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Billet de blog 6 mars 2023

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Une bien curieuse "Réforme des Retraites"

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le gouvernement d’ E. Macron et ses ministres ont utilisé, successivement, plusieurs arguments pour justifier leur réforme des retraites.

>>La diminution du nombre d’Actifs rapporté au nombre de Retraités fut un des arguments premiers.

Depuis de nombreuses années, ce rapport, un aspect du vieillissement de la population, diminue, mais l’augmentation de la productivité compense ce déclin. C’est pour cela que cette augmentation de la productivité constitue l’une des « hypothèses » pour les calculs prévisionnels sur l’équilibre du système des retraites, hypothèses retenues par le COR mais aussi par Bercy. A cet égard, on peut s’inquiéter que cette productivité ne fasse pas plus l’objet de l’attention du gouvernement, alors qu’elle baisse dans plusieurs pays et en France notamment, les services remplaçant l’industrie. Ceux qui ont approuvé les différentes Commissions Européennes pour qui toute politique industrielle était un gros mot devraient plutôt se cacher aujourd’hui.

Il est vrai que Bruxelles approuve cette réforme des retraites françaises et même demande cette réforme. Et E. Macron l’a d’ailleurs promise….

>>L’augmentation continue de l’espérance de vie.

Certes, l’espérance de vie sans incapacité augmente, comme le montre une récente étude de la DRESS. Mais il faut prendre ces chiffres avec prudence, comme le dit la DRESS elle même, car depuis plusieurs années maintenant, l’espérance de vie, avec ou sans incapacité, stagne. Même l’espérance de vie aux US diminue…..Alors ?

>>Un considérable déficit.

Enfin un déficit considérable serait montré, dans les années à venir, pour le système global de retraite, par le rapport du COR, quelques soient les hypothèses faites.

>Disons ici tout de suite que le principal enseignement du rapport du COR est passé le plus souvent sous silence par E Macron, le gouvernement et ses ministres. Cette omission, pour le moins fâcheuse, dénote un état d’esprit malsain vis à vis de la population.

Cet enseignement est que le « coût »global du système de retraite ne progresse pas dans l’avenir. Il reste en dessous de 14 % du PIB et même diminue, ce qui d’ailleurs à terme va poser des problèmes(page 62 du rapport).

C’est un résultat remarquable car il signifie que contrairement aux dires de ceux qui veulent remplacer ce système de Retraite par de l’épargne individuelle ( un CA de 350 md€ tout prêt, sans se fatiguer, cela attire du monde ), le système de retraite n’est pas en faillite.

Oui les générations futures bénéficieront bien d’une retraite.

Le silence du gouvernement sur ce point est profondément malhonnête.

> Le système de retraite global génère 350 md€ annuels. Une précision du calcul des prévisions à 1 % par exemple correspond à 3,5 md€ annuels. Attention à la valeur des chiffres…..

>Disons ensuite que le rapport du COR de 2013 prévoyait un déficit de 22md€ pour 2022, le rapport de2019 un déficit de 9 md€ pour 2022 et celui de 2021 un déficit de 10 md€ pour 2021. Rappelons que 2021 n’est pas négatif et que 2022 verra un excédent proche de 3 md€……

Relativité des prévisions à long terme….Il faut savoir lire les rapports, et ne pas les utiliser selon ses seules idées !

> Surtout, les prévisions gouvernementales qui ont été fournies au COR étaient tellement stupides que le COR s’est permis, en demi teinte, de les juger..( ...artefact...page 7 du Rapport du COR 2022 grand public, page 64 du Rapport).

Essayer de pourrir un rapport de cette importance n’est pas digne.

Aussi, les prévisions faites aujourd’hui par Bercy ne sont désormais plus crédibles.

Décrédibilisation des ministères et de Bercy, c’est à cela que le gouvernement a abouti …..Bravo..encore bravo.

>Un point particulier concerne la retraite des fonctionnaires de l’État. Le gouvernement a prévu la suppression de dizaines de milliers de postes. Quelque soit la méthode choisie pour comparer, ou additionner, le système retraite des fonctionnaires de l’État et celui du privé, la retraite des fonctionnaires de l’Etat devient forcément largement déficitaire…...

Or, il ne faudrait pas que, à la faveur d’une réforme de toutes les retraites, soient changées (sans négociation et en catimini) les règles fonctionnaires. C’est la loi qui dit que le budget de l’État paye et les salaires et les pensions des fonctionnaires. Il ne faudrait pas non plus que les salariés du privé soient amenés à se substituer à l’État. (C’était pourtant un des sens des premiers projets de E. Macron). Il faut une négociation, oui une négociation entre les syndicats de fonctionnaires de l’État et le gouvernement.(Même si « négociation » est un gros mot pour le gouvernement actuel, comme « politique industrielle » était aussi un gros mot il y a quelques années..On pourrait en reparler aujourd’hui devant les Français..quel silence des commentateurs ! )

La retraite des fonctionnaires de l’État suscite beaucoup de fantasmes manifestement et il se dit beaucoup de contrevérités à ce sujet. Comme le résultat dépend beaucoup de la présence des primes s’ajoutant au traitement dans le salaire global des fonctionnaires de l’État, sans doute faudrait-il analyser plus finement.

En fait ce système « retraite » n’a jamais fait l’objet d’une véritable gestion technique de la part de l’État…...Pire, comme il s’agit d’une forme particulière de « répartition » (système « pay as you  go » ou « budgétaire ») les politiques, les commentateurs et les techniciens étrangers pensent -à tort- que tout le système de retraite français est semblable à celui là.

Un mot sur ce système de retraite des fonctionnaires et celui des « régimes spéciaux ».

Une large part des grandes entreprises possède un système de retraite collectif supplémentaire aux régimes légaux : Cnav et AgircArrco. Il est bien évident qu’en tout état de cause, si ces systèmes, retraite fonctionnaire et régimes spéciaux, étaient supprimés, il faudrait faire bénéficier les salariés visés d’un régime de retraite supplémentaire, (tel celui en vigueur pour les industries électriques et gazières). Pourquoi le gouvernement n’en parle pas ? Pourquoi les journalistes n’en parlent pas ? Quel mépris pour les français !

Une large partie des économistes néo-libéraux a toujours affirmé que le système retraite français « coûtait » de l’ordre de 14 % du PIB, d’au moins 2 points supérieur à la moyenne de la Zone Euro. En conséquence, il était possible de trouver 2 points de PIB en recettes ou non dépenses.

Par exemple Patrick Artus à plusieurs reprises. Notes par exemple du 11092017 ou du 31012019(°)….

Plus récemment, dans sa chronique des Echos ( 27/02/2023 ) P. Cahuc, économiste et professeur à Science po, non seulement néo libéral en économie mais à droite toute en politique, énumérait les différentes raisons de procéder à une réforme des Retraites, comme celle de E. Macron. Le vieillissement de la population, le financement de la santé, le financement de l’éducation, de l’armée, la transition économique, la charge de la dette publique, et faire en sorte que la productivité croisse…...

Sur ce dernier point, on ne peut donner tort à P. Cahuc, mais un aspect parait incompréhensible : tous ces financements, avec une réforme : essentiellement le passage de l’âge de la retraite légal de 62 à 64 ans ???

P. Cahuc ne parle pas du formidable déficit que la situation actuelle, aux dires du gouvernement, engendrerait très vite…...Faut il comprendre que la mesure phare de la réforme (âge de la retraite de 62 à 64 ans) est tellement forte qu’elle engendrera un excédent formidable, en sus du comblement du formidable déficit prévu ?

Mais, en fait, quand on lit les notes de Patrick Artus, il n’est nullement question d’un quelconque déficit. Alors ?

Voilà l’argument canon du gouvernement qui n’apparaît pas. Et non seulement il n’apparaît pas mais il est ouvertement et volontairement ignoré.

Alors...des économistes néo-libéraux qui…

On se souvient d’ailleurs que des membres du gouvernement avaient, il y a quelques mois, commencé à indiquer qu’il fallait financer le grand âge et la dépendance avant que ces propos ne soient ..oubliés…

Peut être ne faut il pas réduire à ces seuls aspects la chronique de P Cahuc dans Les Echos, car il vante aussi l’amélioration du taux d’emploi des seniors (et donc du taux d’emploi global) qui sera sans doute provoqué par la réforme. Evidemment d’un côté une violente réforme supportée par les salariés et travailleurs, de l’autre un « index » inoffensif pour mesurer les efforts des employeurs pour garder les « seniors »….employeurs qui n’ont, bien sûr, aucune responsabilité dans la mise à l’arrêt des salariés âgés et l’utilisation à guichet ouvert du chômage….P . Cahuc ne parle pas de ces aspects...un oubli sans doute….

En tous cas, l’argument phare du gouvernement n’apparaît pas dans ces travaux et un éditorial -oui un éditorial- du journal Les Echos (10/01/2023) met définitivement et brutalement les choses au point. Et c’est assez rigolo quand on écoute les différents ministres essayer des arguments aussi peu crédibles les uns que les autres…

Oui un éditorial : « La vraie raison de la réforme ». Éditorial qui indique que faire monter le taux d’emploi des seniors -et donc le taux d’emploi global est bien la vraie raison de la réforme.

Pauvres salariés, vous êtes tellement méprisés que vous n’avez même pas droit au pourquoi de ce qui va vous toucher de plein fouet !

Il est vrai qu’après le CICE (18,6 milliards d’euros annuels), pour quasiment aucun résultat dit l’Agence de l’État en charge de l’évaluation de la mesure, et le Crédit Impôt -Recherche (quelques milliards annuels), pour pas grand-chose..Si vous n’avez pas compris….

Il faudrait maintenant faire le total des aides budgétaires aux entreprises...plus de 140 milliards annuels pour les entreprises. Pour les salariés : le passage de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans.

Alors qu’il suffit de regarder le taux d’investissements des entreprises en France et les dépenses de R&D -toujours inférieures à celles de l’Allemagne par exemple- 5 % dans les pays avancés, 3,5 % en France, pour avoir une bonne idée de ce qui ne va pas en France….(note de Patrick Artus du 01/03/2023)

En fait dans le raisonnement des économistes néo libéraux et dans celui (caché ou incompréhensible) du gouvernement, il y a un aspect oublié. Le « coût » du système retraite en France, de l’ordre de 14 % du PIB, est semble-t-il supérieur à celui d’autres pays européens. Bien entendu la France peut et doit se féliciter d’avoir à peu près réussi à mettre en place un système correct pour tous, ce qui est loin d’être le cas dans d’autres Etats dans lesquels le système retraite fait beaucoup plus appel à l’épargne individuelle.( Comme si les petits salariés pouvaient épargner….comme si la valeur de l’épargne ne variait pas…mais ce n’est pas le sujet).

Il ne semble pas en effet que les systèmes de retraite obligatoires d’entreprises ou de professions, avant tous les systèmes facultatifs, mais régulés par l’État, du type Perco, PER etc.., soient comptés dans les statistiques officielles.

En 1972, en France, les employés de maison ont bénéficié, à titre obligatoire, d’une retraite complémentaire. Constatant que les salariés de toutes les professions étaient désormais couverts par une retraite complémentaire à titre obligatoire (AgircArcco pour les salariés et pour simplifier) la France a décidé que la retraite complémentaire était obligatoire pour tous.. Aussi la retraite complémentaire (donc AgircArrco pour les salariés du privé) a-t-elle fait partie de la Sécurité Sociale au sens de l’Union Européenne, mais pas de la SS française. (Il s’agit de régimes privés -paritaires- rendus obligatoires par l’État et fort correctement gérés au demeurant...).

C’est loin d’être le cas ailleurs en Europe où l’influence des organismes d’assurances privés est plus forte. Les salariés sont alors souvent couverts dans l’industrie et ceux des services beaucoup moins….

Ainsi, la statistique globale est alors loin d’être juste…..

En fait pour juger sereinement de la réforme des Retraites, il suffit de se souvenir d’un projet fort d’ E. Macron. Supprimer la retraite complémentaire sur la Tranche C de l’Agirc et sur la partie de la tranche B entre 3 fois et 4 fois le salaire plafond de la SS. Sans aucun remplacement.

Cela créait un déficit direct et immédiat de plusieurs dizaines de milliards d’euro, mais dans un régime privé……..

Pour qui roulait alors Macron ? Pour qui roule-t- il ?

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(°) -Voir à cet égard les notes de Patrick Artus N° l1029 du 11/09/17 : «  Il paraît difficile d’échapper à une réforme des retraites et à des privatisations importantes » ; et N° 140 du 31/01/19 : « France : pour redresser l’économie il va falloir dépenser plus d’argent public pour la formation et l’éducation et réduire la pression fiscale sur les entreprises : comment financer » ?-.

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