Réforme des retraites : un système universel, « juste », vous avez dit « juste »?
Pierre Mascomère Actuaire statisticien 1° partie le 25 août 2019
Le « Système universel » que prépare Mrs Macron et Delevoye se veut « juste ».
Un Euro cotisé donne les mêmes droits à tous. Cette formule a fait flores et effectivement, à première vue, on est tenté d’approuver chaudement.
Dans le jargon technique, cela veut dire que le « rendement technique » est unique (ce qui est évident si le régime est unique….)
En effet, pourquoi une cotisation à l’Agirc Arrco (Régime complémentaire des salariés de droit privé) ne donne t elle pas les mêmes droits qu’une cotisation à l‘Ircantec (Régime complémentaire des agents de l’État non fonctionnaires) ? Même si la plus part des Régimes sont partiellement compensés quant à leur démographie propre (ce qui veut dire que tous les régimes compensés sont supposés avoir la même démographie), c’est à partir des résultats propres à chaque Régime et ces Régimes ne donnent pas tous les mêmes droits pour un euro cotisé. Dans le cas de l’Ircantec et de l’Agirc Arrco, c’est sans doute une anomalie parce les Régimes se ressemblent beaucoup et que les populations seront, au moins à terme, identiques.
En revanche, si on parle de « juste » comment expliquer qu’un euro cotisé par un ouvrier et un euro cotisé par un cadre, au même âge, ne donneront pas du tout la même chose…..Un ouvrier à 60 ans a une espérance de vie en moyenne inférieure de 5 années à celle d’un cadre, et le cadre vivra en moyenne 5 années de plus que l’ouvrier et touchera donc sa retraite cinq années de plus en moyenne. Un cadre supérieur encore plus….Où est la justice ?
Force est de reconnaître que le Régime Général, ou plutôt son règlement, qui a pourtant bien des défauts, a aussi des qualités avec ses deux paramètres : l’âge légal de la retraite et la durée de cotisations. Il rétablit -en partie- une certaine justice.
Par exemple, supposons un âge légal de la retraite à 62 ans et une durée de cotisation de 42 ans nécessaire pour obtenir la dite retraite pleine. Un cadre qui commence à travailler vers 23 ans, un ouvrier vers 18 ans, avec une retraite à 62 ans et 42 années de cotisations : on voit que le cadre pourrait prendre sa retraite à 65 ans et l’ouvrier à 62 ans. 3 ans d’écart dans ce cas, il y a une avancée vers plus de justice.
Les réserves de certains Régimes
Au fil du temps certains Régimes ont constitué des réserves quelquefois très importantes, au moins en valeur absolue, par prudence ou pour anticiper des périodes moins favorables ou pour avoir le temps de s’adapter comme l’Agirc Arrco par exemple. Il serait, toute légalité mise à part, fort injuste de confisquer ces réserves au détriment de ceux qui les ont constituées.
En revanche le projet prévoit que le système s’établirait sur 3 plafonds de Sécurité Sociale ne prévoyant rien au delà. Or l’Agirc Arrco, pour simplifier, prévoit des cotisations sur 4 plafonds (Tranches A et B) et aussi sur les quatre autres (la Tranche C). Actuellement il n’est rien prévu sur ces tranches apportées sur un plateau aux lobbies de la capitalisation. Cependant tous les droits acquis par les salariés sur ces tranches devront être gagés, c’est à dire« provisionnés »…..
Le niveau de cotisation
Si tous les salariés de droit privé ont tous aujourd’hui le même taux de cotisations, il n’en sera pas de même pour les non salariés. Il apparaît que E Macron a d’ores et déjà accepté que les non salariés ne cotisent pas au même niveau que les salariés. Mais si la cotisation n’est pas du même niveau pour tous, alors comment sont financées les dispositions non contributives ? Pourquoi les non salariés et pas les salaries des régimes spéciaux ?….Universel, vous avez dit Universel…..
Intervention de l’État
Si on en croit la plupart des médias, la principale injustice des régimes actuels, hors le système des fonctionnaires, viendrait de ce que l’État abonderait certains régimes alors même que leurs prestations versées, ou l’âge de départ, sont plus hautes que celles du régime de base. C’est clairement des Régimes dits spéciaux dont il est question. Comme le Régime des IEG (auparavant de la seule EDF) n’a semble t il jamais touché un sou de l’État, c’est essentiellement de la SNCF/RATP dont il est question.
On voit d’ailleurs que les médias « oublient » de parler du Régime des Agriculteurs exploitants, car il semble que l’État versent lui même une large partie des cotisations (ce qui n’est d’ailleurs en rien aberrant)…..
Il est assez logique que l’État verse des subventions à la SNCF, les infrastructures sont (ou devraient être) la propriété de l’État.
Mais peut être que ces subventions devraient être toutes pour l’Entreprise et non certaines pour le Régime de Retraite. Mais en quoi ceci serait il juste ou injuste ?
Il faut, en effet, prendre en considération deux éléments, généralement « oubliés » par les médias :
1) la rémunération « globale » d’un individu
2) les régimes supplémentaires, créés en sus de l’Agirc Arrco par les grandes entreprises et (ou) quelquefois les professions.
La rémunération globale
Quand on compare la situation de deux salariés dans deux entreprises différentes, on ajoute à leurs salaires, les avantages sociaux dont ils bénéficient, via les cotisations patronales ou les versements de l’entreprise. Ainsi ajoute t on aux salaires des individus, un « équivalent salaire » pour les plans d’épargne de divers types dont ils peuvent bénéficier, pour les retraites supplémentaires professionnelles ou d’entreprises, selon l’âge fixé pour ces retraites et leurs montants, pour les jours de congés, pour des avantages divers (véhicules de fonction etc.) et même pour des « médailles du travail….
Pour des cadres supérieurs d’entreprise les actuaires sont souvent (grassement) payés pour le faire mais curieusement s’agissant d’emplois plus « standards », cette comparaison -globale- est « oubliée ». Dommage, car il serait intéressant de voir la comparaison réelle entre un salarié français de la SNCF et son collègue allemand par exemple.
Il ne faut alors pas oublier que si tel avantage retraite disparaît, c’est la rémunération globale qui baisse et les intéressés voudront en compensation une augmentation correspondante du salaire net. Que peut bien vouloir dire dès lors ce que rabâchent les médias : « suppression des régimes spéciaux ».
Les régimes supplémentaires
Une large partie des grandes entreprises ont mis en place au profit de leurs cadres supérieurs, ou de leurs cadres et quelquefois de tout le personnel, des régimes de retraite supplémentaires. Certes au regard de l’ensemble des entreprises, cela représente peu de choses, mais pas au regard des seules grandes entreprises. Ces régimes supplémentaires versent des prestations au-delà de celles du Régime Général et de l’Agirc Arrco.
Toute remise en cause du ou des régimes de retraite obligatoires sous-jacents aux Régimes supplémentaires entraînera une refonte de ces Régimes supplémentaires. (Notons que le Régime « spécial » des IEG n’est jamais que le Régime général, le Régime Arrco Agirc et un Régime supplémentaire mais il apparaît que nombre de médias ne le savent pas.). Il en sera de même pour les « régimes spéciaux » à moins de considérer que la SNCF ne soit pas une grande entreprise et que ses salariés n’aient pas les mêmes droits que ceux de telle autre grande entreprise !
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