de paravent pour fédérer le plus grand nombre autour de ce grand projet national (et mondial à la fois). Or, la cible ultime de cette guerre économique, plus que de civilisations, n’est pas l'Autre, mais justement le nombre lui-même, le plus grand nombre, qui peut être reconverti en de juteuses économies pour les Etats ou en allègements fiscaux massifs pour une minorité de privilégiés.

20 ans après le choc quasi-insurmontable de la décentralisation sociale, dix ans après celui de la baisse des dotations, la dette « abyssale » de la France offre l’occasion au gouvernement de remettre en cause les dispositifs de soutien aux outremers, perçus, de tout temps, par Bercy ou la Cour des comptes, comme des « avantages » qui « discriminent l’Hexagone », autrement dit comme des dépenses publiques « inefficaces » et « inefficientes ».

D’où le CIOM de 2023, c’est-à-dire tout le gouvernement au chevet des DOM pour orienter   l’octroi de mer vers la TVA nationale afin qu’il alimente le budget de l’Etat plutôt que celui des collectivités locales.

D’où le fait que les Antilles soient littéralement laissées pour compte bien que la France ne consacre même pas 1% de son PIB à ses « possessions lointaines », d’un autre temps. Car comme dans les temps passés :" Les colonies diffèrent autant des provinces de France que le moyen diffère de la fin. L’administration n’en affectionne le sol que dans la vue de la consommation qu’il opère et il faudrait plutôt l’abandonner s’il cessait de remplir cette destination."[14] .

Sans bouclier, sur fond de discrimination structurelle, les DOM subissent de plein fouet cette politique économique d’une violence inouïe qui ne semble elle-même apporter aucun bénéfice économique à la France, si ce n'est que de se soumettre aux dogmes dominants, de répondre aux intérêts immédiats des lobbies (les théories néolibérales n’engagent que ceux qui y croient) ou encore de favoriser la montée des extrêmes pour maintenir le statu quo ou, mieux, pour « terminer le job »[15].

« Voici le Loup !» 

Le virage ultralibéral entrepris par la France ne serait en définitive que la suite logique de l’intégration européenne[16], sous la houlette du tandem Mittérand/Delors, avec une inféodation aux marchés qui usurpent le pouvoir démocratique et poussent à des « réformes structurelles ». Des « réformes structurelles » comme les « ajustements structurels » du FMI, avec leur lot de misère sociale et de migrations, dont on voit déjà les prémisses aux Antilles.

 Curieusement, aux Antilles, il y eut d’emblée une grande méfiance à l’égard de « l’Europe », immortalisée par la chanson de carnaval « Voici le loup ! » au début des années 1990[17]. Une méfiance qui, en dépit de la modernisation permise par les Fonds structurels, paraît fondée au vu de l’implosion des Antilles qui a justement débuté avec les transferts de lourdes charges sociales de l’Etat vers les collectivités locales, pour justement éviter les déficits excessifs de l’Etat, proscrits par Bruxelles.

Aujourd’hui, en Martinique, plus de 150 Millions d’euros de recettes de fonctionnement, soit les trois quarts des recettes fiscales de la CTM, servent à financer la politique de solidarité nationale budgétivore de l’Etat, plutôt qu’à faire face aux enjeux du territoire. En Guyane, les ménages croulent sous le poids d'une taxe foncière  la plus élevée de France alors que les revenus y sont en moyenne deux fois plus faibles, et ceci en raison du transfert du RMI au département en 2003.

Maré ren Nou !

Si l’on tient compte des retards, des inégalités de traitement, de la « vie chère », du coût prohibitif  de la décentralisation sociale, de l’impact prégnant de la baisse des dotations, des crimes du passé qui n’ont pas été « réparés » par l’Etat ou encore de la discrimination structurelle comme elle opère de manière décomplexée dans la péréquation nationale, les  DOM ont   payé, plus que tout autre territoire, un lourd tribut à la réduction du déficit  de l’Etat, ce qui ne laisse que peu de latitude pour alourdir leur fardeau, sauf à les transformer en dynamite.

Les appeler à davantage d'efforts ne ferait qu'accentuer le décrochage des Antilles, brider le rattrapage de la Guyane et de Mayotte et au final livrer ces territoires au chaos et, pour certains, à l’enfer du narcotrafic.

Au contraire, il est suggéré que l'État y réajuste ses interventions, afin de faire face à leurs défis économiques, sociaux, sécuritaires, climatiques et démographiques croissants. Et, pour les Antilles cela passe par un plan d’urgence afin de réparer près d’une décennie de gel des interventions de l’Etat.

La situation des DOM, n’est pas une fatalité, mais le virage ultralibéral entrepris par la France, pourrait bien leur être fatal.

Il est donc essentiel d’aborder cette question de manière frontale avec toutes les composantes de la société, au lieu de se limiter aux enjeux spécifiques des entreprises, comme c'est souvent le cas. Ou de la subordonner à la question statutaire[18],  plus gratifiante portée par les élus, que l'État ne cesse d’esquiver en une manière de « danse pour tourner bourrique », pendant que les Antilles, singulièrement la Martinique, sont en train de sombrer à la manière du Titanic.

Dans tous les cas : Maré ren Nou!

L'unité, comme en Guyane en 2017, fera le reste.

Et aussi le rythme, comme en 2009[19].

 Retrouver ici le sommaire de cet article:

  1. Le poids réel ou supposé des outremers dans le budget de l’Etat. 
  2. Les inégalités persistantes : une contribution au redressement des finances publiques. 
  3. Les DOM ne sont pas responsables du dérapage budgétaire de Bercy. 
  4. Les Antilles, variables d’ajustement budgétaire. 
  5. Peu importe le décrochage des Antilles... 
  6. La « vie chère » : la bombe à retardement de l’Assimilation. 
  7. Le PLF 2026 : un tournant  pour l’outremer ? 
  8. Les Antilles préfigurent le sombre avenir des DOM
  9. Les solutions se heurtent à une discrimination structurelle. 
  10. Les DOM, laboratoire d’un ultralibéralisme dévastateur. 
  11. « Voici le Loup !». 
  12. Maré ren Nou !. 

NOTES

[2] 22.2 Md€ sont alloués aux outremers sur le budget de l’Etat s'élevant à  616 Md€ en autorisations d’engagement en 2025.

[3] Insee, 2018

[4] Direction générale des finances publiques.

[5] Voir note annexe « La Martinique dans l’œil du cyclone »

[6] Pour un écart des prix de 13%.

[7]  Pour la CTM, le  reste à charge des compétences transférées s'élève à  150 M€/an.

[8] L’article 55 du PLF 2024 prévoyait des aides à l’installation dans les DOM, pour les Métropolitains également. Suite à une forte opposition, le gouvernement a fini par renoncer à cette disposition.

[9][9] Les Antillais sont incités à faire la traversée inverse par la « mobilité » pour les formations, y compris via le RSMA, dont le budget explose, bien que l’offre soit supérieure à la demande. Alors que le BUMIDOM avait  provoqué un profond traumatisme  dans les années 70, c’est toujours la même logique qui opère aujourd’hui : déplacer les ultramarins plutôt que de créer sur place les conditions du développement. Pour quelle raison ?

[10] Voir note annexe « La Martinique dans l’œil du cyclone ».

[11] https://www.lemonde.fr/international/article/2025/06/05/les-cartels-colombien-et-venezuelien-a-l-assaut-des-antilles-francaises_6610611_3210.html

[12] La TVA n’est pas appliquée en Guyane et à Mayotte (taux Zéro), mais aux Antilles et à la Réunion, avec des taux réduits (taux à 8.5%).

[13]« La dette, un prétexte pour prôner la baisse des dépenses publiques (ou le retour du fétichisme budgétaire) » Thibault Laurentjoye et Henri Sterdyniak ( https://www.atterres.org/la-dette-un-pretexte-pour-proner-la-baisse-des-depenses-publiques-ou-le-retour-du-fetichisme-budgetaire/)

[14] Choiseuil (1719-1785), Ministre de la Marine et des colonies

[15] Il importe de rappeler que le Rassemblement National prône la suppression de l’octroi de mer, ce qui mettrait les DOM à la merci de Bercy, et n’aurait pas d’incidence majeure sur les prix, vu que les entreprises ne sont pas tenues de répercuter la baisse des taxes sur leurs prix (comme le démontre l'exemple du secteur de la restauration où l'État avait perdu 3 milliards d'euros en recettes sans aucune incidence sur les tarifs ni  sur la création d'emplois lors d'une réduction des taux de la  TVA passant de 19.5% à 5.5%). Et, puisque l’Etat devra puiser 1.5 Md€ dans ses fonds propres  pour compenser la perte de recettes des collectivités locales, les DOM subiront par ailleurs une véritable cure d’austérité alors que cette manne financière injectée dans les services publics permettrait véritablement à ces territoires de sortir d’une impasse financière, comme cela a été le cas pour la Guyane après 2017. 

[16] Frederic Lordon « Pour en finir avec le chantage de la dette », Le Monde diplomatique.

[17]« Voici le loup! » Djo Dezormo , https://www.youtube.com/watch?v=DTGI7vEq178

[18] Nombre de problèmes soulevés ici persisteraient, même en cas de changement statutaire « à l’intérieur de la République ». Aussi cet enjeu, pour important qu’il soit, ne doit pas servir à l’Etat de moyen de diversion, ni de division et encore moins de « fuite en avant » .

[19]  « Le rythme, en tant qu’il est vibration, se meut dans l’entre-deux ; il est un avènement circulaire, ouvert : il est à proprement parler l’ouvert rond la-ronde-la. Et, à quoi ouvre le rythme, c’est tout simplement à l’avènement du mouvement… » In « Retour à la Parole sauvage », Monchoachi, Editions Lundimatin

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.